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Au Pérou, l’écologie rentable existe déjà

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[image:1,l] Assis devant la porte vermoulue de sa petite maison en bois, Eleuterio Martin profite des quelques rayons de soleil perçant la canopée amazonienne. Ce collecteur de noix du Brésil avoue n’avoir jamais entendu parler du réchauffement climatique.

Pourtant, comme des centaines d’autres autochtones, il vient de conclure un deal avec Bosques Amazonicos (BAM), une entreprise de Lima spécialisé dans l’exploitation durable des forêts amazoniennes. Le programme mis en place devrait permettre à la fois de sortir de la misère de nombreux Amérindiens et d’économiser quelques millions de tonnes de CO2.

Un modèle économique rentable

Bosques Amazonicos s’est s’associée aux populations indigènes pour sauvegarder la forêt amazonienne et monnayer les tonnes de dioxyde de carbone emprisonnées par les arbres. Le calcul est simple : un hectare de forêt amazonienne peut capturer en moyenne 400 tonnes de CO2. En garantissant la sauvegarde de zones forestières, l’entreprise péruvienne entend revendre sur le marché mondial le CO2 « neutralisé »  à des tarifs compétitifs et générer à terme un bénéfice de plus de 5 millions de dollars chaque année.

Supervisée et subventionnée par l’ONU dans le cadre du programme REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts ), la vente de « crédits carbone » passe par plusieurs  étapes : tout d’abord, la capacité du vendeur de carbone à emprisonner du CO2 est évaluée par des entreprises privées ou par l’ONU via des images satellites et des visites sur le terrain. Une fois le potentiel de capture de gaz à effet de serre chiffré, l’entreprise se voit attribuer des « crédits carbone » qu’elle peut vendre aux entreprises désireuses de contrebalancer leurs activités polluantes. Celles-ci peuvent ainsi économiser de coûteux investissements de dépollution ou simplement profiter de subventions étatiques.

La valeur des crédits carbone vendus par Bosques Amazonicos réside à la fois dans le potentiel de rétention de CO2 de ses parcelles de forêt, mais aussi dans le fait que celles-ci sont hautement menacées par la déforestation. L’ONU attribue une valeur beaucoup plus conséquente à la sauvegarde de zones directement menacées plutôt qu’à des espaces boisés que personne ne compte débiter en planches.

Déjà, une autoroute traverse l’Amazonie entre Pérou et Brésil

La concession de 246 hectares d’Eleuterio Martin se situe à 8 kilomètres à peine de l’Interoceanic Highway, une nouvelle route reliant le Brésil et ses villes de la façade atlantique aux ports péruviens de la côte Pacifique. Depuis son ouverture, l’accès facilité à la forêt a fait le bonheur des orpailleurs clandestins, des vendeurs de bois précieux et des trafiquants en tout genre.

Pendant les deux heures de trajet à moto nécessaires pour arriver chez Eleuterio Martin, on constate déjà les effets de la déforestation : sur les bords de la route, les arbres sont découpés et des troupeaux commencent à paître dans les vastes zones où plus un seul arbre ne subsiste. Sans le programme de Bosques Amazonicos, c’est le sort qui attendait la concession d’Eleuterio d’ici quelques années.

Lutte légale contre les orpailleurs

Les indigènes vivant comme Eleuterio de la collecte des noix du Brésil doivent rester vigilants en permanence. Nombreux sont les prospecteurs clandestins qui n’hésitent pas à ravager les plantations de noyers pour extraire quelques grammes d’or avec des techniques particulièrement destructrices ravageant les sols tropicaux. Bosques Amazonicos apporte son soutien aux Amérindiens partenaires du projet en les aidant à délimiter les frontières de leurs concessions et en leur apportant un soutien légal dans leurs actions en justice contre les orpailleurs. Un appui indispensable dans une région où la loi et l’administration sont pratiquement absentes.

Enfin, Bosques Amazonicos apporte de l’argent aux collecteurs de noix du Brésil qui prennent le temps de replanter des arbres pendant la période de récolte des noix, la zafra.

La somme de ces programmes de sauvegarde de la forêt devrait permettre aux populations locales participant au projet de doubler leurs revenus annuels. « C’est comme un mariage. Une relation de long terme sur trente ou quarante ans », explique Jorge Cantuarias, le PDG de Bosques Amazonicos. « Les gens n’adhèreraient pas si ils n’avaient rien à y gagner. Ce programme profite à nous comme aux populations, c’est un business vert, mais un business quand même. »

Les failles du système

Tous les entrepreneurs n’ont pas la même vision des choses. Certains se contentent d’aller faire signer des papiers en langue étrangère aux indigènes pour bénéficier des crédits carbone de leur territoire sans leur reverser le moindre bénéfice. Ces « cowboys de l’écologie » versent un peu d’argent à des Amérindiens qui n’ont aucune connaissance en économie et en retirent les droits exclusifs sur les parcelles que leur ont confié le gouvernement.

Eleuterio Martin a eu la chance de tomber sur une entreprise honnête et tente de se persuader que le modèle va s’étendre : « J’espère sincèrement que mes fils et petits-fils pourront continuer à ramasser les noix du Brésil. Ce serait un terrible gâchis si toute cette forêt était transformée en pâture ou détruite par les orpailleurs clandestins ».

Globalpost/Adaptation Emmanuel Brousse pour JOL Press

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