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Khaled Mechaal, le faucon devenu colombe

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[image:1,l] Après des années d’hésitation entre fermeté et compromis, Khaled Mechaal semble s’être décidé. Quelques mois à peine avant de quitter son poste, le chef exilé du Hamas a décidé de signer, le 6 février à Doha (Qatar), un acte de réconciliation avec le Fatah. Une décision contestée qui vient achever, en théorie, une longue période de huit ans (2004-2012) à la tête du mouvement antisioniste.

Les « années Mechaal » auront vu naître la guerre civile palestinienne et la politisation du Hamas. Eloigné de force de la bande de Gaza, la tête pensante de l’organisation islamiste s’est trouvé plus d’une fois embarqué dans le jeu diplomatique du Proche-Orient. Du négociateur au provocateur, il n’y a parfois qu’un pas.

Formé par les Frères musulmans

Né à Silwad, en Cisjordanie, en 1956, Mechaal fuit le pays pendant la guerre israélo-arabe de 1967. Réfugié avec sa famille au Koweït, le jeune homme se forme à l’islamisme politique sur les bancs de l’université. En 1971, il intègre les Frères musulmans et devient professeur de physique.

Son destin bascule en 1991. L’invasion du Koweït le force à fuir le pays pour rejoindre la Jordanie, dont il détient la nationalité.

A Amman, il rejoindra les rangs du Hamas, créé quelques années plus tôt par Cheikh Yassine. Rapidement, il devient chef de la branche jordanienne du mouvement islamiste et attire l’attention d’Israël, qui voit d’un très mauvais œil le développement d’antennes du Hamas chez ses voisins.

Tentative d’assassinat 

Le 25 septembre 1997, des agents du Mossad déguisés en touristes canadiens surprennent Mechaal dans la rue et lui injectent du poison dans l’oreille. Il tombe rapidement dans le coma alors que deux des Israéliens auteurs de la tentative d’assassinat sont arrêtés. Le roi Hussein de Jordanie entre dans une colère noire en apprenant l’affaire et menace de faire pendre les deux agents. Pris la main dans le sac, le Mossad est contraint de livrer l’antidote permettant de sauver Mechaal et doit délivrer Cheikh Yassine, le chef du Hamas détenu par Israël.

A la tête du Hamas

Cet événement va propulser Mechaal à la tête du mouvement antisioniste. Fort de son aura de « survivant », il prend la tête de l’organisation après les assassinats respectifs de Cheikh Yassine et Abdelaziz al-Rantissi par des frappes aériennes israéliennes en 2004. Brouillé avec les autorités jordaniennes, Khaled Mechaal s’installe au Qatar, puis à Damas, en Syrie.

Son arrivée au sommet de la hiérarchie du Hamas s’accompagne d’un changement d’attitude de la part du mouvement. Plus politique que ses prédécesseurs, Mechaal voyage beaucoup et multiplie les rencontres avec les chefs d’Etat qui ne condamnent pas le Hamas comme une organisation terroriste. Perçu comme un radical au sein du parti, Khaled Mechaal représente le Hamas depuis l’étranger sans pouvoir entrer en Palestine. Après la victoire aux élections législatives palestiniennes de 2006, un gouvernement Hamas-Fatah est mis en place avec un Premier ministre issu du mouvement islamiste : Ismail Haniyeh.<!–jolstore–>

Guerre civile et compromis

Pour Mechaal, l’arrivée d’Haniyeh à la tête du gouvernement est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle.  Si la légitimité démocratique du Hamas permet à Mechaal de « normaliser » ses relations avec l’étranger, l’émergence d’un nouveau leader crée une opposition au sein même de son parti.

L’accord Hamas-Fatah sera néanmoins de courte durée. En 2007, le Hamas prend le pouvoir dans la bande de Gaza et Haniyeh est renvoyé par Mahmoud Abbas, remplacé par Salam Fayyad, un homme politique indépendant. Le Fatah et le Hamas se lancent alors dans une guerre civile.

C’est à ce moment là que Khaled Mechaal commence à mettre de l’eau dans son vin. Dirigeant exilé d’un mouvement sombrant dans la violence fratricide, il tente régulièrement d’apaiser les tensions avec le Fatah tout en modérant ses propos sur la destruction d’Israël pour éviter d’avoir à combattre sur deux fronts. En 2008, il rencontre Jimmy Carter et propose une trêve de dix ans à Israël si Tel-Aviv accepte de revenir aux frontières de 1967.

Sur la négation de l’Holocauste, Khaled Mechaal s’également est montré plus prudent que nombre des autres cadres du Hamas réfutant l’existence de la Shoah. Il salue néanmoins des « propos courageux » de Mahmoud Ahmadinejad lorsque ce dernier qualifie le génocide nazi de « mythe » en 2009.

Entre équilibrisme et opportunisme, Mechaal change régulièrement d’avis et s’attire des ennemis dans chaque camp. Malgré tout, sa volonté de dialoguer avec Mahmoud Abbas finit par porter ses fruits. A partir de 2010, les affrontements entre Hamas et Fatah se raréfient.

Contestation et départ annoncé

Malgré la fin des tensions, Khaled Mechaal fait face à une déferlante de critiques. Son pragmatisme est dénoncé par les radicaux lorsqu’il obtient la libération de 1027 prisonniers palestiniens en échange de Gilad Shalit. Puis c’est son train de vie qui est ciblé par ses adversaires politiques : pour le mariage de sa fille Fatma, Khaled Mechaal organise une fête somptueuse estimée à plus d’un million et demi de dollars.

Ces accusations s’accompagnent d’un nouveau coup dur pour l’homme fort du Hamas : les troubles en Syrie rendent son quartier général de Damas peu sûr et le contraignent au départ. L’éternel exilé embarque alors pour Le Caire, puis Doha.

En janvier 2012,  Mechaal annonce qu’il va quitter la tête du Hamas. Mais avant de tirer sa révérence, il signe, le 6 février à Doha, au nom de son parti, un accord de réconciliation avec Mahmoud Abbas pour former un nouveau gouvernement impliquant le Hamas et le Fatah.

Pragmatisme et stratégie géopolitique

Cette inflexion idéologique n’est pas sans lien avec les retombées du Printemps arabe au Proche-Orient, qui l’a obligé à repenser ses alliances.

En Syrie, la révolte contre le régime de Bachar al-Assad, parrain traditionnel des islamistes palestiniens, a obligé le Hamas à prendre ses distances avec la répression. En quittant Damas, Mechaal envoie un signal clair à l’Egypte où il fait d’abord escale, pays où les islamistes ont désormais pris le pouvoir du Parlement. A la Ligue arabe aussi, maintenant rangée derrière l’opposition syrienne. Et à la Jordanie enfin, où Mechaal a fait son retour officiel fin janvier, une première depuis son expulsion du royaume hachémite en 1999. 

De fait, la stratégie de Mechaal se revèle intelligente : plutôt que de rester inféodé à Damas comme le Hezbollah libanais, mieux vaut se reposionner sur l’échiquier régional et améliorer son image sur le plan international.

Le soutien de l’Iran, l’autre allié du Hamas, devient par ailleurs problématique, en raison de l’embargo euro-américain qui asphyxie son économie. L’Iran, qui finançait largement le mouvement, ne verse plus un sou. Le riche émirat du Qatar, décidé à jouer un rôle de premier plan dans la région, devient dès lors un soutien très opportun. D’où l’implantation de Mechaal à Doha.

Mechaal se rêve-t-il en nouvel Arafat ?

La reconciliation avec le Fatah, qui dirige la Cisjordanie, et l’attitude plus conciliatrice adoptée à l’égard d’Israël, pourraient également servir un dessein plus ambitieux. Bien qu’étant très contesté dans ses propres rangs, Khaled Mechaal n’a pas abandonné toute carrière politique. Certains analystes lui prêtent l’intention de prendre la relève de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne, poste auquel il pourrait facilement prétendre grâce à ses nombreux réseaux internationaux. En conférant à Abbas la tête d’un gouvernement transitoire en vue des prochaines élections présidentielles et législatives, prévues pour cet été, il pourrait ainsi préparer le terrain pour sa propre ascension.

Fatah-Hamas, un accord fragile

Reste qu’au-delà des éventuels calculs politiciens, la réalité sur le terrain ne joue pas forcément en sa faveur. Une grande partie des Palestiniens de Gaza, favorables à la lutte armée contre Israël, rejettent cette politique de la main tendue. Un des principaux responsables du Hamas à Gaza, Mahmoud Zahar, a ainsi qua­lifié d’« erreur » l’accord conclu avec le Fatah. Israël, de son côté, fait pression sur Abbas pour qu’il renonce à cet accord avec le Hamas.

L’accord, d’ailleurs, peine à se concrétiser. La formation du gouvernement executif provisoire, prévue pour le 18 février, a été reportée sine die. La fusion des services de sécurité entre la Cisjordanie et Gaza n’est même plus à l’ordre du jour. Le rapprochement entre les frères ennemis reste encore précaire.

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