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Pr. David Khayat : « Le cancer, un fléau planétaire »

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[image:1,l] Il y a douze ans, le professeur David Khayat et une quinzaine de ses confrères décidèrent de placer la recherche contre le cancer au cœur de l’actualité en créant la Charte de Paris contre le cancer et en instaurant la Journée mondiale contre le cancer, organisée tous les ans, le 4 février. David Khayat dirige le service de cancérologie à l’hopital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Président d’honneur de l’Institut national du cancer, il a récemment publié Le vrai régime anticancer, livre dans lequel il place sa lutte sur le terrain de la prévention. A l’occasion de cette Journée mondiale, il trace pour nous un bilan de la recherche contre « le plus grand fléau de l’humanité » et livre ses réflexions sur l’importance de la prévention qui, selon lui, « est la seule voie qui en vaille la peine pour l’avenir. » Rencontre avec un combattant de l’espoir.<!–jolstore–>

JOL Press : pourquoi avoir voulu instaurer une journée dédiée au cancer et à la recherche ?

Professeur David Khayat : à l’époque, nous étions en 1999, les célébrations du millénaire allaient commencer partout dans le monde et encore une fois, les cancéreux allaient être oubliés. Or il faut savoir qu’en l’an 2000, il y avait dans le monde 10 millions de nouveaux cas de cancers diagnostiqués et 6 millions de personnes déjà mortes des suites de cette maladie. Passer à côté de ce qui représente aujourd’hui le plus grand fléau auquel l’humanité ait jamais été confrontée dans son histoire, le plus grand prédateur de l’homme, nous a semblé injuste. A cette époque, l’OMS annonçait des chiffres qui malheureusement sont en train de se confirmer : en 2020, il y aurait 20 millions de nouveaux cas et 10 millions de morts. Nous étions une quinzaine de cancérologues et nous avons voulu rédiger un document afin d’établir les principes généraux de la lutte mondiale pour préparer le combat contre cette maladie. Ainsi est née la Charte de Paris contre le cancer, que nous sommes allés soumettre au président de la République de l’époque Jacques Chirac et à l’Unesco. Ils ont accepté de la parrainer et de la signer, le 4 février 2000. C’est ainsi qu’est née cette journée, grâce au dixième article de ce document qui instaure la Journée mondiale contre le cancer.

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Aujourd’hui, 4 février 2012, quelles sont les avancées thérapeutiques les plus significatives ? Sommes-nous en train de vaincre le cancer ?

Pr. Khayat : Je veux être certain qu’un jour nous vaincrons le cancer, mais je ne pense pas connaître cette victoire de mon vivant. Nous avons cru que le cancer était une maladie pour laquelle nous devions trouver un traitement et nous nous sommes trompés. Au début des années 90, nous avions beaucoup d’armes, beaucoup de médicaments qui ne donnaient pas les résultats escomptés sur toutes les formes de la maladie. Puisque nous avons 200 organes, nous avons ensuite imaginé qu’il nous faudrait trouver 200 traitements différents pour soigner tous les types de cancers. Ce n’est qu’à la fin des années 90, grâce à la biologie moléculaire, que nous avons réussi à rentrer dans l’intimité des cellules cancéreuses. Nous nous sommes aperçus, cette découverte a été confirmée l’année dernière, que nous ne devions pas différencier les cancers en fonction des organes sur lesquels ils s’étaient développés, mais en fonction de leur signature génomique. Nous pensions faire face à une stratégie de traitement par cancer. Au début des années 80, nous avons donc cru qu’il nous faudrait 200 traitements pour guérir 200 cancers. Aujourd’hui nous nous apercevons que le combat se fera au cas par cas, car les cancers réagissent tous d’une manière différente.

De nouvelles thérapies ciblées

Cette découverte permet-elle de mettre en place de nouvelles formes de thérapie et de nouveaux traitements ?

Pr. Khayat : la thérapie basée sur la détermination de l’empreinte génétique nous permet de mettre en place une médecine beaucoup plus personnalisée. Désormais, nous pouvons comparer l’empreinte génétique d’un cancer à des centaines de milliers d’autres empreintes génétiques dont on sait ce que sont devenus les patients. Nous pouvons ainsi définir des pronostics beaucoup plus sûrs. Le deuxième intérêt de cette empreinte génétique est de nous permettre de déterminer les gènes mutés et ainsi, de soigner les protéines, mutées à leur tour, car fabriquées par le gène d’origine. C’est ce que nous appelons les thérapeutiques ciblées. Non seulement ces thérapies sont à la carte, puisque chaque malade sera traité de manière différente en fonction de la nature même des gènes de son cancer mais en même temps nous pouvons fabriquer des médicaments ciblés en fonction de ces gènes anormaux.

Si les médicaments sont plus ciblés, les traitements seront-ils moins toxiques ?

Pr. Khayat : oui, d’ailleurs tout un pan de la recherche contre le cancer vise à améliorer la tolérance des médicaments anticancéreux, des rayonnements anti-cancéreux. En trente ans, l’évolution a été considérable, nous avons aujourd’hui une chirurgie très respectueuse de la fonction de l’organe et donc beaucoup moins mutilante. Nous avons des rayons qui, dans les années 70-80, brûlaient la peau et les organes des malades. Aujourd’hui, nous avons les moyens techniques de n’irradier que la partie que l’on veut traiter, en fonction de la dose que chaque organe peut supporter sans qu’il ne s’abîme. Enfin pour la chimiothérapie, les médicaments d’aujourd’hui sont beaucoup mieux tolérés que ceux d’hier. Nous fabriquons même, désormais, des médicaments qui ne sont pas anticancéreux mais qui sont là pour améliorer la tolérance des médicaments anticancéreux.

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Le cancer, maladie des pays en voie de développement

Parlez-nous de la répartition mondiale du cancer. Le cancer est-il toujours la maladie des populations vieillissantes dans les pays riches ?

Pr. Khayat : contrairement aux idées reçues, le cancer n’est pas ou plus une maladie réservée aux populations nanties. Au contraire, aujourd’hui on se rend compte que les malades du cancer se trouvent en majorité dans les pays en voie de développement et que les malades sont jeunes. C’est pourquoi l’instauration de la Journée mondiale est importante. Elle permet de prendre conscience de la réalité de ce fléau à l’échelle de la planète, et de synchroniser les avancées thérapeutiques.

Vaincre le cancer par la prévention

Vous avez écrit un livre sur la bonne alimentation pour prévenir le cancer.* En mai 2004, l’OMS avait lancé un programme pour prévenir le cancer par une bonne alimentation et de l’exercice physique. Pensez-vous que l’enjeu soit désormais d’éviter l’apparition des cancers ?

Pr. Khayat : La meilleure façon de vaincre un jour le cancer, c’est évidemment de l’éviter. Je pense que nous ne travaillons pas assez sur la prévention. Cette prévention passe par la connaissance des différentes causes du cancer. Aujourd’hui nous avons une idée assez précise de ces chiffres. Un tiers des cancers sont dus au tabac, et je pense qu’il faut accentuer nos politiques de lutte contre le tabagisme, notamment chez les jeunes. Un autre tiers est dû aux hormones, pour ce tiers nous ne pouvons malheureusement rien prévenir, en revanche nous pouvons, par exemple, veiller à ne pas recommander les traitements hormonaux substitutifs après la ménopause. 20 % des cancers sont ensuite dus à une mauvaise alimentation, 5% sont héréditaires, 6 à 7 % sont les conséquences de maladies infectieuses, l’hépatite pour le cancer du foie, le virus HPV pour le cancer de l’utérus et environ 3 à 4 % sont la conséquence de radiations, qu’elles soient naturelles ou consécutives à un accident nucléaire. Donc agir sur toutes ces causes, c’est agir sur de multiples terrains très complexes. Ce n’est pas simple de faire de la prévention, mais c’est la seule voie qui en vaille la peine pour l’avenir.

Dans une société de plus en plus polluée, les efforts qui peuvent être faits pour mener une vie saine ne sont-ils pas vains ?

Pr. Khayat : à côté de l’effet dramatique du tabagisme, la pollution n’est rien. Quelqu’un qui chercherait à ne se nourrir que d’aliments bio anéantirait ses efforts en fumant ! La puissance de l’effet cancérigène du tabac est tellement puissante que vivre dans un univers pollué est largement moins dangereux que le tabagisme. D’autre part, dans nos pays comme ailleurs, sur l’ensemble de notre vie, nous sommes touchés par ce que nous appelons des « doses faibles ». Prenons l’exemple de Fukushima, les personnes qui étaient dans la centrale au moment de l’explosion ont été exposées à des doses fortes. Mais ceux qui, aujourd’hui, mangent des aliments qui ont été contaminés ne sont exposés qu’à des doses faibles. Même chose pour les pesticides dans l’agriculture. Un agriculteur qui utilise des pesticides sans porter de masque sera exposé à des doses fortes, mais la personne qui consomme quelques fruits et légumes avec un peu de pollution sera exposée à des doses faibles. Pour toutes ces doses faibles, nous ne connaissons pas encore l’étendue des risques. Notre corps est équipé d’un système de réparation qui vient en aide à nos cellules lorsqu’elles sont endommagées, ce qui se produit à chaque instant. Ces systèmes de réparation sont visiblement capables de réparer les lésions créées par ces doses faibles, qu’il s’agisse de rayonnement ou de produits chimiques. Ce n’est que lorsque que ces systèmes deviennent défaillants, parce qu’ils ne sont pas très efficaces chez certains individus, ou parce qu’ils sont dépassés par le nombre de réparations qu’ils doivent faire, qu’apparaissent des mutations non réparées, et l’éventualité de développer un cancer.

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Propos recueillis par Olivia Phélip et Sybille de Larocque

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De larmes et de sang, de David Khayat et Isabelle Rabineau, Odile Jacob (17 janvier 2013)

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