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Et si Beijing perdait la bataille du « soft power » ?

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[image:1,l] Le « soft power » est un concept théorisé par le géopoliticien américain Joseph Nye désignant la capacité d’un Etat ou d’une organisation à peser sur son environnement international par des moyens non-coercitifs : culture, aide au développement, langage… Il designe ainsi sa capacité à exercer un leadership par la séduction, par opposition à une hégémonie imposée par la force.

C’est à une course à l’influence de ce type que l’Inde et la Chine, les deux géants asiatiques en perpétuelle rivalité, semblent désormais se livrer, tant au plan régional que continental. Pourtant, malgré les efforts de communication et les milliards dépensés par la Chine, l’Inde semble avoir pris une longueur d’avance.

La puissance chinoise effraie ses voisins

Joseph Nye s’est penché sur la question et a tenté d’expliquer les raisons pour lesquelles la Chine semble destinée à perdre cette bataille du soft power. « Le président Hu Jintao a entamé ses vœux pour 2012 en disant que… la Chine devait riposter aux efforts de l’Occident visant à imposer son influence. La décennie passée a vu la Chine accroître considérablement sa puissance économique et militaire. Effrayés par l’émergence de ce nouveau géant, les pays proches de la Chine ont cherché à s’allier pour contrebalancer la puissance continentale de Beijing. Pourtant, ce n’était pas une fatalité. Le soft power permet justement d’atténuer la méfiance de ses voisins. Prenez le Mexique ou le Canada par exemple : jamais ces pays n’ont été tentés de s’allier à la Chine pour contrebalancer la puissance américaine proche.»

Le caractère autoritaire du régime en question

La Chine investit des milliards de dollars dans tous les domaines possibles. Les Jeux Olympiques de Beijing en 2008, les instituts Confucius à travers le monde pour promouvoir la langue chinoise, ou encore la chaîne d’information en continu 24-hour Xinhua, créée sur le modèle d’Al-Jazeera, participent à cette stratégie.

Pourtant, l’image de la Chine dans le monde ne s’est pas franchement améliorée. Pourquoi ? Joseph Nye développe sa théorie :

« Ce que la Chine se refuse à comprendre, c’est qu’utiliser la culture, le sport et de belles images ne suffit pas pour accroître l’efficacité de son soft power. Il faut aussi que les cibles de ces actions aient l’impression d’y voir un reflet fidèle de la réalité du pays. Le caractère autoritaire du régime de Beijing, évident aux yeux de tous, nuit terriblement aux efforts de l’Etat pour améliorer son image de marque. Les JO de Beijing ont beau avoir été un succès, la répression des émeutes au Tibet et au Xinjiang, au même moment, ont réduit à néant tous les gains qui auraient pu en résulter en terme de soft power.  Idem pour l’exposition universelle de Shanghaï, suivie de près par l’emprisonnement du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo et de l’artiste Ai Weiwei. »

L’Inde, la plus grande démocratie au monde

Poursuivre le raisonnement de Joseph Nye permet de comprendre pourquoi l’Inde dispose sur ce plan d’un indéniable atout face à la Chine.  

Une récente étude menée par le ministère indien des Affaires étrangères conclut que les pays voisins de l’Inde sont tout à fait conscients de sa montée en puissance sans, pour autant, se sentir menacés alors que la Chine suscite chez eux une inquiétude réelle.

Avec son système politique fondé sur des élections démocratiques, l’Inde respecte la liberté religieuse, la liberté d’expression et à peu près l’ensemble des droits de l’homme. Elle a développé un modèle d’économie très souple, de conquête en douceur, en totale opposition avec les stratégies agressives qu’affectionne la Chine.

Tous ces arguments ne sont cependant pas du soft power à proprement parler. Il s’agit plutôt de leviers pouvant être utilisés pour orchestrer une stratégie de soft power.  Et de leviers, la Chine en dispose également.

L’abondance d’information comme cache-misère

Alors d’où vient l’avantage de l’Inde ?

Prenons les films de Bollywood. Malheureusement, la plupart des productions sortant des studios indiens sont des films de médiocre qualité où des danseurs kitsch se lamentent sur les mauvaises récoltes de coton. Qualitativement, très peu peuvent soutenir la comparaison avec les films de Qiuju ou de Zhang Yimou. Pourtant, des millions de fans font leur succès à travers le monde, du Moyen-Orient jusqu’à Manhattan. Pour leur part, les autorités chinoises s’efforcent de censurer l’information et de museler les critiques, diffusant principalement les nouvelles par le biais de chaînes câblées à l’indépendance limitée. Les films ou livres chinois qui perçent à l’étranger sont ainsi ceux qui donnent l’impression d’être réalisés « malgré le gouvernement » plutôt que « grâce à la richesse de la culture chinoise ».

Mieux encore, la presse indienne est libre de blâmer le gouvernement comme l’opposition et de disserter indéfiniment sur les problèmes de politique ou de religion. Au final, elle en oublie de dénoncer des myriades de problèmes qui minent la société. Et quand bien même elle se pencherait dessus, le flux continu de l’information finirait par en minimiser l’impact.

A l’inverse, la rigidité et la subjectivité des médias chinois est telle que leurs manquements délibérés à leur devoir d’informer sont largement dénoncés la communauté internationale. Il est instructif de comparer la couverture des révoltes du Xinjiang et du Tibet par rapport à celles survenues au Cachemire ou dans les provinces d’Assam, du Nagaland ou de Manipur.

De l’art de convertir la liberté en soft power

Les réseaux sociaux offrent à l’Inde une opportunité inespérée de progresser en matière de soft power à peu de frais. La liberté octroyée à ses citoyens de râler sur le Net et de combattre pour le changement (avec ironiquement bien moins de résultats qu’en Chine) permet à New Delhi de disposer d’une « diplomatie publique ». Quel que soit le message que tentera de faire passer un internaute indien, il apparaîtra en tout cas libre de l’exprimer. Vu de l’étranger, son pays sera perçu comme un Etat libre et ouvert.

Le syndrome Exxon Valdez

Lors de la marée noire qui suivit le naufrage de l’Exxon Valdez, en 1989, des chercheurs ont constaté qu’une compagnie pétrolière qui reconnaissait ses erreurs et sa responsabilité gagnait en image de marque. A un point tel qu’elle pouvait même, paradoxalement, dépasser en popularité des entreprises n’ayant causé aucun désastre écologique.

C’est ce syndrome qui permet à l’Inde de souffrir d’innombrables problèmes sans que, pour autant, son image ne s’en trouve écornée. En autorisant son peuple à se plaindre de tout librement, New Delhi parvient à occulter ses véritables problèmes et défaillances aux yeux de ses voisins. 

En revanche, peu importe le nombre de conférences sur le bouddhisme organisées en Chine, le nombre de temples restaurés ou les milliards investis dans l’organisation de festivités grandioses : tant que l’Etat chinois continuera à censurer sans scrupules, l’œil du monde restera focalisé sur les faiblesses que Beijing s’efforce de faire oublier.

GlobalPost/ Adaptation Emmanuel Brousse pour JOL Press

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