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Fidel Castro, le trompe-la-mort

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[image:1,l] Le Guinness Book le présente comme « l’homme qu’on a le plus tenté d’assassiner », avec 638 tentatives de meurtre contre lui. Même si ces chiffres sont sans doute très exagérés, Fidel Castro n’en reste pas moins un spécialiste des pieds de nez à la faucheuse. Débarqué avec 81 guérilleros sur un vieux bateau à court de carburant, il a su survivre à toutes les tempêtes et aller piquer au talon le géant américain voisin. Aventurier, dictateur, idéologue : Castro aura vécu une vie romanesque tout en nuances de gris. Ni saint révolutionnaire, ni tyran sanguinaire, le leader cubain aura eu un des destins les plus singuliers du XXe siècle.

Rebelle dès son plus jeune âge

Fidel Castro naît en 1926 dans une riche plantation, fils illégitime d’un propriétaire terrien et d’une cuisinière. Envoyé dans une pension avec son frère Raùl dès l’âge de cinq ans, il recevra l’enseignement des jésuites. Il y développera un caractère rebelle qui commencera à lui causer des ennuis dès son entrée à l’université de La Havane. Rapidement embarqué dans les luttes politiques entre organisations étudiantes, Castro est viré de la faculté. Commence alors pour lui une vie de bohème révolutionnaire. À 21 ans, il embarque pour la République dominicaine avec Juan Bosch pour tenter de renverser le dictateur en place, Rafael Trujillo.

Juan Bosch échoue (il prendra la tête du pays après l’assassinat de Trujillo plusieurs années plus tard) et Castro part pour la Colombie, où il prend part à des manifestations après le meurtre du président Jorge Gaitan. La fièvre anti-américaine régnant à Bogota finit par se calmer, et le jeune militant retourne alors à Cuba pour se marier. Il y termine ses études de droit tandis qu’arrive au pouvoir le général Fulgencio Batista en 1952.

Les premières heures de la Révolution

Après avoir envisagé de se présenter aux élections pour devenir député, Fidel Castro est coupé net dans son élan par cette arrivée soudaine de la dictature sur l’île. Après l’échec d’une action en justice, il tente de renverser Batista en prenant les armes. Avec 160 hommes, il attaque la caserne de Moncada le 26 juillet 1953. Seconde place forte du pays, cette base militaire abrite plus d’une centaine de soldats entraînés. L’assaut tourne au désastre pour les révolutionnaires. Soixante attaquants meurent et Fidel et Raùl sont arrêtés, puis condamnés à mort. Après un discours de quatre heures devant le tribunal et l’intervention de l’archevêque de Santiago de Cuba, sa peine et celles des autres guérilleros sont réduites à quinze ans de prison.

Il n’en purgera que deux. Libéré après une amnistie générale, Castro part au Mexique où il réunit de nouvelles troupes pour relancer la révolution. Il y fait la connaissance d’Ernesto « Che Guevara », avec lequel il organise une collecte de fonds aux Etats-Unis pour débarquer sur le sol de Cuba et renverser Batista.

L’odyssée du Granma

Le 25 novembre 1956, Fidel Castro, son frère Raùl, Che Guevara et Camilo Cienfuegos appareillent avec 78 hommes sur un vieux bateau de plaisance, le Granma. Secoué par une terrible tempête, manquant de vivres, d’eau et de carburant, ce navire surchargé d’à peine 23 mètres met une semaine à arriver sur les côtes de Cuba. L’expédition est retardée par le repêchage d’un guérillero tombé à la mer en pleine nuit.

Informé de l’arrivée du navire, Batista a prévu un comité d’accueil. Un F-47 détruit par erreur un navire de commerce en le confondant avec le bateau de Castro, tandis que des troupes sont dispersées sur les côtes de l’île.

La radio tombe en panne pendant la traversée, compliquant nettement le débarquement des rebelles. Le Granma finit par s’échouer dans une mangrove, perdant au passage une partie des armes embarquées. Pourchassés par les forces de Batista, les hommes de Castro tombent les uns après les autres. Seuls 16 sur 82 parviennent à survivre. Réfugiés dans la Sierra Maestra, les rescapés partent en quête d’un soutien populaire.<!–jolstore–>

Les barbudos de la Sierra Maestra

Lassé de mobiliser ses troupes pour lutter contre une poignée de révolutionnaire, Fulgencio Batista abandonne les poursuites contre les derniers survivants. Cette erreur lui coûtera Cuba. Les frères Castro, le « Che » et Camilo Cienfuegos diffusent la pensée révolutionnaire dans les villages. Deux ans de clandestinité permettent aux « barbudos » (les barbus) de mettre sur pied une armée de plus de 800 hommes. Castro est alors un champion de la démocratie et s’attire le soutien de l’Occident. Les défections dans l’armée régulière et le recrutement de jeunes volontaires permettent aux rebelles de sortir de leur maquis de la Sierra Maestra et de capturer des villes.

Batista se décide finalement à considérer la menace plus sérieusement. Mais il est trop tard. Malgré les 10 000 soldats envoyés, la guérilla capture Santiago de Cuba et Santa Clara, deux des plus grandes villes du pays. Sentant le vent tourner, Batista fuit le pays avec 40 millions de dollars et part se réfugier dans l’Espagne de Franco.

Castro prend la tête du pays en 1959. Commence alors pour Cuba une lutte avec un autre adversaire bien plus coriace : son immense voisin américain.

Une nouvelle bête noire des Américains

Malgré une rencontre avec Richard Nixon (pas encore président) où Castro fait bonne figure, de profondes divergences avec l’Amérique ne vont pas tarder à survenir. Son voyage aux Etats-Unis, où il mange des hamburgers et des hot-dogs devant les médias, ne l’empêche pas de commencer à nationaliser l’industrie cubaine. Sitôt rentré sur l’île, il prend possession de nombreux biens américains et engage le contact avec l’Union soviétique.

Pour les Etats-Unis, il devient alors un sérieux gêneur. Outre ses amitiés avec l’Est, Castro commence à oublier ses idéaux démocratiques. Il fait fermer la presse, la télévision et les radios d’opposition et éloigne du pouvoir le président Manuel Urrutia.

Les purges d’anciens partisans de Batista se poursuivent sous la houlette de Raùl Castro et de Che Guevara. L’épuration fait des centaines de morts et plus de 70 000 prisonniers politiques. De nombreux artistes et écrivains sont enfermés et des camps de travail forcé sont ouverts pour les homosexuels.

Mais les entorses du régime aux droits de l’homme ne sont pas le point le plus inquiétant aux yeux de l’Amérique. En 1961, des chars russes défilent à La Havane et Fidel Castro s’affiche désormais ouvertement « marxiste-léniniste ».

Le fiasco de la baie des Cochons

Les Etats-Unis arment alors des exilés cubains qui tentent de débarquer, accompagnés d’officiers de la CIA et escortés par des navires de l’US Navy. C’est le fameux épisode de la baie des Cochons. Des avions américains repeints aux couleurs de Cuba bombardent les aérodromes de La Havane et de Santiago. Pourtant, l’opération tourne rapidement au désastre pour les Etats-Unis. L’invasion réveille le sentiment nationaliste des  Cubains. La population vient prêter main-forte aux troupes de Castro pour repousser l’ennemi à la mer. En trois jours, les forces anticastristes sont vaincues, deux navires américains sont coulés par les neuf avions de chasse cubains ayant échappé aux bombardements. C’est un véritable triomphe pour Fidel Castro, qui voit sa popularité grimper en flèche après s’être rendu lui-même sur le champ de bataille. Les prisonniers capturés pendant l’attaque seront rendus aux Etats-Unis contre une humiliante rançon.

Crise des missiles : le monde retient son souffle

La CIA change alors de stratégie et cherche à éliminer le dirigeant de l’île par d’autres moyens. Les années 1960 sont celles des tentatives d’attentats aux cigares explosifs et autres joyeusetés qui font le bonheur des amateurs de polars.

Mais en 1962 éclate la crise des missiles : les Américains découvrent le chantier d’un site lancement de missiles russes pouvant contenir des têtes nucléaires sur le sol cubain. Le monde semble flirter alors avec la guerre nucléaire. Les Etats-Unis mettent en place un embargo sur Cuba et finissent par obtenir le retrait des missiles soviétiques contre la promesse de ne pas envahir l’île.

Castro n’en subi pas moins de nouvelles tentatives d’attentats menés par les services secrets américains. Une ancienne maîtresse du leader révolutionnaire tente de l’empoisonner alors que les parrains de la mafia américaine ont le feu vert de l’administration Kennedy pour l’exécuter. Pourtant, ni la CIA, ni les mafiosos Salvatore Giancana et Santos Trafficante ne parviendront à tuer le maître de La Havane.

Cuba et la détente

Cuba cesse d’être l’épicentre des tensions de la guerre froide à partir de 1964. Le conflit se déplace alors au Vietnam, et Cuba entre dans une longue période d’isolement. Toujours sous embargo, l’île enverra des militaires soutenir les révolutions en Angola, au Nicaragua, en Ethiopie, au Congo…

Les années passent et Fidel Castro vieillit. Un à un, ses compagnons de la révolution disparaissent. Camilo Cienfuegos meurt dans un accident d’avion et Che Guevara meurt abattu en Bolivie.

Petit à petit, le nombre de prisonniers politiques baisse, même si le régime reste dictatorial. En 1989, Castro fait arrêterle général Ochoa, un rival politique potentiel, sous une fausse accusation de trafic de drogue. Il sera exécuté au terme d’un procès expéditif.

Survivre après la chute du communisme

Isolé sur la scène internationale, le pays est forcé de s’ouvrir vers l’extérieur après la chute du communisme, jusqu’à devenir une des destinations touristiques les plus prisées des Caraïbes. Jean Paul II visite Cuba en 1998 et Fidel Castro troque son uniforme militaire contre un survêtement Adidas. Fatigué et malade, il frôle la mort en 2005 et laisse le pouvoir à son frère Raùl.

Installé chez lui, seul face à son passé,  Castro se consacre à l’écriture et se rapproche d’Evo Morales et d’Hugo Chavez. Survivant d’une époque révolue, il aura affronté dix présidents américains et vu s’opposer à lui sa sœur et sa fille réfugiée en Floride. Castro peut se vanter de ses réussites en matière d’éducation (99 % d’alphabétisés) et de santé. Mais il gardera sur les mains le sang de milliers de prisonniers politiques et de victimes de la Révolution.

Le vieil homme est amer ?

Contrairement à de nombreux dictateurs, Castro n’a jamais organisé de culte de la personnalité, ni tenté d’établir une dynastie. Tous ceux qui l’ont rencontré, de Mandela à Georges Marchais, décrivent un homme travailleur, loyal, sans ambition personnelle et soucieux du devenir de son peuple. Une sorte de « parfait grand-père » qui se serait laissé aller au pire en estimant que « la fin justifie les moyens ».

Loin du cliché du dictateur délirant façon Kadhafi ou Bokassa, Fidel Castro écrit pour se justifier, et sans doute aussi pour se repentir. En 2010, interviewé par un journaliste américain, le vieux dirigeant affirmait regretter la persécution des homosexuels, la mort de prisonniers politiques et son intransigeance lors de la crise des missiles.

Révolutionnaire idéaliste happé par la cruauté de l’histoire et aveuglé par sa « mission », Castro est sans doute parmi les moins condamnables dans la large fratrie des dictateurs.

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