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Des dangers de l’abandon de la Défense française en Europe telle que prônée par Hervé Morin

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J’ai lu l’interview d’Hervé Morin parue dernièrement dans le Nouvel Observateur et je dois dire que je suis assez perplexe devant les affirmations de quelqu’un qui, il y a quelques mois encore, était responsable des destinées du Ministère de la Défense.

Que les mois et les années à venir soient difficiles sur le plan budgétaire est une évidence en cette période de crise mondiale, et la Défense sera sans nul doute mise à contribution, mais de là à remettre en cause les grandes orientations déjà arrêtées, il y a un grand pas qu’il convient d’éviter de franchir.

Dissuasion nucléaire européenne

Tout d’abord s’agissant de la dissuasion, monsieur Morin préconise d’abandonner la composante aéroportée et de « se contenter de celle  mise en œuvre par l’OTAN ». Je vois dans une telle affirmation deux péchés majeurs : l’un contre la doctrine même de la dissuasion, l’autre contre  l’efficacité du dispositif dissuasif.

En effet, l’arme nucléaire est une arme nationale, et c’est ce qui a été déterminant lorsqu’en 1966 le général de Gaulle a décidé de quitter l’organisation militaire de l’OTAN. Les armes nucléaires de l’OTAN sont soumises pour leur emploi éventuel à l’accord des USA ce qui serait pour nous, bien que nous ayons réintégré l’organisation militaire, une perte totale d’indépendance dans la mise en œuvre d’une telle composante. La dissuasion nucléaire ne peut que rester sous un contrôle national strict. La France est le seul pays d’Europe à avoir développé et mis en œuvre une dissuasion nucléaire indépendante, et si on se place dans la perspective de la mise sur pied d’une Europe fédérale- que j’appelle de mes vœux- notre FNS pourrait être le noyau d’une dissuasion nucléaire européenne, car on ne peut pas imaginer qu’une grande entité comme le serait cette future Europe puisse exister sans posséder une Défense indépendante dotée d’une force de dissuasion nucléaire.

Quant à la proposition d’Hervé Morin de voir l’Europe prendre la tête d’une grande opération de dénucléarisation, elle me parait totalement utopique dans notre monde actuel, et on ne peut que sourire à l’idée qu’une telle proposition impressionnerait des pays comme- pour ne citer qu’eux- l’Iran ou la Corée du Nord, qui, dans un grand élan, abandonneraient immédiatement leurs projets !!

Plus proche de nous, certains alliés comme l’Allemagne verraient certainement  d’un très bon œil la France ramenée, avec l’abandon de la dissuasion française, à un statut de puissance inférieur au sien. En réalité un tel choix affaiblirait la France et affaiblirait l’Europe.

Le rôle de la composante aéroportée

S’agissant maintenant de l’efficacité dissuasive de la composante aéroportée, elle est indiscutable : les gros systèmes centraux comme la composante sous marine sont indispensables et doivent être  maintenus au niveau suffisant ; mais ces systèmes indétectables aujourd’hui ne sont pas à l’abri d’une percée technologique qui les rendrait plus vulnérables ; par ailleurs ce sont des systèmes qui fonctionnent en « tout ou rien » et dans la montée d’une crise, il n’y a aucune « marche » avant le déclenchement irréversible de l’apocalypse. Le rôle de la composante aéroportée est justement d’apporter une souplesse supplémentaire dans le dialogue dissuasif.

Cette composante permet en effet de montrer la détermination du pays par une « gesticulation » visible : mise en alerte des moyens, déploiement, décollage des appareils, leur rappel éventuel… Par ailleurs il y a des pays qui ne seraient en aucune manière dissuadés pas des gros systèmes centraux car un doute sur leur emploi éventuel persisterait dans leur esprit, mais qui le seraient certainement par la possibilité visible de frappes ciblées.

Enfin, pour ce qui concerne cette composante, les développements techniques sont terminés, et les avions par leur polyvalence peuvent être affectés à d’autres missions ; aussi sa suppression éventuelle  ne rapporterait-elle pas grand-chose en matière budgétaire.

De l’intérêt de l’armée de l’air

Un autre point « fort » de l’interview de monsieur Morin  est celui qui touche au format des armées. Il est en effet recommandé de réduire le format de l’armée de l’air : à cet égard il convient de rappeler que sur les 54 000 suppressions de postes dans les effectifs de la Défense, l’armée de l’air en fournit la proportion la plus importante, par ailleurs ce sont 12 bases aériennes qui ont été fermées et contrairement à ce que dit Hervé Morin, le volume de la flotte de combat est, pour ce qui concerne l’armée de l’air, de 250 appareils en ligne, c’est-à-dire ceux qui sont aptes au combat,  et non de 320. Un tel format, est tout à fait comparable à celui des autres armées de l’air majeures en Europe. Effectuer une coupe claire supplémentaire conduirait à déclasser l’armée de l’air française alors que l’engagement libyen a démontré tout l’intérêt politique de disposer d’un outil de premier rang.

Un deuxième porte-avion ?

Enfin, Hervé Morin préconise dans sa recherche d’économies de construire un deuxième porte avion, c’est assez étonnant. Le deuxième porte avion est un « serpent de mer » qui réapparait périodiquement.

Aussi, peut-être faut-il rouvrir le débat qui aboutira à la même conclusion négative que par le passé, et une nouvelle fois poser la sempiternelle question : pour un pays comme la France la possession d’un deuxième porte-avions est-elle indispensable ?

Le premier argument, habituellement avancé, consiste à dire que lorsque le porte-avions est indisponible, le fait d’en avoir un second permet d’assurer la permanence de cet outil. Il convient par conséquent de regarder quelles peuvent-être les indisponibilités dues à la maintenance : les grandes visites se déroulent approximativement tous le 5 ou 7 ans et nécessitent une immobilisation de plusieurs mois (délai qui pourrait, semble-t-il, être réduit). Est-il indispensable d’engager de lourdes dépenses afin de couvrir cette brève période ? Ce cas d’indisponibilité s’est du reste déjà produit et  la Défense de la France n’a pas pour autant été mise en péril.

Que nous possédions un porte-avions ne me paraît pas choquant le fait d’en acquérir un deuxième me paraît totalement incongru si on se réfère à nos ambitions en matière de Défense, et à nos possibilités financières.

A cet égard, la mise en chantier d’un nouveau porte-avions est totalement exclue compte tenu des priorités que la Nation s’est fixées en matière budgétaires dans la période de crise économique majeure que nous vivons. En effet, la possession d’un deuxième porte-avions induit immanquablement en plus du coût de la construction de la plate-forme elle-même, des surcoûts liés à l’acquisition de moyens supplémentaires de support ainsi que  d’accompagnement, qui sont nécessairement lourds lorsque le porte-avion est à la mer, ou à la constitution de nouveaux équipages, etc… . On voit mal comment le budget de la Défense qui ne peut aller au mieux que vers une stabilisation  ou plus probablement vers une diminution, pourrait dégager les ressources nécessaires. Avant de se lancer dans une telle aventure, qui n’a aucune justification en regard de notre politique de Défense, il y a bien d’autres priorités à satisfaire que ce soit du côté de l’Armée de Terre, de la Marine ou de celui de l’Armée de l’Air et plus généralement en matière de renseignement et de moyens spatiaux.

Un coût déraisonnable

Aujourd’hui, le porte-avion est un instrument de puissance et de gesticulation politique qui peut se révéler utile dans certains cas, mais qui depuis quelques décennies n’a pas été déterminant. Depuis la guerre du Golfe, les opérations ont démontré que les appareils du porte-avions auraient toujours pu opérer à partir de la terre pour un coût d’engagement inférieur et souvent avec une efficacité opérationnelle accrue (cas notamment de l’Afghanistan).

Immobiliser d’importantes ressources pour couvrir des périodes d’indisponibilité me paraîtrait en conséquence totalement déraisonnable. En revanche, il me semble que des bâtiments tels que les BPC sont bien mieux adaptés à la résolution des crises du moment et pourraient avantageusement être programmés pour équiper notre Marine et ceci pour un coût bien inférieur à celui d’un nouveau porte-avion.

La Défense dans la campagne présidentielle

Enfin, pour en revenir à l’interview de l’ancien Ministre de la Défense, candidat  déclaré à l’élection présidentielle, je pense que si la campagne électorale donne la possibilité de débattre des grands sujets qui concernent la vie de notre pays, dont la Défense fait partie, cette dernière est très rarement évoquée.

Aussi la Défense peut-elle apparaître comme un non sujet d’intérêt pour la Nation. Pourtant, contrairement à d’autres grandes institutions, elle a fait des efforts considérables de rationalisation tout en poursuivant avec efficacité l’exécution de toutes les missions  qui lui ont été confiées, et il convient à cet égard de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont su effectuer ces changements profonds, sans bruit et avec toujours présent à l’esprit le service de l’Etat.

D’une manière générale, si la Défense est rarement évoquée dans le débat électoral, il me semble que c’est pour la simple raison qu’elle ne fait pas bouger une voix dans le pays bien que les enjeux soient d’importance ;  c’est un outil dont la construction s’inscrit dans le très long terme et les objectifs de gestion de plus court terme, s’ils sont « plus rentables » dans le débat risquent d’affaiblir durablement cet outil.

Il faut prendre acte de cet état de fait.

Le seul intérêt que je vois à l’interview d’Hervé Morin est que pendant un instant on aura parlé de Défense !      

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