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La crise libyenne rallume la poudrière du Sahel

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[image:1,l] «  Si la barbe de ton voisin prend feu, verse de l’eau sur la tienne », dit un proverbe sahélien. Un an après le début de la révolte à Benghazi, c’est toute la région au sud-ouest de la Libye qui, faute d’avoir anticipé l’alerte, recherche désespérement un moyen d’éteindre l’incendie. La chute du maître de Tripoli a destabilisé un équilibre régional précaire et soufflé sur les braises de plusieurs minifoyers de conflits qui, du Niger à la Mauritanie en passant par le Mali, l’Algérie et le Nigeria, menacent de donner jour à une véritable pétaudière.

Quand Kadhafi jouait l’apprenti-sorcier

Dans sa guerre de survie contre la rébellion, le colonel Kadhafi avait fait appel à plusieurs milliers de mercenaires touaregs du Niger, du Tchad ou du Mali, venus s’ajouter aux soldats touaregs déjà présents dans son armée.

Aguerris par toutes les batailles de Benghazi, Brega et Misrata, ces quelque 4000 hommes ont pris la poudre d’escampette dès la chute du dictateur, en octobre 2011, emportant avec eux quantité d’armes (mitrailleuses, explosifs, roquettes et même missiles sol-air), de munitions, de véhicules tous terrains et d’argent.

Privés brutalement du « paradis libyen » où ils étaient très bien payés, ces mercenaires ont préféré s’enrôler chez les rebelles maliens, faute de moyen de subsistance.

Le Mali, première victime collatérale ?

[image:2,s,r]Ces combattants de l’ex-armée de Kadhafi sont ainsi venus prêter mais-forte à leurs frères touaregs regroupés au sein du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui tente d’affirmer son indépendance au nord du Mali. Les ex-militaires libyens encadrent désormais la lutte. Leur chef est Ag Mohammed Najem, un ancien colonel de l’armée libyenne spécialisé dans le combat en zone désertique. Le MNLA compte au moins trois autres haut gradés libyens parmi ses officiers, selon des sources militaires à Bamako.

Face à une armée malienne mal équipée et mal entraînée, ils ont lancé depuis la mi-janvier une série d’opérations militaires qui leur ont permis de prendre plusieurs localités comme Aguelhok, près de la frontière algérienne, et Ménaka, près du Niger. Ces derniers jours, les affrontements se concentrent autour de Tessalit, une ville garnison dont la chute ouvrirait aux rebelles la voie vers Kidal, la capitale du nord du Mali.

[image:3,s,l]Bousculée, l’armée nationale a mis du temps à répliquer, au point qu’elle a dû faire intervenir ses blindés et son aviation afin de déloger les rebelles. A Bamako, le président malien, Amadou Toumani Touré, est depuis sur la sellette pour sa lenteur de réaction et pour avoir sous-estimé l’importance du problème.

Il faut dire que toute la région est désormais déstabilisée. Au cours des dix derniers jours, quelque 44 000 personnes ont fui les combats pour trouver refuge en Mauritanie, au Niger ou au Burkina Faso, selon le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU.

Une chasse aux sorcières

Car l’effet boule de sable de la révolution lybienne touche désormais toute la ceinture saharienne. La chute du régime de Kadhafi a poussé à l’exode près de 400 000 personnes. Tous n’étaient pas des combattants, loin s’en faut. Accusés d’être des mercenaires à la solde de l’ancien dictateur, bon nombre de travailleurs maliens, sénégalais, ivoiriens, burkinabés, nigériens ou tchadiens se sont retrouvés en prison, où certains croupissent encore. Maltraités, humiliés, menacés, ces immigrés africains ont préféré rentrer au bercail.

Au Niger, la crise alimentaire menace

Les 260 000 rapatriés nigériens, notamment, ne sont pas prêts d’oublier le calvaire qu’ils ont vécu en Libye. Chassés par le nouveau pouvoir libyen, ils sont venus grossir les rangs des chômeurs de Niamey, la capitale, tandis qu’à l’ouest, les réfugiés maliens s’entassent dans des camps de fortune. Un afflux de miséreux que le président Mahamadou Issoufou devra gérer en même temps qu’une situation économique déjà alarmante, en raison de la sécheresse qui sévit sur le  pays et qui fait craindre une crise alimentaire imminente. Une alerte a été lancée dépuis décembre par des organisations comme l’Unicef, Action contre la faim (ACF) et le Programme alimentaire mondial.

Comme le Niger, l’Algérie et Mauritanie redoutent les conséquences du conflit au Mali. Les trois pays s’inquiètent aussi de la prolifération d’armes en provenance de la Libye, devenue un véritable marché d’armement à ciel ouvert, qui se répandent clandestinement dans tout le Sahel. Niamey, Alger et Nouackchott ont résolu d’unir leurs efforts afin de mettre en place un maillon de digues sécuritaires à leurs frontières.

Les réfugiés de Libye, un vivier à terroristes

Car le problème, au-delà des Touaregs, est celui de la lutte contre le terrrorisme dans le Sahara.

Les rébellions sont récurrentes au pays des « hommes bleus », ces pasteurs nomades et berbères qui réclament depuis plus de vingt ans un statut d’autonomie face à des pouvoirs noirs ou arabo-musulmans. Mais elles ont pris un tour plus radical. Le manque de contrôle des Etats sur ces régions desertiques a favorisé l’implantation des bases secrètes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). A l’aide de l’argent venu de Libye, l’organisation terroriste a su utiliser la misère des populations pour s’attirer leur bienveillance et trouver des amitiés au sein des tribus touaregs.  

Un rapport publié le 26 janvier par le Conseil de sécurité de l’ONU dépeint une situation préoccupante : « Dans une région qui est depuis longtemps le théâtre de trafics en tous genres, on assiste à une prolifération de groupes terroristes ». Les rédacteurs du rapport craignent qu’Aqmi recrute parmi les rapatriés de Libye, des hommes en majorité jeunes qui, privés d’emploi, se retrouvent sans moyen de subvenir aux besoins de leurs familles.

Du Nigeria au Niger, l’emprise grandissante d’Aqmi

[image:4,s] Soupçonnés de longue date, les liens entre Aqmi et la secte nigériane Boko Haram, responsable de nombreux attentats terroristes, se confirment. Le rapport de l’ONU affirme que certains des membres de Boko Haram, originaires du Nigeria et du Tchad, ont été formés dans les camps d’Aqmi au Mali l’été dernier. Leur présence dans le sud du Niger a été confirmée. « D’après les interlocuteurs rencontrés, écrivent les auteurs du rapport, Boko Haram y propage déjà activement sa propagande et parvient même, parfois, à faire fermer des écoles publiques ».

La révolution libyenne a déclenché une spirale de violences difficile à contrôler dans ces immenses territoires désertiques où les bandes armées évoluent en petits groupes (les katibas, ou « phalanges »).  Désormais, il faudra beaucoup d’efforts diplomatiques, économiques et politiques pour éviter que la déstabilisation des Etats du Sahel ne profite aux poseurs de bombes djihadistes.  

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