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La logique des marchés financiers et la loi du marché

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Les marchés financiers dictent actuellement leur loi aux gouvernements européens, mais les crises successives qui menacent maintenant le système financier mondial de façon systémique conduisent à s’interroger sur la logique des marchés. La loi du marché est présentée comme synonyme d’efficacité et les marchés financiers avaient été présentés  depuis une quarantaine dannées comme étant un moteur de l’économie, mais on souligne que cette crise met en péril « l’économie réelle ». La financiarisation de l’économie, qui sest traduite par une transformation des marchés, qui se traduit par des crises boursières, bancaires et monétaires dont lampleur saccroit au point de créer une menace planétaire.


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La transformation des marchés financiers


Les marchés financiers étaient des lieux géographiques où s’échangeaient des actions et des obligations, c’étaient des bourses où les transactions se faisaient physiquement à la corbeille. Maintenant les marchés financiers sont principalement dématérialisés et c’est par voie électronique que s’échangent des capitaux au comptant ou à terme, des transactions sur des actifs financiers et de plus en plus des produits dérivés. Les actifs financiers font l’objet de marchés séparés, y compris dans leur régulation, mais ils constituent en fait un continuum.


Les volumes des transactions sur les marchés boursiers sont une portion infime des transactions sur les marchés financiers et leur importance dans les médias est due au fait qu’ils sont ouverts aux publics. Ces volumes ne sont qu’une fraction de ceux sur les marchés des changes, qui ne représentent eux mêmes qu’une fraction des marchés de dette (marché monétaire et marché obligataire). Le plus gros volume des échanges a lieu par le biais de produits dérivés. L’intermédiation des ordres d’achat ou de vente se fait par des professionnels, les « services d’investissement ».


Les marchés financiers avaient été réduits à un rôle mineur après la crise boursière de 1930 qui avait plongé l’économie mondiale dans la Grande Dépression. Les actionnaires étaient qualifiés de boursicoteurs, ils étaient accusés de « jouer » en bourse et de s’adonner à une spéculation ruineuse pour les entreprises. La période de reconstruction de l’économie après la Deuxième Guerre mondiale, qui a donné naissance aux Trente Glorieuses, a été l’ère des managers, dont le pouvoir était basé sur la défiance à l’égard des actionnaires. 


La société est devenue, en Occident, une société de consommation, et la consommation comme l’investissement ont été alimentés par le crédit permettant de satisfaire immédiatement les besoins.  Avec la crise économique du début des années 1970,  la fin de l’étalon or a entrainé le développement du marché des changes. Les économies se sont tournées vers les marchés pour suppléer à l’épuisement des finances publiques.


Depuis une quarantaine d’années, les marchés financiers se sont transformés avec l’afflux de liquidités résultant des recettes pétrolières, des augmentations des prix des matières premières et des excédents commerciaux des pays émergents. Les marchés financiers ont été déréglementés, d’abord par Ronald Reagan aux USA puis par Margaret Thatcher.Le gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy libéralise les marchés financiers en France.


Le capitalisme occidental s’est orienté vers un capitalisme financier, le capitalisme de production, avec les industries manufacturières, mais aussi les services comme l’informatique, s’est déplacé vers les pays émergents.


Une industrie financière ayant vocation à compenser la désindustrialisation a été développée depuis les  années 1970. Wall Street et la City constituent des pans importants des économies respectivement américaines et anglaises.


Cette industrie financière repose sur le développement de produits financiers, d’instruments financiers de plus en plus complexes, avec des titres hybrides et des titres de synthèse. L’innovation financière s’est appuyée sur le développement des mathématiques financières et l’utilisation de l’informatique. Elle a créé un capital sans capital, des obligations perpétuelles avec des titres subordonnés à durée indéterminée, elle a transformé des déchets financiers, les junk bonds, les subprimes et les obligations  restructurées, en titres labélisés par les agences de notation comme étant aussi sûrs que les obligations des états.


Le marché des changes s’est développé après l’adoption par les Etats Unis du système des taux flottants. Les marchés de dette se sont développés de façon colossale avec le gonflement de la dette des pays industrialisés, le recours des entreprises aux marchés internationaux, le développement aux Etats Unis de la retraite par capitalisation. Les volumes globaux quotidiens sont maintenant en milliers de milliards de dollars, alors que les marchés de dérivés ont des volumes d’un ordre de grandeur supérieur.


Les places de marchés sont devenues des entreprises de marchés. Il s’agit du passage d’une conception où la bourse avait une spécificité liée à la nature des opérations, où la Société des Bourses Française avait un rôle déontologique qu’elle partageait avec la Commission des Opérations de Bourse et avec la Commission des Marchés financiers, a un rôle de prestataires de services en matière de marchés financiers à la recherche du profit.


Les crises des marches financiers


Le développement des marchés financiers s’est accompagné d’une série de crises qui ont secoué tous les marchés, avec une amplitude de plus en plus grande.  


A la suite de la naissance d’océans de liquidités générés par les chocs pétroliers, les marchés financiers ont commencé une croissance démesurée avec la débauche de prêts aux pays en voie de développement sous forme deurocrédits et deuroémission. Cette explosion de la dette souveraine des états que l’on qualifiait alors de pays en voie de développement a été suivie par une crise des banques américaines. C’est de cette époque que sont nées les techniques de rehaussement de crédit et les techniques de titrisation pour rassurer les marchés financiers.


Les liquidités ont ensuite été déviées vers les prêts à l’immobilier qui ont débouché par la crise des Savings & Loan et les scandales des junk bonds, avec en particulier la faillite de Drexel Burnham Langer à la fin des années 1980. Un krach boursier s’est déclenché en 1987. Les marchés financiers ont ensuite été secoués par la quasi-faillite du fonds LTCM en 1998.  


Les marchés boursiers ont été ébranlés par une série de scandales démontrant les dysfonctionements des marchés parmi lesquels on compte Enron, Worldcom, Parmalat, Eurotunnel, avec des faillites et des restructurations frauduleuses.


Les banques ont été le lieu de gigantesques fraudes avec des « traders fous » exploitant les déficiences des marchés et en particulier Barings (Leeson) et la Société Générale (Kerviel). 


Une série de défauts de dette souveraine a secoué les marchés financiers de 1998 à 2005 avec en particulier le défaut de la Russie en 1998 et de l’Argentine en 2001. La bulle des dot.com a explosé en 2000 après avoir animé les marchés financiers.   


A partir de 2007 les marchés financiers sont menacés par la crise des subprimes. Des crises systémiques à l’échelle planétaire se développent : la crise de 2007-2009 se prolonge par la crise qui se développe depuis 2010. Ces crises ont un effet dévastateur sur l’économie réelle, et les solutions à la crise prises sous la pression des marchés menacent l’économie. 


La crise qui s’est d’abord manifestée par la crise des subprimes aux Etats Unis traduit le déséquilibre entre les pays émergents et les pays occidentaux, avec une accumulation de réserves en dollars et en euros et une expansion débridée des liquidités. Ces liquidités ont suscité une transformation des marchés financiers, avec une concurrence féroce pour attirer les investisseurs et profiter de ces liquidités. La finance s’est transformée en industrie financière, promettant des rendements élevés et sans risques par la magie de l’innovation financière. La logique des marchés financiers est ainsi devenue une logique essentiellement spéculative et fondée sur le pari, la finance est devenue essentiellement un jeu d’argent.


La logique des marchés financiers et l’économie financière


Si les marchés financiers sont qualifiés de marchés en ce qu’il y a confrontation de l’offre et de la demande, le mécanisme de fixation des prix traduit de moins en moins une logique économique. Par ailleurs l’information est soit d’une abondance et d’une complexité qui la rend incompréhensible, soit lacunaire ou absente, interdisant toute efficience économique.


Les marchés financiers sont devenus le lieu de commercialisation de produits financiers, de plus en plus déconnectés de la réalité économique et résultant de l’ingénierie financière et juridique. Les marchés boursiers ont imposé leur loi aux entreprises et donné naissance au capitalisme financier, avec la financiarisation de l’économie.


L’information des marchés financiers


L’information fournie aux marchés financiers est de plus en plus abondante, de plus en plus fréquente, mais aussi de moins en moins compréhensible et significative. L’information du marché est de plus en plus dissociée de la réalité économique, elle est de plus en plus fabriquée dans le cadre de la production financière et tournée vers les marchés eux-mêmes.


L’information financière devient de plus en plus de la communication financière. Elle est d’autant moins fiable qu’elle est détaillée. Ni les autorités de marché, ni les tribunaux ne sanctionnent  réellement les informations trompeuses. 


Une information comptable sur les sociétés cotées est fournie aux marchés financiers, ainsi qu’une information financière. L’information comptable suit des normes comptables  dont les scandales financiers (Enron, Worldcom, etc.) ont démontré l’inadéquation. Les règles comptables, la créativité comptable et les techniques de gestion de bilan, les normes comptables avec les actifs marked to market  font que l’information financière, dont la quantité, l’abondance et la technicité offrent  l’illusion de l’exactitude, donne une illusion d’optique. La méthode de rédaction des normes comptables est plus propice aux stratégies de contournement qu’à l’efficacité de la régulation.


Avec l’évolution du capitalisme occidental, l’essentiel des actifs sont des actifs immatériels. Ce qui reste d’actifs de production est valorisé en fonction de leur utilisation et rentabilité futures, ce qui relève de la prévision avec tous les aléas que cela comporte. Il faut souligner que les normes comptables ne prévoient pas de quantification des risques juridiques et contentieux, alors que ceux ci prennent une importance capitale dans la vie de l’entreprise.


Le capitalisme occidental est non seulement devenu un capitalisme financier, mais aussi un capitalisme juridique, comme le démontre par exemple la guerre des brevets concernant les smartphones et les tablettes. La chute quasi-totale de la valeur des actions de Kodak en quelques années, alors que l’inventeur de la photographie argentique avait démontré en étant à l’origine de la photographie numérique qu’il avait toujours une considérable capacité dinnovation, montre en particulier comment une entreprise peut se faire piller ses actifs immatériels. La possibilité de commercialisation des produits peut être bloquée par des actions en contrefaçon ou en concurrence déloyale. La rentabilité de cette commercialisation peut être affectée de façon  importante par des actions concernant les prix (comme le contentieux sur le prix du gaz) ou par des actions en abus de position dominante (comme les contentieux sur la tarification des communications téléphoniques). Les procès du Mediator montrent comment une entreprise peut voir sa santé financière brutalement compormise par des procès en responsabilité.


L’information fournie aux marchés concerne les entreprises. Le porteur de titre ne peut en déduire réellement les droits sur les revenus qui sont censés être à la base de la valorisation des titres. Les droits des porteurs de titres sont obscurcis par une opacité qui résulte de l’ingénierie financière et juridique : la composition du capital est complexe : le capital est flanqué d’un « nouveau capital », un Canada Dry d’obligations à goût de capital, avec des obligations convertibles et des obligations échangeables, auxquelles s’ajoutent OBSA, ORA, OCEANE etc. Les actions sont démembrées. Les obligations font l’objet de montages structurés. Le principal est dissocié des intérêts. Des opérations de swaps transforment les conditions des titres. La propriété n’est plus qu’une forme de sûreté. Des opérations dérivées viennent enfin modifier les risques et obligations. Le marché obligataire est devenu d’un autre ordre de grandeur que le marché des actions.


L’actionnaire n’a plus qu’un rôle résiduel et s’efface derrière l’obligataire. Le maquis est inextricable, les informations comptables et financières n’ont plus de pertinence réelle pour le porteur de titre.


La fixation  des prix sur les marchés financiers


Les marchés financiers fonctionnent de façon différente des marchés de biens ordinaires. Les titres, maintenant essentiellement dématérialisés, et à plus forte raison les dérivés, sont des biens dont le prix ne répond pas aux méthodes de valorisation des biens ordinaires. La confrontation de loffre et de la demande a des effets très spécifiques et les marchés financiers ont un fonctionnement  comportemental.


Les effets de la confrontation de l’offre et de la demande sur les marchés financiers


L’équilibre des prix résultant de la confrontation de l’offre et de la demande  sur les marchés financiers ne dépend pas de la rareté objective des biens, mais de facteurs subjectifs.


En fait l’abondance des biens, loin de faire baisser les prix, est susceptible au contraire d’accentuer l’engouement et d’alimenter une hausse des prix. La production des biens financiers n’a aucun coût. Les prix sont  fonction de l’anticipation des revenus futurs et l’augmentation du prix d’un actif financier peut être considérée comme le signe d’une accélération de la hausse. Inversement la baisse fera s’accélérer la baisse. Les anticipations sont fortement mimétiques. Les marchés financiers n’ont donc pas de rôle stabilisateur, ils ont une dynamique subjective avec une volatilité accentuée par la liquidité. 


Les marchés financiers  et  le fonctionnement comportemental


Les marchés financiers sont un ensemble à deux niveaux. En ce qui concerne les marchés boursiers il y a d’une part une foule d’investisseurs ultimes, avec la multitude des particuliers, dont la plus grande partie des investissements est réalisé sur les marchés par le biais d’investisseurs institutionnels.


Les actionnaires individuels sont encouragés par les banques à investir par le biais des  OPCVM, et ils sont aussi découragés par les divers scandales boursiers. Aux Etats-Unis, alors que 90% des actions américaines étaient détenues directement par les ménages en 1950, cette part s’est réduite en 2007 à moins de 30%, qui de plus sont essentiellement des dirigeants d’entreprise qui détiennent des actions des sociétés qu’ils dirigent


Sur les marchés obligataires et les marchés de dérivés, les investisseurs sont essentiellement des banques et depuis la dérégulation des entreprises. Les opérateurs  professionnels de marché sont donc les acteurs principaux des marchés financiers. Les opérations pour compte propre s’ajoutent aux opérations pour compte de tiers.


De la même façon qu’un groupe a un comportement qui change suivant le nombre de personnes qui le compose, avec une psychologie sociale dissociée des comportements individuels, et que les foules ont une psychologie propre, les marchés financiers ont un fonctionnement spécifique.  


Ce comportement se caractérise en particulier par un mimétisme et un panurgisme explicable, d’autant plus explicalbe qu’il s’agit d’anticiper les fonctions de l’anticipation du marché.


La gestion indicielle et l’analyse graphique sont à la fois des causes et conséquences du comportement des marchés financiers.


Les capitalisations boursières traduisent des cours qui reposent sur des ratios, les PER, qui ajoutent une part essentielle de subjectivisme. La valorisation par un multiple des revenus anticipés fait dépendre le prix, au-delà de la prévision des résultats futurs de l’entreprise, de l’estimation de la stratégie des dirigeants de répartition et de distribution  du résultat.


Le subjectivisme se traduit par une évolution des cours qui reflète moins les fondamentaux économiques que les prévisions faites par les opérateurs sur les marchés de l’évolution et les attentes du marché.


Les marchés financiers et la financiarisation de l’économie


Les marchés financiers ont été érigés en maitres de la gestion des entreprises, ils imposent la financiarisation de l’économie. Le mouvement de « corporate governance » qui visait à restaurer le pouvoir des actionnaires face aux dérives des dirigeants, à la suite des scandales Maxwell, BCCI a été dénaturé : les efforts de protection des actionnaires ont déviés en promotion de la shareholder value, de la « valeur actionnariale ». La valeur actionnariale fait de l’objectif de « création de valeur actionnariale » l’unique critère de la performance des dirigeants. Les marchés financiers, avec l’aval des autorités de marché, imposent aux dirigeants de maximiser le profit pour les actionnaires. Les marchés attendent une rémunération des actions qui est celle des obligations les plus rémunératrices avec une prime de risque supplémentaire traduisant l’aspect totalement subordonné des actions. Le concept de valeur actionnariale repose en effet sur l’idée que le capital doit avoir une rémunération supérieure à celle de la dette. Cette idée va à  l’encontre de la notion d’apport de fonds propres fait par l’actionnaire qui compare le rendement de ses actions à d’autres types d’épargne longue, qui prend le risque ultime mais sans rémunération de cet aspect qui constitue en fait l’affectio societatis. Elle traduit la financiarisation du capital, où la shareholder equity devient en fait la dette la plus subordonnée.


On passe d’un concept du capitalisme où les fonds propres avaient un coût aléatoire, l’actionnaire assumant les risques de l’entreprise auxquelles il faisait un apport de fonds, à un concept où les fonds propres représentent la ressource la plus onéreuse, avec des investisseurs contrôlant le capital imposant aux dirigeants d’extraire de la société cette rémunération. Par ailleurs, par le biais en particulier des stock-options, les intérêts des dirigeants sont strictement alignés sur ceux des investisseurs financiers. Les exigences de rémunération quant aux capitaux investis, et la sanction personnelle affectant les dirigeants si ces exigences ne sont pas satisfaites, poussent les dirigeants à privilégier les opérations en capital.


L’évolution du cours de bourse se fait en fonction de stratégies à court terme : les marchés financiers ont une optique fondée sur des visions dogmatiques, telles que la mode des « fabless », les entreprises sans usine, les « licenciements boursiers » sont salués par les marchés. La vocation des titres aux résultats, les droits sur les actifs sociaux sont nébuleux. Les banquiers d’affaires, avec les agences de notation, deviennent les maîtres de l’information et donc de la spéculation. Les PER depuis une trentaine d’années sont basés sur des hypothèses hautement spéculatives.


La financiarisation de l’économie favorise le fonctionnement comportemental des marchés financiers. Le caractère artificiel et fabriqué des produits financiers se prête en effet à la manipulation du public.


Cette psychologie comportementale se traduit par des réactions largement irrationnelles,  déconnectées de la réalité. Elle se prête aux opérations dinitiés et aux manipulations.


Elle est à la base du développement de la finance casino.


La logique des marchés financiers et la  finance casino  


Pour attirer les liquidités, et afin de générer des profits substantiels, les marchés financiers sont devenus essentiellement spéculatifs. Cette évolution a été permise par la dérégulation, qui a visé à transformer les places de marchés en centres de profits et qui a fait de la liquidité l’objectif primordial, et qui a exempté les marchés dérivés de toute régulation.


Les marchés  et  la spéculation


La spéculation est une opération dont la logique est de parier sur la fluctuation des cours sur les marchés. Une logique spéculative se focalise sur l’anticipation de l’évolution des positions sur les marchés.


Les transformations de la société par la spéculation par les marchés sont un phénomène qui est né il y a trois siècles. Le premier krach boursier date de 1720, avec une crise boursière faisant suite à la bulle des mers du Sud entre 1711 et 1720. Il peut être considéré comme un résultat d’une phase de mondialisation et de la religion du progrès.  La Compagnie des mers du Sud s’était vu confier le monopole du commerce avec les colonies espagnoles en Amérique suscitant une bulle qui s’est dégonflée lorsque les concessions obtenues par la Compagnie n’ont pas été à la hauteur des espoirs.


Les transformations de la société par la spéculation ont été dépeintes par Swift dans Les Voyages de Gulliver après son expérience personnelle puisqu’il avait acheté des actions de la Compagnie des mers du Sud pour 1 000 livres. La spéculation avait fait passer la valeur d’une action de 128 livres à 1 050 livres avant qu’elle les fasse s’effondrer, ruinant bon nombre de commerçants britanniques. C’est cet accroissement puis cette miniaturisation de la fortune  en un temps très court que dépeint Swift en faisant évoluer la taille de son héros.


Le terme de spéculateur avait été associé depuis la crise de 1930 à celui de boursicoteur, ou d’agioteur. Il était ainsi devenu péjoratif, alors que dans le sens originel du terme la spéculation est une vision se focalisant sur l’avenir à long terme.


Les traders dans les salles de marché, les logiciels de gestion et les techniques de gestion indicielle et le high speed trading sont la concrétisation de la logique spéculative et les profits qu’ils génèrent et qu’ils s’attribuent démontrent la part importante prélevée par ceux qui profitent de cette focalisation sur les transactions.


Les bourses ont perdu l’essentiel de leur fonction d’orientation des investissements vers les entreprises performantes. Elles ne sont que des places permettant de donner une valorisation aux actions détenues par les investisseurs en capital. Les investisseurs sont orientés vers les entreprises affichant des perspectives de revenus grâce à une gestion conforme aux dogmes du marché.


Les banques ont prétendu écarter l’aspect spéculatif de leurs activités sur les marchés en cherchant à assimiler spéculation à une prise de position directionnelle limitée. C’est ainsi que dans le dossier Kerviel, la Société Générale a affirmé qu’elle n’avait pas d’activité spéculative alors même que la Société Générale avait une des plus fortes activités de toutes les banques mondiales sur les marchés dérivés et que l’activité de trader est essentiellement spéculative.


Spéculation et liquidité


On peut considérer que c’est le marché, et plus encore le marché continu, qui génère une logique de spéculation en faisant de la liquidité du marché une qualité essentielle. La liquidité est considérée comme nécessaire pour attirer les investisseurs sur les marchés en leur offrant une perspective de sortie à tout moment. La liquidité est utilisée pour justifier les opérations telles que la vente à découvert et les produits dérivés qui sont essentiellement spéculatifs.


L’obsession de la liquidité affecte le fonctionnement du marché. Les marchés financiers sont devenus de simples places de commerce des produits financiers, la production étant assurée par les émetteurs sous la houlette des banques d’affaires, avec la participation des avocats d’affaires, des cabinets d’audit et des agences de notation. L’achalandage est constitué des banques, des Opcvm, des hedge funds et des particuliers.


Spéculation et coût des transactions


La réglementation des marchés se situe dans cette logique réduisant le rôle des marchés à la vente et revente de titres : elle vise essentiellement à réduire le coût des transactions et à développer la liquidité. Les bourses qui fonctionnaient comme des monopoles nationaux fortement régulés, sont devenues des sociétés par actions, recherchant le profit. La directive Marchés d’instrument financiers a amplifié cette évolution, le monopole des bourses est aboli avec le développement de plateformes alternatives. Les marchés de gré à gré se développent de façon exponentielle. Les places de marchés et les autorités de marchés cherchent essentiellement à courtiser les émetteurs, pour assurer des volumes de transaction. Le développement de l’opacité des marchés se fait au profit de gros opérateurs.


Spéculation, bulles et cycles


La logique spéculative est propice à la formation de bulles, la spéculation s’autoalimentant. Ces bulles sont d’ailleurs souvent présentées comme nécessaires au dynamisme des marchés


Elle se traduit par des cycles, qui sont d’ailleurs attribués à des mécanismes psychologiques. La dynamique de l’instabilité financière est ainsi analysée comme résultant de trois phases d’évolution de la psychologie des marchés. La première est une phase d’euphorie, qui est ensuite suivie d’un ajustement avec un retournement des anticipations, et enfin, une phase de neurasthénie, conduisant à la crise.


En fait les phénomènes qualifiés de cycliques sont des phénomènes d’agitation, avec  des mouvements ascendants et descendants ; qui enrichissent tous ceux qui vivent des transactions soit en commissions, soit en prestation de services concernant les opérations. Cette agitation des marchés génère des commissions de courtage, des frais de transaction, elle accompagne des opérations de marché. Celles-ci enrichissent les banquiers, avocats et auditeurs qu’elles réussissent ou qu’elles échouent, comme elles le font dans la majorité des cas, suscitant des opérations de restructuration hautement profitables.  


Les marchés et les jeux d’argent et paris


Les marchés financiers ont transformé les marchés en places de jeux d’argent et paris.  Dans une société où les gains mirifiques des loteries, sans travail ni compétence mais grâce à la chance attirent la foule des parieurs (et où l’astrologie et la voyance font recettes) et où même le fisc favorise cette activité par l’absence de fiscalisation, la transformation des marchés en casino correspondait à l’air du temps.


Cette transformation a été faite grâce à l’habillage qu’a procuré la consécration de l’économie en science exacte grâce à la création d’un Prix Nobel de l’économie. Les marchés de dette, et en particulier les marchés dérivés, sont devenus de gigantesques lieux où s’échangent les paris, avec des jeux d’argent baptisés « swaps », CDS et autres produits dérivés. Ces lieux sont couverts par une large opacité, l’essentiel des opérations se faisant de gré à gré. La logique des marchés devient focalisée sur le risque, la finance prétendant gérer le risque, le définir et le réduire tout en en gardant le rendement.


La théorie des marchés financier et les mathématiques financières


La finance a convaincu les politiques, les gouvernements et les régulateurs que le  fonctionnement pouvait être modélisé, prédit, analysé et organisé par les mathématiques financières.  


La théorie de la spéculation de Louis Bachelier avait marqué 1900 la naissance des mathématiques financières. La théorie moderne des marchés financiers remonte au modèle d’évaluation des actifs financiers, avec en particulier l’étude du problème d’évaluation des options dans les années 1950-1970. Les mathématiques financières utilisent les probabilités et prétendent dériver le cours des actifs financiers de leur histoire.


Ces mathématiques financières ont été utilisées pour développer  une modélisation des marchés financiers conduisant à une analyse des opérations sur le marché comme résultant de mouvements aléatoires. L’absence de logique rationnelle des marchés financiers est le postulat sur lequel s’est développée l’ingénierie financière. Les techniques financières se fondent sur une analyse probabiliste des risques associés aux produits financiers.  


La logique de pari concernant les marchés financiers repose sur l’utilisation de l’informatique grâce à des modèles mathématiques dans une optique de commerce. Le fonctionnement des marchés financiers est vu uniquement par référence à l’aspect marché. L’aspect financier lié à la nature des biens commercialisés est ignoré. L’analyse probabiliste avec un mouvement brownien débouchant sur des répartitions gaussiennes reflète l’état de la réflexion scientifique du milieu du XIXème siècle. Elle ne tient pas compte des modèles plus élaborés exigés par la non-linéarité des cours correspondant aux crises, de la non-symétrie des mouvements à la baisse et à la hausse. Elle ne tient pas compte du fait que les marchés ont une dynamique : alors que le modèle stochastique repose sur un mouvement aléatoire qui est celui qui caractérise les mouches, les marchés sont animés par des mouvements concertés comparables à celui d’un essaim, comme celui de « The Prey » de Michel Crichton.


Valorisation des options et probabilité


Les opérateurs utilisant ces théories avec leurs théorèmes comme celui de Black  Scholès, qui a valu le Prix Nobel d’économie à ses inventeurs, pour des valorisations tant pour la vente que pour l’achat, le marché à vécu quelque temps dans l’illusion d’une vérification de ces théories.


Les crises ont démontré les lacunes  de ces théories, dont les hypothèses restrictives sur la dynamique du sous-jacent ignoraient les dynamiques des marchés. Malgré la faillite de LTCM, le fonds qui avait été créé par les Prix Nobel les marchés ont persévéré dans leur erreur.  


Produits financiers, risques et probabilité


Les analyses probabilistes ont été au coeur du développement de produits financiers conçus pour les marchés, en particulier fondés sur la titrisation. L’atomisation de portefeuilles de créances avec la dissémination du risque ont été présentés comme éliminant le risque. L’alchimie financière s’est crédibilisée par l’utilisation massive d’équations donnant une impression de technicité excluant la discussion. Toute critique, en particulier par les régulateurs et politiques, était écartée, chacun n’osant avouer son incompréhension face à des financiers qui parlent de « calcul stochastique » et brandissent force équations et ne voulant pas paraitre rétrograde en mettant en question « linnovation financière ». La prétendue « innovation financière » est d’ailleurs fondée sur des techniques dont l’aspect innovation résulte seulement de l’appellation anglo-saxonne : c’est ainsi par exemple que le réméré est ainsi baptisé « repo », le contrat d’échange « swap ».


Les banques avaient tout intérêt à promouvoir ces techniques de pari, où ils prétendaient avoir mis au point des martingales. La logique de pari, comme dans les loteries, est en effet source de profits considérables, car elle permet d’attirer les parieurs en très grand nombre avec d’énormes paris.


La présentation technicienne de ces produits par des banquiers affirmant leur omniscience, avec la labélisation par les agences de notation, cautionnée par les régulateurs, était de nature à séduire des marchés financiers. La finance prétendait en effet garantir des rendements élevés dinstruments de dette mais sans le risque, normalement associé à des taux d’intérêt élevé.  


Les analyses probabilistes sont à l’origine du développement des subprimes dans la lignée des junk bonds : la magie financière est censée pouvoir  modifier les probabilités, garantir contre les risques. Les financiers ont prétendu garantir contre le risque, et se sont présentés comme des assureurs.


Obligations et assurances


Lassurance dite mono-ligne a  été présentée comme protégeant contre les risques concernant des obligations. L’assurance mono-ligne avait d’abord été une caution mutuelle donnée par des émetteurs d’obligations locales aux Etats Unis, pour rassurer les marchés ébranlés par la faillite dOrange County. La mutuelle s’est ensuite transformée en société en prenant le statut d’assurance et en donnant sa garantie à des émissions obligataires. Cette garantie, qui reposait sur le AAA accordé à ces sociétés, était fallacieuse car les assureurs mono-lignes qui prêtaient leur AAA n’avaient manifestement pas la capacité financière pour assumer leurs engagements. La logique de pari est bien entendu essentiellement à la base des marchés dérivés.


Compte tenu des volumes en cause, même l’assurance classique est incapable de faire face aux risques des marchés. C’est l’inconscience du risque qui a ainsi conduit AIG à la faillite.  


Le risque était structurel car les opérations qualifiées d’assurance ne reposaient pas sur un mécanisme d’assurance. Il s’agissait d’une prétendue « no risk insurance », d’une assurance sans risque. Le risque était prétendument réduit sinon exclu par la structuration des risques, à un degré attesté par la notation. La réduction ou l’élimination du risque était garantie par ce qui n’était qu’une garantie financière, sans les ressources financières nécessaires pour assurer les obligations assumées. L’assurance ne faisait que « prêter » le AAA magique.  


Hasard et crises


La crise qui ébranle les marchés financiers a démontré les insuffisances graves des analyses des « financiers quant ». Les difficultés de la prévision face au hasard a fait l’objet d’une critique imagée par le « Cygne Noir ». C’est en fait toute la base théorique des marchés financiers qui est en cause.


Le modèle utilisé par la finance de marché est globalement statique car en équilibre, il est symbolisé par un nuage de poussières s’agitant dans un milieu sans vent. Ce modèle est une approximation simpliste et inexacte, car les marchés financiers sont animés par diverses dynamiques et des déséquilibres sont par ailleurs générés par la finance elle-même. 


S’agissant de marchés où circulent des liquidités, la physique des fluides, y compris la superfluidité serait une approche plus appropriée, et fournirait une modélisation plus exacte que le mouvement aléatoire de poussières. Les équations concernant les fluides sont spécifiques et longueur d’onde et information peuvent être corellés.


La modélisation utilisant la physique des fluides conduit à prévoir des crises par un raisonnement similaire à celui qui permet la prévision de vagues scélérates. Frappée de bon sens et d’évidence elle ne permettrait pas aux ingénieurs financiers de se parer de vertus d’oracles sur la base d’une modélisation simpliste. Ceci en revanche n’aurait pas l’attractivité d’une image de casino et ne se prêterait pas à la production en masse d’instruments financiers. Loin de rassurer les détenteurs de liquidités en prétendant pouvoir offrir des produits à haut rendement mais sans risques par l’atomisation des masses financières elle alerterait sur les risques nucléaires. Elle ferait comprendre les conséquences des flux qui peuvent avoir une fonction d’assèchement, phénomène paradoxal à la base du séchage des bois. Les marchés ont une aversion au risque qui les rend vulnérables aux discours prétendant gérer les risques et mêmes les éliminer.


Les jeux mondiaux de la finance


Les marchés sont devenus un gigantesque réseau mondial de jeux d’argent et de paris, avec des paris portant sur des sommes astronomiques, puisque l’on évoque des volumes annuels de 700 000 milliards de dollars. Avec de tels volumes, et avec la volatilité des marchés, la masse de liquidités ne peut qu’être parcourue par des cyclones et des tsunamis. La météo financière déclenche des dérèglements climatiques sur ces marchés.


Ce réseau de salles de jeux est une industrie qui a généré des emplois très profitables, mais elle n’a plus une fonction utile pour l’économie. Wall Street et la City alimente l’économie comme le font Las Vegas, Atlantic City ou Macao. Les produits financiers créés par l’innovation financière sont comme ceux des organismes de jeux et paris, ils cherchent à créer l’addiction chez les joueurs.


Si on regarde cette industrie du jeu avec le regard du Huron, on ne peut qu’avoir étonnement et effarement. 


Des bookmakers prennent des paris alors qu’ils sont manifestement incapables de payer les joueurs, ce fut le cas des assureurs mono-lignes et même d’un des plus grands assureurs classiques, AIG, avec la prétendue « assurance » des obligations, en particulier municipales.


Des parieurs, qui sont des pompiers pyromanes, sont autorisés à parier sur l’incendie de bâtiments qu’ils sont censés protéger, et où ils vont stocker de l’essence. Ils parient avec les propriétaires de ces bâtiments qu’ils vont bruler, et lorsqu’ils brulent effectivement, ils demandent aux propriétaires tous les biens qui leur restent et jusqu’à leur chemise pour toucher leur pari en empêchant les propriétaires d’emprunter pour les payer. C’est ainsi que l’on voit des banques monter des « financements structurés »,  des opérations sur des « subprimes », les vendre sur les marchés et inciter ses clients à les acheter, tout en pariant pour son compte que ces produits qu’elle a fabriqués en en faisant des produits toxiques qui empoisonneront ceux qui les achèteront. On voit des banques inciter des états à se sur-endetter, parier qu’ils ne pourront pas rembourser et lorsque la perspective de la défaillance arrive à dicter à ces états une politique d’austérité, pour qu’ils ne puissent rembourser, leur reprocher de ne pas faire une politique de relance, qu’elle leur interdit de faire, et les forcer à lui donner jusqu’à leur chemise en les forçant à vendre, par le biais des privatisations, tous les bijoux de famille (ports, aéroports, entreprises industrielles, etc.).


Lors de ses voyages Gulliver avait découvert l’île de Laputa. Dans ce monde les « brillants » scientifiques veulent faire « profiter » le peuple de leurs brillantes innovations mais leurs inventions conduisent les peuples à la ruine. Les scientifiques finissent par perdre le bon sens.


Les marchés reposent sur la confiance, qui fait facilement appel à la crédulité. Le monde de Gulliver est celui de la crédulité, et Swift a donné à son héros un nom qui traduit cette crédulité (Gulliver vient de gullible, crédule). Les marchés de crédit sont particulièrement vulnérables, car le crédit est fondé sur la confiance. Les premiers krachs boursiers ont marqué le développement des marchés avec une phase de mondialisation et l’aube de la révolution industrielle, avec l’avènement des physiocrates. Dans une ère marquée par le dogme du progrès, de la science et des techniques, l’économie est victime des mêmes maux que la nature. L’exploitation des ressources financières s’est fait avec un endettement qui n’est pas durable, le climat des marchés financiers a subi un dérèglement qui cause vagues scélérates, cyclones et tsunamis.


La financiarisation de l’économie a donné le pouvoir aux marchés financiers. Les marchés financiers dictent leur loi aux actionnaires des sociétés et aux dirigeants des entreprises ainsi qu’aux États. Les marchés financiers ont généré d’énormes profits, sans transfert net durable à l’économie réelle, mais avec au contraire des ponctions financières importantes sur les entreprises. Le secteur financier est devenu une économie casino. La logique du marché est devenue la croyance en la magie financière, une logique fondée sur lillogisme et lirrationalité. Le capital n’est plus le résultat de capitalisation après accumulation, mais par anticipation, le capital est donc sans capital. Les obligations peuvent être des dettes à durée indéterminée, une dette perpétuelle que l’on rembourse à la Saint Glin Glin. Les obligations sans valeur (junk bonds et subprimes, dettes décotées) peuvent être aussi sûres que la monnaie. La dette des états européens qui ont adopté l’euro est une dette sans risques parce qu’elle est en euro.


Depuis que les pertes colossales ont fait suite aux pertes, les dangers systémiques ont forcé les Etats à prendre en charge une part importante des pertes. L’accroissement de la dette publique, alors que les états, comme les entreprises et les particuliers, avaient été incités à se surendetter, représente une charge en intérêt seul qui grève les revenus des états. La planète financière est menacée alors que les établissements financiers, qui saignent les états et les entreprises, sont infectés eux mêmes par les produits toxiques qu’ils ont répandus sur les marchés. La loi des marchés sest transformée en tyrannie des marchés, dictant une loi qui condamne les états à leur perte. Seul un printemps européen, soumettant les marchés à la loi, et rétablissant une logique économique des marchés financiers, peut mettre fin à cette dictature irrationnelle et destructrice. 

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