Site icon La Revue Internationale

Anonymous, la nouvelle contestation sociale

anonymous2_-_gaelx.jpganonymous2_-_gaelx.jpg

[image:1,l]


S’il est un sujet qui réunit tous les candidats à l’élection présidentielle, c’est bien la mondialisation.


La finance contrôle le monde


Dans un bel ensemble, chacun en pointe les méfaits et la nécessité de la stopper ou de l’encadrer. Devenue son incarnation symbolique, la finance se voit stigmatisée et rendue responsable de tous les maux liés à la crise. Pis, présentée comme « un adversaire sans visage qui s’est affranchi de toutes les règles et de tous les contrôles », cette hydre aurait droit de vie et de mort sur l’économie des Nations.


Non seulement cette homogénéité obsolète donne à la campagne présidentielle française la saveur d’une élection municipale roumaine, mais elle n’apporte aucun projet, n’étoffe le discours des candidats d’aucune vision et se limite à capitaliser sur la peur de la société civile au risque de la voir sombrer dans un radicalisme protectionniste des plus dangereux.


En effet, la question de la mondialisation est  au cœur de la transition brutale et critique que nous traversons. La traiter exclusivement sous l’angle de l’économie et de la finance, ne voir dans l’Europe qu’un rempart contre celle-ci, c’est omettre une dimension fondamentale de cette dernière : les comportements culturels.


La mondialisation est loin de se limiter à la vitesse de circulation des flux financiers, elle possède un vecteur, un média. Ce média c’est Internet.


Le bouleversement d’Internet


Depuis plus de 20 ans maintenant Internet modifie radicalement nos vies, nos modes de production, notre perception du monde et notre relation à l’autre. L’accès à l’information et à la culture ainsi que la façon dont les jeunes générations forgent leur système de valeur ont muté, entrainant de ce fait l’ensemble des industries culturelles dans un bouleversement sans précédent.


Cette évolution ne donne lieu à aucun discours politique de la part des Nations quelles qu’elles soient. Nous assistons pourtant à la mutation d’un pan fondamental de la relation des citoyens à l’Etat : la contestation sociale.


Le syndicalisme national a cessé d’être le corps intermédiaire représentant les intérêts des salariés. C’est particulièrement vrai en France où la présomption irréfragable de représentativité mise en place en 1948 (on a à l’époque considéré que le comportement de résistance des syndicats pendant la guerre leur valait d’être à jamais considérés comme représentatifs) lien vers le rapport hadas lebel ? a « permis » aux 5 grandes centrales syndicales historiques de ne se poser que très faiblement la question de leur représentativité réelle.


Certes, la présomption irréfragable de représentativité n’existe plus mais faute de représentativité, les syndicats nationaux peinent à faire écho dans la population. Ce qui a permis à notre Président de la République de déclarer en 2008 avec une candeur remarquable, « Désormais, quand il y a une grève en France personne ne s’en aperçoit »


La contestation sociale change de registre


La contestation sociale a-t-elle disparu ? A-t-elle changé de nature ?


Ou bien, les jeunes citoyens du monde auraient-ils compris et intégré les apports de la mondialisation beaucoup plus profondément que leurs gouvernants ?


Le mouvement Anonymous connaît une actualité particulière en France depuis quelques jours. En effet, à la suite de la décision judiciaire américaine de procéder à la fermeture de Megaupload  (site de téléchargement et de streaming), les Anonymous, en signe de protestation, ont bloqué l’accès d’une dizaine de sites gouvernementaux et privés.


Défini de manière très condescendante, d’agrégat composite de voleurs, sociopathes et altruistes en colère, le mouvement Anonymous reste peu analysé et mal compris.


Anonymous s’inscrit dans une mouvance mondiale dont le terrain d’activité est Internet et qui naît en 1998 avec ATTAC.


En 1997, Ignacio Ramonet signe dans le Monde Diplomatique une tribune dans laquelle il appelle à la mise en application des préconisations de Tobin – une taxe sur les transactions financières – pour en reverser le produit aux plus démunis. L’article suscite l’enthousiasme des internautes et dans les jours qui suivent 15 000 personnes de tous pays signent la pétition en faveur de la taxe. Attac est né.


Anonymous dans le sillon d’Attac


Un an plus tard, Attac inaugure un mode d’intervention qui fera école. Ayant reçu via Internet l’agenda des négociations du GATT prévu à Seattle, Attac se mobilise et bloque l’ouverture des négociations. Rejoint par la confédération paysanne représentée par José Bové les deux mouvements donnent naissance à l’antimondialisation qui deviendra par la suite l’altermondialisation.


1999 voit donc naitre une forme inédite de contestation sociale mondiale dont l’instrument est internet. Celle-ci ne cesse depuis lors de se développer et d’impacter de plus en plus puissamment la politique des Etats.


« Indignés », « Occupy wall Street », « Les 99% ». Ces mouvements ont tous la même filiation et appartiennent tous à la cyberculture. Bien que spontanés, et donc parfois démunis ou confus sur leurs revendications, ils portent un système de valeur : moins de consommation et plus de partage, plus de répartition des richesses et non pas la gratuité mais la possibilité offerte à tous d’accéder aux contenus.


Les Anonymous, dans la lignée de Wikileaks, franchissent un pas supplémentaire. Ils ne se contentent plus de manifester mais à l’instar d’ATTAC bloquant le démarrage des négociations du GATT, ils interviennent sur le fonctionnement des institutions et entreprises qu’ils contestent.


Le contre-pouvoir de la mondialisation est en marche


Les analystes français, dans un bel ensemble, ont fortement contesté ces derniers jours les attaques menées contre les sites de l’Elysée, Hadopi, Universal, Warner etc…. Pourtant, ce sont ces mêmes Anonymous qui sont parvenus en octobre dernier à faire plier le cartel de la drogue mexicain Los Zetas en le menaçant de révéler l’identité des alliés des narcotrafiquants au sein d’institutions mexicaines. Ce « succès » ne leur a pas valu l’opprobre général, il signe néanmoins une puissance d’action sans précédent.


Ces mouvements, que les analystes s’obstinent à présenter comme anecdotiques, expriment deux choses :




  1. La contestation sociale a changé de nature et le dialogue social à l’échelon national auquel sont accoutumés les Etats risque fort de se trouver de plus en plus inadapté et inopérant ;



  2. La mondialisation ne se limite pas à la finance. Elle est désormais avant tout culturelle, et réorganise en parallèle des politiques nationales diverses et variées, notre monde. Les plus jeunes de nos pays n’y renonceront pas. Elle leur offre l’accès à la connaissance, l’accès à d’autres individus, elle offre aux plus démunis de nouvelles possibilités d’insertion. Elle se structure à grand pas et cette nouvelle forme d’expression en est une des illustrations. La réduire à une financiarisation sans visage revient à mettre de coté les 2 milliards d’internautes qui vivent avec elle au quotidien.


Le contre-pouvoir de la mondialisation est en marche. Il est citoyen. Il est mondial. Il relègue Etats et politiques au rang de spectateurs.


L’initiative est sans nom propre (anonymous), non parce qu’elle est personne, mais parce que chacun peut la faire sienne. C’est une transformation de l’identité. C’est une contestation radicale de la propriété. « Mon nom est personne » disait Ulysse.


A lire : Anonymous, peuvent-ils changer le monde ? Frédéric Bardeau, Nicolas Danet, éditions FYP

Quitter la version mobile