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Abdoulaye Wade, un despote éclairé

[image:1,l]A l’origine, rien ne laissait présumer qu’Abdoulaye Wade deviendrait ce « despote éclairé », comme le surnomment ses opposants. Mais les scandales accumulés pendant ses deux mandats ont levé le voile sur une démocratie de façade qui cachait jusque-là les abus d’un homme politique électoraliste. À 88 ans, celui qui siège à la présidence sénégalaise depuis 2000 n’est pas décidé à abandonner le pouvoir, et ce malgré une opposition grandissante dans les rues du pays. La validation de sa candidature par le Conseil Constitutionnel est venue frapper le Sénégal, perturbé depuis des mois par les intentions du président sortant.  

Un détour par Paris et la franc-maçonnerie

Ses années d’étudiant ne prédisaient pourtant pas que cet homme né le 29 mai 1926 à Kébémer intimiderait les critiques et les journalistes des années plus tard. Ses études le conduisent à Paris, où il débarque en 1951 afin de suivre un cursus de mathématique au lycée Condorcet. Il poursuit ensuite ses études à l’université de Besançon et c’est titulaire de deux doctorats en droit et en sciences économiques décrochés à Grenoble, et riche d’une brève carrière d’avocat en France qu’il retourne plaider au barreau de Dakar et enseigner à l’université Cheikh Anta Diop dans les années 1970.

Dans son interlude français, Abdoulaye Wade a pris le temps de rejoindre les francs-maçons. C’est par la loge de Besançon qu’il aurait été approché alors qu’il n’était qu’un jeune professeur. Il avoue d’ailleurs avoir adhéré par curiosité, « espérant y trouver des échanges intellectuels de très haut niveau », mais aurait été radié il y a près de quarante ans, suite à sa démission volontaire.

Une famille politisée

[image:2,s]C’est à Besançon que Abdoulaye Wade rencontre sa future femme, Viviane Vert. Cette Française, qui décida de rester catholique et ne pourra à ce titre jouer le rôle d’intermédiaire entre l’Église et la présidence, lui donne deux enfants qu’il n’hésite pas à mêler à la politique. C’est ainsi que sa fille devint l’assistante spéciale du chef de l’État pendant que son fils Karim fait ses premiers pas dans le gouvernement, le 1er mai 2009, au poste de ministre d’État chargé de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. Quant à son neveu, Doudou Wade, il préside le parti majoritaire au Parlement.<!–jolstore–>

La course à la présidence

Les étapes ne tardent pas à s’enchaîner une fois de retour au Sénégal. Responsable local au Parti socialiste en 1973, Abdoulaye Wade est élu à l’Assemblée nationale en 1974 et représentera le Parti démocratique sénégalais (PDS) qu’il a créé l’année précédente jusqu’en 1980. En avril 1991, il s’approche de la présidence et devient ministre d’État auprès du président Abdou Diouf dans le gouvernement d’union nationale jusqu’en octobre 1992, et de 1995 à 1997.

En 1993 un scandale sanglant vient frapper sa carrière politique. Il est soupçonné avec trois autres membres de son parti d’avoir commandité l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, Babacar Sèye, en charge de la proclamation des résultats de l’élection législative, mais parviendra à échapper à la justice par manque de preuves.

Un « despote éclairé »

[image:3,s,r]Doté d’une personnalité particulièrement « complexe, instable et parfois insaisissable » d’après Mody Niang, auteur d’une biographie sur le président sortant, Abdoulaye Wade faisait peu de sentiments lorsqu’il s’agissait d’envoyer de jeunes sympathisants dans la rue après ses défaites successives aux élections présidentielles en 1978, 1983, 1988 et 1993. Mais le second tour historique du 19 mars 2000, où il obtient 58,1 % des voix face au président sortant Abdou Diouf, grâce au report de voix de Moustapha Niassa, le consacre. Le nouveau président s’engage dans une voie peu démocratique et dès l’année de son élection, il dissout le Conseil économique et social ainsi que le Sénat, qu’il juge inutile, avant de lui redonner vie en 2007 avec 67 de ses proches dans les rôles de sénateurs.

Avocat de formation, Abdoulaye Wade n’ignore pas l’importance de la Constitution. Cela ne l’empêchera pas de la modifier plusieurs fois sans consulter les chambres parlementaires, en prenant par exemple la décision de rétablir le septennat en 2008. Les scandales politico-sociaux s’accumulent et à l’approche de la fin de son mandat, Abdoulaye Wade enfonce son pays un peu plus dans le despotisme. La Corée du Nord a d’ailleurs collaboré à l’érection du Monument de la renaissance africaine, inauguré en avril 2010 et symbolisant pour beaucoup la mégalomanie du président.

Les succès de ses mandats                 

[image:4,s]Les années ont fait d’Abdoulaye Wade un homme controversé, qualifié d’antidémocratique et bafouant ouvertement la Constitution, mais ses deux mandats ont cependant été marqués par de nombreux succès, aussi bien en matière d’éducation que de santé publique. Le système éducatif a profité d’un budget revu à la hausse qui a fait passer le nombre de collèges de 220 en 2000 à 749 en 2010 et les lycées de 48 à 134. Les établissements de santé se sont eux aussi multipliés : doublement du nombre d’hôpitaux, création de dispensaires et centres médicaux. Du coup, la mortalité infantile a reculé.

Afin de redresser la situation économique du pays, Abdoulaye Wade a lancé sa Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) et s’est engagé dans une politique de grands travaux de modernisation qui permettront notamment à l’aéroport international Blaise Diagne , toujours en construction, de sortir de terre. Mais dès 2008, une dette publique atteignant les 21,4 % est venue mettre un frein à ces succès économiques et le taux de croissance, stabilisé à 4 % depuis son élection, s’effondre.

Une fin de règne agitée

Ce n’est que quand le problème de sa succession se pose qu’Abdoulaye Wade dévoile un peu plus de son caractère autocratique. Accusé de vouloir se maintenir au pouvoir illégalement, le président déposera quand même sa candidature, validée par le Conseil Constitutionnel le 30 janvier 2012. S’il « craint comme la peste de devoir un jour quitter le pouvoir et rendre compte de ses nombreux forfaits », comme l’affirme Mody Niang, Abdoulaye Wade ne renoncera pas à son troisième mandat facilement.

Une vingtaine de livres d’auteurs qualifiés par le régime de « mal pensants » sont aujourd’hui interdits au Sénégal, alors que d’autres, qui ne tarissent pas d’éloges sur le président sortant, profitent d’une couverture médiatique exceptionnelle de la part des médias du service public.

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