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La justice argentine enquête sur les crimes franquistes

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[image:1,l]Maria Servini de Cubria, juge fédérale de la province de Buenos Aires, a ouvert une enquête après une plainte déposée par des avocats espagnols et argentins représentant plusieurs associations de défense des droits de l’Homme, notamment l’ARMH (Association pour le rétablissement de la mémoire historique).

Ce cas représente un retournement de situation assez inédit. Les tribunaux espagnols avaient en effet pourchassé, jusqu’à récemment, d’anciens responsables des dictatures militaires d’Amérique Latine des années1970 et 1980, coupables d’avoir porté atteinte aux droits de l’Homme. Parmi eux, des Argentins.

Le cas le plus emblématique – et de loin – avait été l’arrestation en 1998 de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, alors qu’il se trouvait dans une clinique privée londonienne où il était soigné pour une hernie discale.

La transition par le silence

Carlos Slepoy est un avocat argentin installé à Madrid. Ce spécialiste des questions liées aux droits de l’Homme travaille en étroite collaboration avec l’ARMH. Comme il l’explique à GlobalPost, les plaintes déposées auprès de la justice argentine pourraient permettre, de la même façon, de faire tomber les membres du régime de Franco encore en vie.

Contrairement à beaucoup d’autres pays qui connaissent, ou qui ont connu une transition vers la démocratie, comme le Chili, l’Argentine, le Pérou, le Guatemala , l’Espagne n’a jamais pleinement assumé la vérité, ni essayé d’aller vers une réconciliation.

Il n’y a jamais eu de procès pour les violations des droits de l’Homme perpétrés par la dictature espagnole. En 1977, une amnistie générale a été décrêtée. Elle couvre les trois décennies franquistes ainsi que la guerre civile qui les avait précédées, deux périodes au cours desquelles sont mortes ou disparues plus de 113 000 personnes, pour la plupart inhumées dans de vastes fosses communes.

Parallèlement, on estime à 30 000 le nombre d’enfants enlevés à leurs parents, opposants au régime de Franco, souvent des socialistes ou des communistes.

Une omerta judiciaire

A présent, l’ARMH estime, au même titre que plusieurs autres associations, que cette amnistie était illégale au regard des conventions internationales sur les droits de l’Homme. Selon eux, un crime contre l’Humanité peut, par définition, être jugé n’importe où, pour peu qu’il ait été prouvé que la juridiction du pays concerné refuse d’enquêter convenablement.

Dans le cas de l’Espagne, l’unique investigation en date était celle lancée par le juge Baltasar Garzón. Celui-là même qui était à l’origine de l’arrestation de Pinochet.

L’enquête a depuis été suspendue et le juge Garzón en personne se retrouve sur le banc des accusés, soupçonné d’avoir conduit des écoutes illégales et d’avoir contrevenu à plusieurs de ces lois d’amnistie. Pour certains, le crime principal de Baltasar Garzón serait surtout d’avoir mis en péril le délicat équilibre qui a su, malgré tout, assurer à l’Espagne une transition indéniablement réussie vers la démocratie.

« Il y a une impunité terrible en Espagne » assène Carlos Slepoy. « Il y a eu des milliers d’enfants volés à leurs parents qui n’ont jamais pu retrouver leur véritable identité ni savoir qui ils sont vraiment ». Un constat terrible qui sonne comme un rappel à une histoire que les Espagnols ont voulu oublier… tout comme ses victimes.

La course contre la montre de la juge Servini de Cubria

A présent, la balle semble renvoyée de l’autre côté de l’Atlantique, sur le bureau de la juge Servini de Cubria.

Celle-ci se penche désormais sur la longue documentation qu’elle a pu obtenir de l’Espagne et se lance dans une lutte contre le temps. Car si certains responsables franquistes sont encore en état d’être jugés, beaucoup ne sont déjà plus de ce monde. Certains dossiers qu’a en sa possession Maria Servini de Cubria concernaient notamment Manuel Fraga. Ancien ministre de l’Intérieur et fondateur du parti Alliance Populaire qu’il avait ensuite légué à José Maria Aznar, cet homme politique avait également participé au gouvernement de Franco de 1962 à 1969.

L’enquête argentine aurait pu compromettre cet ex-député considéré par beaucoup comme un des artisans de la transition démocratique espagnole.

Il n’en sera rien. Manuel Fraga est décédé, dimanche 15 janvier, à l’âge de 89 ans. Un peu trop tôt pour répondre de ses actes. Mais pour ça, peut être est-il déjà beaucoup trop tard.

GlobalPost / Adaptation Emmanuel Brousse pour JOL Press

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