Le Jeu de Paume, à Paris, expose pour la première fois en France l’œuvre photographique de l’artiste chinois Ai Weiwei. Symbole de la dissidence, ce créateur aux multiples facettes a été arrêté le 3 avril 2011 à l’aéroport de Pékin. Il est, à ce jour, toujours interdit de sortie du territoire.
[image:1,l]Le musée du Jeu de Paume accueille, jusqu’au 29 avril, l’œuvre photographique et plusieurs vidéos de l’artiste chinois Ai Weiwei. Symbole de la lutte contre le pouvoir autoritaire de Pékin, Ai Weiwei a passé 81 jours en prison et a été relâché le 22 juin 2011 sous caution, sa liberté d’expression étant bridée. Mais loin d’étouffer le phénomène Ai Weiwei, son arrestation n’a fait qu’augmenter le capital sympathie dont bénéficie l’artiste, placé au rang de défenseur des droits de l’homme.
Un artiste tout terrain et libertaire
« Tout à la fois architecte, sculpteur, photographe, blogueur et adepte des nouveaux médias », Ai Weiwei est aujourd’hui « l’un des artistes majeurs de la scène artistique indépendante chinoise, produisant une œuvre prolifique, iconoclaste et provocatrice », résume l’article de présentation de l’exposition au Jeu de Paume. Les photographies qu’il réalise en Chine depuis 1993 témoigne de la réalité sociale et économique de son pays, notamment des bouleversements urbains sous l’effet d’un capitalisme anarchique. Il fait preuve d’une approche ironique et critique à l’égard des symboles d’un passé momifié, qu’il s’agisse de la Chine impériale ou communiste, dans l’idée de stimuler chez ses contemporains les forces créatrices et l’esprit de liberté.
Une enfance dans les camps de travail
La liberté d’expression coule dans les veines des Ai. Le père d’Ai Weiwei, Ai Quing, était un poète chinois et prisonnier politique. Considéré comme l’un des plus grands poètes chinois contemporains, il fut déporté, avec sa femme et ses enfants, vers un camp de travail et de rééducation en 1957, à la naissance d’Ai Weiwei. Il avait été dénoncé comme ennemi du peuple après avoir formulé des critiques vis-à-vis du régime.
[image:2,s, c]C’est dans la province de Xinjiang qu’Ai Weiwei a vécu jusqu’à l’âge de 17 ans et a assisté à toutes les humiliations que subissait son père, alors que la Chine était en pleine révolution culturelle. En 1976, lors du Printemps de Pékin, sa famille rejoint le mouvement et, deux ans plus tard, Ai Weiwei est accepté dans l’Université de cinéma de Pékin.
La liberté de New York
En 1981, Ai Weiwei s’envole pour New York, où il étudie à la Parson School of design. Il raconte dans une interview accordée au journal Le Monde : « C’est l’arrestation de Wei Jingsheng en 1979 [qui l’a poussé à partir de la Chine], ça a été un vrai choc pour moi. Il avait collé ce dazibao sur le Mur [de la démocratie] pour demander la cinquième modernisation, la démocratie.[…] Et puis au moment de devenir adulte, je réalisais que quelqu’un juste à côté de moi, pas si différent de moi, pouvait se faire arrêter. J’ai donc décidé de partir pour ne plus jamais revenir ».
À New York, Ai Weiwei papillonne de la peinture à la sculpture. Il comprend très vite qu’il ne percera pas dans l’art classique à New York. Il devient alors charpentier ou peintre en bâtiment. Il rencontre Allen Ginsberg, le poète de la « Beat generation », qui avait connu son père. Ai Weiwei côtoie les jeunes créateurs chinois de l’époque tels que le futur cinéaste Chen Kaige (Palme d’or à Cannes en 1993 avec Adieu ma concubine) ou le sculpteur Wang Keping, et les photographie dans leur intimité. En 1993, il quitte New York malgré lui, pour retourner en Chine auprès de son père mourant.
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Le retour en terre rouge
De retour en Chine, Ai Weiwei continue son travail artistique avec l’aide de Xu Bing et Zeng Xiaojun. C’est son père qui lui insuffle une nouvelle motivation : « Weiwei, tu es ici chez toi. Tu n’es pas obligé d’être si poli. Fais ce que tu as envie de faire ».
C’est à partir de ce moment qu’Ai Weiwei se consacre au milieu underground artistique et à la création en 1998 du premier centre d’art contemporain en Chine : le China Art Archive and Warehouse (CAAW). En 2000, un an après la mort de son père, Ai Weiwei fait son exposition « Fuck Off », une série de clichés dans des endroits symboliques avec au premier plan un doigt d’honneur, symbole de l’irrespect total des autorités, notamment sur la place Tian’anmen, alors que le peuple chinois a l’interdiction d’évoquer le drame.
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Les Jeux olympiques de 2008
En 2008, l’année des Jeux olympiques de Pékin, Ai Weiwei est choisi pour être le conseiller artistique du cabinet Herzog et de Meuron, qui s’occupe du stade olympique de Pékin, « le Nid d’oiseau ». Ai Weiwei avait déjà construit son propre atelier et comptait soixante autres bâtiments à son actif. Il avait d’ailleurs déjà participé à l’élaboration d’autres immeubles avec le même cabinet.
Un an avant la cérémonie d’ouverture des JO, Ai Weiwei se rend compte de la mise en scène du régime communiste et de la propagande à l’œuvre. Il refuse d’assister à la cérémonie d’ouverture.
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La révolte 2.0
En 2005, Ai Weiwei a ouvert un blog sur une suggestion du portail Sina, le portail Internet de Chine. En mai 2008, le portail Sina demande à Ai Weiwei de ne pas écrire de billet sur l’anniversaire du drame de la place Tian’anmen.
Devant son refus, le blog de Ai Weiwei est fermé le 28 mai 2008.
L’artiste engagé passe donc à la révolution Twitter. Les 140 signes maximum sur le site de microblogging ne sont pas un problème pour Ai Weiwei qui s’en amuse : « En chinois, avec cent quarante signes, on peut pratiquement écrire une nouvelle ! » Internet deviendra essentiel dans son combat.
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Expositions et arrestations
Toujours un brin provocant, Ai Weiwei photographie sa femme, Lu Qing, sur la place Tian’anmen, dans une pose à la Marylin Monroe, soulevant sa robe, révélant sa culotte blanche alors que des policiers passent derrière elle. Cette photographie est devenue l’un des symboles de cette liberté tant recherchée en Chine.
L’un des projets les plus frappants de son œuvre est sans doute « Conte de fées ». Ai Weiwei a invité 1001 Chinois et Chinoises à partir à l’étranger. Ai Weiwei les a contactés grâce à Internet et les a rencontrés. Pour chaque rencontre, Ai Weiwei a immortalisé leur visage par une photographie. Ils ont ainsi pu partir à Kassel en Allemagne après avoir obtenu leur passeport et visa. Un projet unique qui n’avait suscité aucune réaction de la part du gouvernement à l’époque.
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Le tournant du Sichuan
C’est le drame du tremblement de terre dans la province du Sichuan en Chine, le 12 mai 2008, qui a bouleversé la vie d’Ai Weiwei. 5385 noms d’enfants morts dans le tremblement de terre ont été recensés par Ai Weiwei sur son blog. Présent sur les lieux, une semaine après les faits, il prend des clichés, mais surtout dénonce la corruption liée à la mauvaise construction des bâtiments qui a entraîné leur effondrement. C’est là que sa liberté d’expression dérange fortement le gouvernement chinois. Son blog est fermé par le portail Sina fin mai 2008, son atelier de Shanghai détruit, sa maison fouillée, sa femme interrogée. En août 2009, il est passé à tabac par la police. S’en suit une hémorragie cérébrale et une opération d’urgence. Mais sa tourmente ne s’arrête pas.
En décembre 2010, alors qu’il veut se rendre en Corée du Sud, Ai Weiwei se voit refuser une sortie de territoire sous prétexte de « sécurité nationale », alors que les raisons sont toutes autres. La cérémonie du Prix Nobel de la paix, décerné au chinois Liu Xiaobo, approche à grands pas et le gouvernement chinois ne veut pas que des personnalités de la haute société chinoise sortent du territoire.
En avril 2011, il est arrêté à l’aéroport pour « évasion fiscale ». Il sera détenu quatre-vingt-un jours dans des conditions inconnues. Sa caution sera payée par les dons de ses fans grâce à un appel sur Internet.
Il est depuis en liberté surveillée à Pékin, mais continue son combat contre l’oppression. Un vrai problème pour le gouvernement chinois. La notoriété internationale d’Ai Weiwei ne cesse de faire des adeptes et devient, peu à peu, le symbole d’une Chine nouvelle.