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La Libye et ses encombrants libérateurs

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« C’est maintenant qu’il est parti que nous constatons l’étendue de l’œuvre de Kadhafi… Le régime qu’il a créé a amené une génération qui n’a aucune notion de ce qu’est la justice ou la démocratie. Maintenant nous sommes libres, mais nous ne savons pas quoi en faire. Nous ne connaissons pas les élections libres, la liberté de pensée et ce genre de choses. Même maintenant, ce que nous connaissons, c’est la poigne de fer de Kadhafi. »

Comme beaucoup de Libyens, Lutfi Alamin s’est aperçu peu à peu de la longueur du chemin avant de transformer le pays en véritable Etat de droit.

Souvent traumatisés par huit mois de guerre et de violences, les anciens rebelles n’acceptent pas tous de déposer les armes. Au risque de retomber dans une dynamique d’affrontement.

Rivalités entre milices

Les milices constituées pendant la révolution sont désormais partiellement en charge de la justice et du maintien de l’ordre. Une tâche pour laquelle ils ne sont ni entrainés ni payés. La mise en application de la justice est souvent approximative du fait de la méconnaissance des lois et des Droits de l’Homme. Si certains groupes se reconvertissent avec succès, d’autres sont en passe de se transformer en gangs lourdement armés.

Lufti Alamin voit deux sortes de rebelles : « il y a ceux qui ont déposé les armes directement après la chute de Kadhafi et qui sont retournés à leur métier. Et puis il y a ceux qui n’ont jamais connu les combats et qui paradent désormais dans les rues avec des armes en s’autoproclamant rebelles alors qu’ils n’ont pas fait grand chose. Chez les insurgés comme partout, il y avait des sales types. Maintenant ces gangs tentent de profiter de la situation.»

En janvier 2012, deux combattants ont été tués, et trente-six blessés lors d’un affrontement entre les milices de Gharyan et d’Asbi’a. A Tripoli, ce sont trois ex-rebelles qui ont été tués lors de rixes, alors que des émeutiers étaient parvenus à pénétrer dans les bureaux du gouvernement en lançant des pierres et des grenades.

Le 23 janvier, on comptait dix morts dans un combat entre miliciens de Bani Walid, Tripoli et Benghazi. Le 7 février, sept autres mourraient dans un camp de réfugiés en périphérie de la capitale tués par d’anciens rebelles de Misrata.

Une répartition inégale de la violence

Ce chaos concerne principalement Tripoli et sa région. Dans les provinces plus éloignées, la relative homogénéité ethnique permet d’éviter les conflits la plupart du temps. Mohammed Abdullah Benrusali est le commandant du bataillon Halbous de Misrata, la plus grande milice de Libye, comptant plus de 3000 hommes. Pour lui, le démantèlement des factions rebelles arrivera lorsqu’une armée régulière sera prête à assurer le maintien de l’ordre.

« Lorsque nous verrons l’armée régulière assurer la sécurité de Misrata et disposer d’une formation adéquate, alors nous cesserons d’exister car notre mission sera remplie. »

Quand on lui demande le nombre d’armes et de munitions dont disposent les 278 milices de Misrata, Benrusali botte en touche : « il suffit de faire le compte de tout ce qu’avait l’armée de Kadhafi. Tout est à nous à présent. »

Pourtant à Misrata, la situation est bien plus calme qu’à Tripoli. Un état de fait facilement explicable. Les villes comme Benghazi ou Misrata où les rebelles ont résisté longtemps aux assauts de Kadhafi sont des lieux où les milices rebelles ont appris à s’entendre, à s’entraider et à faire front commun.

A Tripoli en revanche, aucune milice rebelle n’a défendu la ville contre l’armée régulière. Prise par des groupes armés venus de tout le pays, la capitale est un mélange hétéroclite de factions qui ne se connaissent pas. C’est de cette diversité que découlent les luttes pour le pouvoir qui ensanglantent désormais le pays.

Un manque de prise en charge

Le gouvernement nouvellement mis en place s’est attaqué directement au problème en interdisant le port d’armes lourdes à Tripoli et en ordonnant aux milices de quitter la ville en décembre 2011. Seuls les groupes disposant d’une autorisation expresse peuvent continuer à parcourir les rues de la ville. Ils agissent ensuite sous les ordres du ministère de la défense qui les charge en général de la gestion des checkpoints autour de la ville  et des enquêtes sur les crimes de guerre. Petit à petit, les miliciens sont remplacés par des militaires de l’armée régulière ou intégrés à celle-ci.

Abdul Hassan, qui gère désormais l’unité d’investigation contre les crimes de guerre, tenue auparavant par les milices estime que la prise en charge des anciens rebelles est très insuffisante : « à la fin de la guerre, la plupart des combattants pensaient qu’il y aurait un plan de réinsertion. Et finalement…rien. A part les prisonniers de Kadhafi, personne n’a bénéficié d’une aide psychologique. Ces gens ne savent plus quoi faire, ni où aller. »

Officiellement, le gouvernement travaille sur un programme visant à réinsérer les anciens combattants, mais pour l’instant seule une prime de 350 dollars a été versée en novembre 2011. Le reste des fonds perçus par les anciens combattants provient des dons de la population.Si certains membres des milices commencent peu à peu à être intégrés dans les forces régulières, d’autres se tournent vers la criminalité organisée en utilisant leur aura de libérateurs du pays comme un alibi. Un constat malheureux qui rappelle que la Libye risque de mettre encore longtemps pour se débarrasser de ses héros devenus encombrants.

GlobalPost/ Adaptation Emmanuel Brousse pour JOL Press

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