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Sinistrée, Détroit se moque du duel Romney-Santorum

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[image:1,l] « Ce n’est pas si mal la nuit, me dit « Billy », mon Virgile dans l’enfer de Detroit. Cela pourrait presque ressembler à une vraie ville. »

La « Motor City » devenue un no man’s land

Il a raison : la tour General Motors, la statue « The Spirit of Detroit » et les stades illuminés apparaissent vibrants la nuit. Au Fox Theatre, un spectacle a attiré des milliers de personnes. Devant, elles font la queue.

Ce n’est pas la ville qui s’est révélée à mes yeux quelques heures avant, en plein jour, alors que je roulais le long de West Grand Boulevard. A cet endroit, les bâtiments abandonnés s’alignent, les ordures jonchent les trottoirs et pas une âme en vue pour humaniser le quartier. C’est comme si la guerre était passée par là.

Détroit est aussi une ville dangereuse. Elle a un des plus hauts taux de criminalité du pays.

L’élégant hôtel Saint Régis dans lequel je loge est en plein centre-ville. Le prix de ma chambre est inférieur à ce que j’ai payé dans un Comfort Inn dans le Wisconsin, la nuit dernière. Encore un signe de l’effondrement économique de la ville.

« Billy » qui ne veut pas être identifié, car il occupe une fonction importante dans la communauté et n’est pas vraiment un admirateur inconditionnel de la ville dans laquelle il vit depuis cinq ans.

Criminalité et crise immobilière

« J’ai acheté un appartement plus de 210 000 dollars quand je suis arrivé ici, dit-il. Aujourd’hui je serais heureux de le revendre 70 000 dollars ». Sa résidence se trouve dans le centre-ville, il a subi de nombreux cambriolages depuis ces dernières années.

La plupart des habitants de Detroit sont tellement noyés sous leurs prêts immobiliers qu’ils n’imaginent plus récupérer un jour leur investissement. Ceux qui, comme ce couple de retraités, Sandy et Paul, ont une maison sur les bords d’un lac pour y passer leurs derniers jours n’ont pas vraiment à s’inquiéter. Mais leur fille, Tara, est désormais bloquée dans une maison qui ne vaut plus que le tiers de sa valeur initiale.

Même la reprise économique de General Motors, qui a enregistré un record de profits cette année, n’a pas beaucoup rassuré les esprits inquiets.

« Bien sûr, tout le monde espère que Detroit renaisse, explique BillyMais ce sera long. »

Mitt Romney n’est plus l’enfant du pays

Detroit a déjà démontré son rejet total du camp républicain à l’approche du scrutin présidentiel. L’accueil qu’a réservé cette ville de 713 000 habitants (deux fois moins qu’en 1950) aux candidats à l’investiture a été plutôt froid.

Mitt Romney a pourtant sérieusement besoin d’une victoire ici. Né dans le Michigan, son père George Romney y a été un gouverneur très apprécié dans les années 1960. Une défaite serait un coup fatal pour le candidat.

Mais Mitt Romney mène une campagne médiocre dans cet Etat. Tout le monde ne parle que de cette ridicule interview, lors de laquelle le candidat a vanté les arbres du Michigan, qui sont tous « exactement à la bonne taille », ainsi que les lacs, « pas seulement les Grands Lacs, mais aussi tous les petits ».

Son apparition au Ford Field de Detroit s’est ajoutée à la liste des éléments humiliants de sa campagne : quelques centaines de partisans réunis dans un stade qui pourrait en contenir 70 000. Les vidéos des rangs vides n’ont pas arrangé le cas du candidat. Mitt Romney ne s’est pas non plus accordé les faveurs des habitants du Michigan en se vantant de conduire une Mustang et un pick-up Chevy pendant que sa femme Ann conduit « ses deux Cadillac ».

Celui qui veut désespérément être vu comme l’enfant du pays a commis un péché cardinal en s’opposant au plan de sauvetage de l’industrie automobile. Comme les quartiers détruits de Detroit en témoignent, la ville était presque totalement dépendante des « Trois Grands », Ford, General Motors et Chrysler.

Barack Obama, ce héros

General Motors a reçu près de 50 milliards de dollars de renflouement, 12,5 milliards pour Chrysler. Les deux sociétés ont fait des progrès significatifs, et les observateurs comme Billy prédisent que le président Barack Obama, qui a entrepris le sauvetage, aura ici une voie toute tracée pour un second mandat en novembre.

« Je ne vois pas comment Obama pourrait perdre à Detroit, déclare Billy au cours d’un dîner dans un pub bondé du centre-ville. Peut-être que d’autres communautés du Michigan, comme Grand Rapids, où la haute péninsule, auront un autre avis. Mais Detroit, dont 80 % des habitants sont noirs, sera derrière le président. »

Mitt Romney et Rick Santorum au coude-à-coude

Mais avant ces élections, il y a les primaires de mardi.

Le Michigan a une population de 9,8 millions d’habitants, dont 7,5 millions de votants. Quelques 56 délégués sont en jeu. Les délégués seront répartis à la proportionnelle selon les résultats de chaque district, ce n’est donc pas un vote à la « winner takes all ».

Les sondages hésitent entre Mitt Romney et l’ancien sénateur de Pennsylvanie Rick Santorum. Ce dernier a gagné quelques bons points avec son point de vue socialement conservateur. Alors qu’il s’oppose également au plan de sauvetage de l’industrie automobile, il avait aussi voté contre le sauvetage de Wall Street quelques années auparavant. Rick Santorum a attaqué Mitt Romney pour avoir soutenu les banquiers tout en condamnant les salariés de l’automobile à la ruine.

Mitt Romney n’a pas renoncé à ses positions, il pense que l’industrie automobile devrait traverser « la faillite gérée » grâce à une subvention du gouvernement, mais ces arguments économiques nuancés ont peu d’écho dans une ville qui se noie.

A l’heure actuelle, Mitt Romney à une légère avance dans les sondages, avec environ 39 % des intentions de vote. Rick Santorum réunit actuellement 35 % des intentions. Mais il y a à peine quelques jours, les sondages disaient exactement le contraire, personne ne peut donc être certain du résultat.

Detroit se désintéresse des primaires

Une chose cependant, est quasiment certaine : Detroit ne sera pas le faiseur de rois de cette élection. Peu de personnes interrogées ont exprimé une intention de vote. La plupart ont simplement haussé les épaules et se sont détournés lorsqu’on leur a demandé s’ils iraient voter mardi.

Les habitants de Detroit ont de nombreuses choses en tête ces temps-ci pour que les primaires républicaines passent au second plan.

Le motard aux cheveux longs qui était à côté de moi dans l’ascenseur sort au cinquième étage et me donne un signe de tête rassurant. « Veillez bien à votre sécurité », me conseille-t-il.

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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