Site icon La Revue Internationale

Abdou Diouf : « Partout, un désir de français »

abdou_diouf.jpgabdou_diouf.jpg

[image:1,l]

> JOL Press : comment se porte l’usage de la langue française à travers le monde ?
M. Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie : la situation est plutôt bonne puisque le français n’a jamais été aussi demandé qu’aujourd’hui ! Les chiffres, qui sont en constante augmentation, nous le prouvent : en 2007, on comptait 200 millions de locuteurs français dans le monde et, en 2010, 220 millions. Ces chiffres sont minimalistes puisqu’ils ne comprennent que les personnes sachant lire et écrire en français. Il y a 116 millions de personnes qui apprennent notre langue, et il y en aurait beaucoup plus si nous avions davantage de moyens. Je voudrais, à cet égard, saisir cette occasion pour rendre un hommage appuyé à toutes celles et tous ceux qui font vivre ce formidable réseau de lycées français, d’instituts et de centres culturels français, d’alliances françaises, d’associations de professeurs de français. Si la langue française demeure la deuxième langue étrangère la plus enseignée dans le monde, si persiste et se développe, partout sur les cinq continents, un désir de français, c’est aussi à ces femmes et à ces hommes compétents, militants, passionnés que nous le devons.

Le désir de français est masqué par la tendance au « tout-à-l’anglais »

> JOL Press : on a parfois l’impression que l’usage du français est en recul sur la scène diplomatique, au sein des organisations internationales. La polémique renaît, notamment, à chaque édition des Jeux olympiques. Partagez-vous cette impression ? Quelle est l’action de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) dans ce domaine ?
M. Abdou Diouf  : je partage tout à fait votre point de vue. Ce désir de français que j’évoquais plus haut est complétement masqué par cette tendance, de plus en plus forte, au « tout-à-l’anglais » dans les organisations internationales et régionales. Je suis personnellement convaincu que l’avenir de notre langue se joue, dès maintenant, dans ces enceintes parce que le choix de la langue dans laquelle on s’exprime est déjà en soi un acte politique fort. Et je peux vous dire que l’on voit de plus en plus les représentants des États arabophones ou hispanophones, pour ne citer que ceux-là, s’exprimer dans leur langue.

Vous avez raison de citer les Jeux olympiques où le français est, avec l’anglais, langue officielle. Même plus, la Charte stipule qu’en cas de litige, c’est le français qui fait foi ! Pour contrer cette tendance, je nomme, avant chaque édition des Jeux olympiques, un Grand Témoin pour la francophonie, qui est chargé de veiller au respect de la Charte en matière linguistique. Cette année, pour les Jeux de Londres, j’ai confié cette tâche à Madame Michaëlle Jean, l’ancienne gouverneure générale du Canada.

Au niveau des enceintes internationales, la Francophonie se bat pour que tous les représentants de nos Etats membres respectent le Vade mecum que nous avons adopté en 2006 et s’expriment en français dans les organisations internationales, lorsque leur langue ne jouit pas du statut de langue officielle ou de travail. Nous avons récemment édité un guide de mise en œuvre de ce Vade mecum et nous comptons beaucoup sur le soutien actif des groupes des ambassadeurs francophones pour relayer notre action. Par ailleurs, nous organisons des formations linguistiques et thématiques destinées aux fonctionnaires et diplomates des Etats membres de l’OIF qui n’ont pas le français comme principale langue officielle, nous appuyons les services de traduction et d’interprétation de certaines organisations et nous soutenons l’Association des fonctionnaires francophones des organisations internationales (AFFOI). Enfin, nous menons, en coopération avec les autres aires linguistiques, des actions de plaidoyer pour le multilinguisme dans les organisations internationales.

Plus de 500 millions de francophones en Afrique en 2050

> JOL Press : Printemps arabe, développement du Commonwealth, présence croissante d’investisseurs chinois, promotion des langues nationales traditionnelles… Y a-t-il un risque de recul de la langue française sur le continent africain ?
M. Abdou Diouf  : je ne le pense pas. Les projections scientifiques dont nous disposons font état d’une croissance importante du nombre de locuteurs francophones sur le continent africain. Grâce à la scolarisation obligatoire et à la croissance démographique, l’Afrique devrait compter, en 2050, plus de 500 millions de locuteurs francophones. Et cette progression ne saurait en rien être entravée par des facteurs comme ceux que vous énoncez. Prenez l’exemple du Ghana, membre du Commonwealth, qui a choisi de devenir membre associé de l’Organisation internationale de la francophonie en 2008. Sur nos 75 Etats et gouvernements membres, 11 sont également membres du Commonwealth et cela n’empêche en rien la Francophonie de se développer. Bien au contraire !

Caractère universel et modernité de la langue française

> JOL Press : quelles sont les grandes priorités de l’OIF pour 2012 ?
M. Abdou Diouf : nos priorités restent axées autour des quatre grandes missions confiées à la Francophonie : promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme, appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche, développer la coopération au service du développement durable. En outre, cette année, nous avons prévu deux grands rendez-vous: le Forum mondial de langue française, qui aura lieu à Québec en juillet et qui sera organisé conjointement par l’OIF et le gouvernement du Québec. Un des objectifs du Forum est de mettre en évidence à la fois le caractère universel de la langue française et son inscription dans des réalités et des pratiques modernes. Nous souhaitons que ce rendez-vous, qui s’adresse surtout à la société civile et aux jeunes, soit le plus participatif possible. L’autre événement sera le XIVe Sommet de la francophonie, organisé à Kinshasa (RDC) en octobre 2012.

> JOL Press : Quel est votre mot préféré de la langue française pour 2012 ? 
M. Abdou Diouf espérance. Permettez-moi de citer Victor Hugo : « Car dans l’homme jamais l’espérance n’est vaine ».

Abdou Diouf, ancien président de la République du Sénégal de 1981 à 2000, a été élu Secrétaire général de la Francophonie au sommet de Beyrouth en 2002. Entré en fonction en 2003, Il a été réélu une première fois en 2006, par les chefs d’État et de gouvernement réunis lors du sommet de Bucarest, puis une seconde fois, en 2010, au sommet de Montreux.

Quitter la version mobile