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La politique étrangère s’invite dans la course à l’Elysée

[image:1,l]Une idée reçue a la dent dure : l’Elysée ne se gagne pas sur le terrain de la politique étrangère. A l’analyse des huit scrutins présidentiels de la Ve République, experts et politiques se sont forgé une religion : les Français ne s’intéressent pas à la politique étrangère et n’y comprennent pas grand-chose. Mieux encore, cela importerait peu puisqu’il existe, au niveau national, un quasi-consensus en la matière, domaine réservé du président de la République, dont se porterait garante une machine toute puissante, le Quai d’Orsay, la politique étrangère serait l’affaire de hauts fonctionnaires et diplomates veillant jalousement sur sa continuité.

Un consensus illusoire, des clivages dépassés

Il n’y aurait donc pas de clivage sur les questions de politique étrangère – et puisqu’il n’y pas de clivage, à quoi bon en faire un thème de campagne ? C’est une illusion, une illusion bien française, née d’un constat troublant pour des esprits trop formatés : sous nos institutions, les divergences sur les problématiques internationales ne relèvent pas l’opposition droite/gauche.
 
Sur le terrain des idées, deux lignes, deux conceptions du rôle de la France dans le monde séparent les responsables politiques français. L’une, « gaullo-mitterrandienne » – héritage du général de Gaulle repris par François Mitterrand -, l’autre, « atlantiste et/ou occidentaliste ».
Les tenants de la ligne gaullo-mitterrandienne pensent que la place de la France ne peut se résumer à son statut de pays occidental, qu’elle a aussi un rôle à jouer avec les pays du Sud, et qu’il est dans son plein intérêt de jouer ce rôle. Pour eux, la France se doit de maintenir une ligne indépendante et ne de pas faire partie d’un système d’alliance figé. Bref, sa diplomatie doit jouer la carte du multilatéralisme.
Les atlantistes et/ou occidentalistes envisagent l’action de la France dans une coopération plus étroite avec ses partenaires du Nord et défendent une intégration plus forte à l’Union européenne, pour laquelle ils favorisent, le plus souvent, une ambition fédéraliste, mais aussi à l’OTAN, dans la reconnaissance de la prééminence américaine.
 
A gauche, les atlantistes et les fédéralistes, peu nombreux avant le retrait de Lionel Jospin en 2002, sont de plus en plus nombreux, même si la base du Parti socialiste reste gaullo-mitterrandienne. Les Verts et le PCF ne sont pas atlantistes, et encore moins occidentalistes, mais leur refus de la puissance américaine les éloigne du gaullo-mitterrandisme. A droite, si Alain Juppé ou François Fillon incarnent le maintien d’une ligne gaullo-mitterrandienne, au sein de l’UMP, les occidentalistes sont désormais majoritaires. Nicolas Sarkozy, farouchement occidentaliste avant son élection, a atténué ce positionnement tout au long du quinquennat, contraint en cela par des circonstances exceptionnelles.

Une rupture entamée par Nicolas Sarkozy

En 2007, tant durant la campagne qu’une fois son mandat entamé, le président Nicolas Sarkozy a plaidé pour une rupture dans la doctrine diplomatique de la France, une rupture sur le fond comme dans la forme, qui s’est traduite dans les faits, avec plus ou moins de force, tout au long de son premier mandat.
 
Retour réussi aux commandements de l’OTAN, relation de confiance avec les Américains, présidence de l’Union européenne en 2008, initiative et développement du G20 à partir de l’automne 2008 puis présidence du G20 en 2011, stabilisation des relations avec la Chine, nouvelle perspective en Côte d’Ivoire, leadership dans la lutte pour la liberté en Libye… Les initiatives internationales du président français sont nombreuses et reflètent un activisme, une omniprésence assumés. Avec parfois quelques fausses notes et hésitations, comme au moment du déclenchement des mouvements de contestation à travers le monde arabe ou, plus récemment, avec l’annonce prématurée, et, semble-t-il, sans concertation de nos alliés, d’un retrait anticipé des forces françaises en Afghanistan.
 
Si les effets positifs d’une action internationale ne se jugent pas à court terme, il est indéniable que la politique étrangère a tenu une grande place dans le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Mais ce quinquennat qui s’achève a aussi été marqué par une volonté assumée de pédagogie. L’objectif : convaincre les Français d’ouvrir leurs fenêtres sur le monde et appréhender le monde tel qu’il est plutôt que tel qu’ils souhaiteraient qu’ils soit – ou soit encore. C’est cette pédagogie qu’a repris à son compte le président-candidat lors de l’annonce de sa candidature.

Le monde change et la distinction intérieur-extérieur évolue

Le monde change, toujours plus global, toujours plus interdépendant. Les bouleversements observés au cours du quinquennat sont considérables. Le bouleversement du monde, et du rapport au monde, était en cours depuis près de deux décennies, mais les crises financières et économiques successives ont agi comme de formidables accélérateurs, confrontant responsables et citoyens au caractère irrémédiable des phénomènes de globalisation. Ces crises ont mis en évidence leur impact, directs et concret, sur les décisions politiques à tous les échelons, du local au continental en passant par le national.
 
Et puis, il y a l’Europe, l’Europe, l’Europe… La crise de la dette dans la zone euro impose une accélération de l’intégration européenne. Ce que l’introduction d »une monnaie unique n’était pas parvenue à imposer, la crise pourrait y conduire : l’interaction et l’intégration des politiques sont telles que les affaires communautaires ne peuvent plus être considérées comme relevant des affaires étrangères. L’action conduite avec les partenaires européens, au sein des différentes instances de l’Union, est indissociable, de par ses impacts, de celle conduite sur les fronts intérieurs.

Un exercice de navigation à vue

Aujourd’hui, l’emploi, la sécurité, le pouvoir d’achat, l’environnement… les principales préoccupations des Français ont des racines internationales. Si, lors de cette campagne présidentielle, la politique étrangère s’invite dans notre débat national, ce sera sans doute sous une forme inédite : la question n’est plus, désormais, de savoir comment la France-puissance va faire œuvre messianique à travers le monde, mais plutôt comment la France va s’intégrer au monde, et l’influencer, pour tirer le mieux possible son épingle d’un jeu pour lequel elle ne dispose plus, seule, d’atouts aussi déterminants qu’autrefois. Cette campagne présidentielle peut être l’occasion pour la France de poursuivre son ouverture sur le monde et de regarder la réalité en face.
 
Vingt ans après la fin de la guerre froide et la disparition du monde bipolaire, toute politique étrangère s’apparente, assurément, à une navigation à vue entre une Amérique qui a perdu une grande part de son leadership mondial et des nations émergentes comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, qui aspirent, sans encore y parvenir, au statut de superpuissance. La France reste un acteur important sur la scène internationale. Elle est encore créditée d’une certaine capacité à penser le monde d’une manière globale. Au cours du prochain quinquennat, de 2012 à 2017, le président de la République fera sienne la mission de conserver un rôle à part dans le concert des nations, de penser encore la France comme une grande puissance. 

La politique étrangère, le domaine réservé du président

Reste un élément auquel les Français n’ont cessé en revanche d’être sensibles : la politique étrangère est un marqueur de la présidentiabilité. La capacité d’un candidat à représenter, à incarner la France sur la scène internationale est un facteur déterminant dans l’élection du président de la République. Si, forcément, on n’est pas président tant qu’on ne l’a pas été, l’expérience internationale n’attend pas le nombre d’années au pouvoir et le lent apprentissage qui peut conduire à la magistrature suprême doit avoir été l’occasion de se forger une image à l’international, mais aussi une image de l’international.
 
Domaine réservé du président de la République, comment la politique étrangère pourrait le demeurer si, justement, les frontières entre l’extérieur et l’intérieur s’estompent, si de plus en plus de questions relèvent de problématiques globales ? Le passage au quinquennat a renforcé la présidentialisation du régime et la scène internationale est le prolongement naturel de la scène nationale où le président a accentué sa prédominance. 

L’inéluctable internationalisation du président à l’heure de la mondialisation

Le président de la République ne saurait faire l’économie d’un positionnement net sur la politique étrangère. De plus en plus, il doit s’internationaliser, être pleinement intégré à la communauté des dirigeants politiques mondiaux, savoir s’y imposer et y être respecté. Mais la nature des relations au sein de ce club très fermé a profondément évolué. Là où, autrefois, régnaient les convenances et le jargon de la diplomatie, s’est imposé de nouvelles méthodes, de nouveaux rapports. Avec l’intégration européenne mais aussi avec les réformes de la gouvernance mondiale sous les effets de la globalisation, le président français et ses partenaires collaborent, travaillent étroitement, régulièrement, presque de manière permanente. Les ministres et les chefs de gouvernement font de même. Ce n’est pas une politique, c’est une obligation, une nouvelle culture de gouvernement. En la matière, l’expérience n’a pas de prix, les relations personnelles établies non plus.
 
Une élection présidentielle ne se gagne pas mais elle peut se perdre sur la politique étrangère. Verdict : le 6 mai à 20 heures.
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