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Taïwan, un modèle de démocratie en Asie

[image:1,l] Il n’est pas rare d’entendre certains érudits proposer la Turquie ou l’Indonésie comme modèle pour les pays où le Printemps arabe a conduit à une véritable transition démocratique. Mais en Asie, certains encouragent vivement la Birmanie, qui s’ouvre aux réformes démocratiques, à suivre l’exemple de Taïwan. Autrefois dictature, l’île est devenue l’exemple type d’une démocratie efficace. Mais tout le monde n’en est pas convaincu.

« Chaque processus de transition est unique à chaque pays », analyse Dafyyd Fell, responsable des études taïwanaises à l’Université de Londres. « Dans le cas de Taïwan, il y a des exemples positifs tels que le débat électoral qui a mené à une véritable amélioration des politiques, de même que la relation entre la démocratie et le combat contre la corruption politique. » Plus d’un aspect de la démocratie taïwanaise pourrait séduire les pays en transition, mais chaque cas est particulier et mieux vaut éviter de reproduire les mêmes schémas d’après les experts.

Une démocratie isolée

[image:2,s,h]Cette démocratie isolée à 177 km des côtes chinoises, qui a réélu en janvier le président sortant Ma Ying-jeou lors de la cinquième élection présidentielle libre du pays, est considérée comme l’un des plus grands succès démocratiques du 20e siècle. La dernière élection est là pour le prouver : taux de participation frôlant les 75 %, aucun signe de violence, procédé juste et équitable… de quoi faire rêver nombre de pays.

Dans les années 1980, Taïwan entame sa transition démocratique et met fin aux quarante années de dictature du parti nationaliste chinois Kuomintang (KMT). Arrivé sur l’île en 1949, après avoir perdu une guerre civile contre les forces communistes de Mao Zadong, le KMT s’est imposé aux Taïwanais avec une répression sanglante d’une dizaine d’années, la « Terreur blanche », faisant 30 000 victimes et des milliers de prisonniers et de disparus.

À la tête du Kuomintang de 1926 à 1975, Tchang Kaï-chek, surnommé « Cash-My-Check » dans les cercles diplomatiques occidentaux, profitait de sa position d’allié des États-Unis dans leur lutte contre la diffusion du communisme pour diriger librement d’une main de fer. Ironiquement, il était résolument antidémocratique et croyait que seuls les systèmes autocratiques avaient un avenir en Chine.

Un pays rivalisant avec le Japon et la Corée du Sud

Aujourd’hui, la stabilité de la démocratie taïwanaise rivalise avec le Japon et la Corée du Sud et est souvent utilisée comme référence pour les activistes des droits de l’homme en Chine. Dans le sillage des élections couronnées de succès du mois dernier, les Chinois restés sur le continent ont jalousement – et discrètement – demandé à leur gouvernement d’en faire de même.

« Si on compare Taïwan à ses homologues asiatiques, le pays se débrouille extrêmement bien. Les droits des femmes ainsi que leur représentation dans la vie politique sont en avance par rapport à la Corée du Sud ou au Japon. De même que son système politique est bien plus stable et institutionnalisé que dans ces deux pays », ajoute Dafyyd.

Les qualifications de l’île n’en sont pas moins impressionnantes : les forces militaires et policières ont été réformées ; les institutions civiles, les droits de l’homme et le système éducatif ont été renforcés ; l’électorat est passionné de justice sociale et tient à ses libertés durement gagnées.

Le succès de la démocratie taïwanaise

[image:3,s,r]Mais rien de tout cela ne promet la réussite du système taïwanais dans d’autres pays.

La démocratie taïwanaise a été faite sur mesure et a profité d’un timing adéquat d’après George Tsai, vice-président de la Fondation pour la démocratie, un organisme dirigé par le gouvernement taïwanais chargé de travailler sur l’amélioration de la démocratie en Asie.

« Les institutions civiles fonctionnent extrêmement bien, et après cinq élections générales, nous avançons toujours plus vers une démocratie mature. Nous sommes en bonne forme », confiait Tsai. « Mais il était vraiment important d’avoir une solide croissance économique appuyée par un renforcement de la classe moyenne et du système éducatif. Les réformes judiciaires ont suivi. C’est le modèle qu’on a utilisé et ça a plutôt bien fonctionné. »

Toujours selon Tsai, la croissance économique soutenue, une classe moyenne étendue et un bon système éducatif ont été les fondements de la transition. De là, les politiciens de l’île ont été capables de démanteler beaucoup d’héritages autoritaires comme la loi martiale, le système du parti unique ou les lois restrictives concernant les associations et les mouvements citoyens. Plus tard, des réformes législatives ont émancipé d’autres domaines comme la justice, l’armée, l’électorat et les médias, jusqu’à ce que Taïwan soit prêt à tenir sa première élection présidentielle en 1996.

L’impasse birmane

Tsai souligne que cette transition est progressive et que de nombreuses mesures qui ont fait son succès ont vu le jour grâce à l’essor économique de la région. La Birmanie et les pays du Printemps arabe ne profitent pas des mêmes conjonctures. Bien qu’elle soit riche en ressources, l’économie birmane, qui fut la plus puissante d’Asie, est maintenant la deuxième plus petite de la région. Ses infrastructures, son système de santé et d’éducation sont en ruines et les richesses ne sont pas redistribuées équitablement. Ces problèmes, associés au mépris du pays pour les droits de l’homme et aux opérations militaires permanentes contre des groupes ethniques, sont loin d’être les mêmes qu’à Taïwan pendant les années 1990.

Le message est clair : les pays qui s’inspirent de modèles démocratiques sans prendre en compte les réalités historiques, politiques et culturelles ont peu de chance de réussir leur transition.

Un modèle ne pouvant être reproduit

La corruption rampante en Indonésie, l’achat de l’électorat, le non-respect des droits de l’homme, et le fait que les trois candidats à l’élection présidentielle de 2009 étaient d’anciens généraux sous la dictature de Suharto font craindre que ce pays, qui compte le plus de musulmans au monde et qui est le dernier membre du G20, n’est pas là où il le devrait.

Et alors que la Corée du Sud et Taïwan partagent l’expérience d’une dictature militaire avec la Birmanie, la comparaison s’arrête là. « Si la Chine imposait le modèle démocratique des États-Unis, il s’effondrerait pendant la nuit. Nous ne pouvons pas imposer un système aux autres », a ajouté Tsai, qui donne également des cours à l’Université de la culture chinoise à Taipei.

« Si vous prenez l’exemple des Philippines ou de l’Indonésie, elles sont toutes deux des démocraties libérales, mais sont également rongées par la corruption et son développement économique est amorphe et empêche la classe moyenne de s’étendre comme elle le devrait. Ça met fin au développement politique et démocratique. » 

Une transition démocratique réussie sans aucune aide

L’électorat taïwanais a beau être profondément divisé entre le Nord et le Sud, les riches et les pauvres, et sur le sujet d’une plus grande intégration avec son ancien ennemi, la Chine, la démocratie a permis de stabiliser le pays. Les citoyens ont puni les politiciens extrémistes dans les urnes, et récompensé les leaders centristes.

Mais ce qui rend la transition démocratique de Taïwan encore plus remarquable, c’est que le pays y soit arrivé sans l’aide de personne. Son isolement diplomatique et la reconnaissance d’une majorité des pays de « la politique chinoise unique » ont fermé l’île à des organismes comme les Nations Unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque de développement asiatique. En dépit de son impressionnant développement économique et démocratique, ce pays de 23 millions d’habitants manque toujours de représentants dans la plupart des organismes mondiaux, et ce, même si Taïwan est l’une des plus grandes places commerciales au monde.

GlobalPost/Adaptation Antoine Le Lay pour JOL Press

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