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Vertus et vices du miraculeux «modèle allemand»

[image:1,l] Standard & Poor’s, dans ses remarques accompagnant la dégradation de la note souveraine de la France, a indiqué que sa décision était due au niveau de l’endettement public mais également au coût du travail trop élevé en France. Le problème des rigidités inhérentes au marché du travail français est effectivement une des divergences entre les deux pays. Mais le « modèle allemand », ce n’est pas que davantage de flexibilité, moins de réglementation et une libéralisation à outrance. C’est aussi un héritage culturel, une question de mentalité. De la rigueur aussi, cette rigueur dont la chancelière Angela Merkel s’est faite l’incarnation. 

Les clés du succès allemand

L’économie allemande s’est spécialisée sur des produits où la demande mondiale reste soutenue : automobile, chimie, biens d’équipement, industries mécaniques. Elle s’appuie sur un savoir-faire éprouvé et le label « made in Germany » jouit d’une solide réputation aux quatre coins du monde.

La vigueur de cette économie repose sur un nombre important d’entreprises de tailles intermédiaires. Ce fameux « mittelstand », ce sont 10 000 grosses PME de plus de 250 employés (contre 5 000 en France) – dont 2 000 champions mondiaux- qui réalisent 40% des exportations allemandes. Leur stratégie : innovation permanente, spécialisation de niche, développement interne plutôt que croissance externe, dirigeants pariant sur le long terme.

La tradition et le savoir-faire dans la conquête de nouveaux marchés est indéniablement un atout majeur de l’Allemagne. Ainsi, les dirigeants de ces entreprises du « mittelstand » n’hésitent pas à se regrouper si nécessaire pour attaquer un marché.

Le système de formation est favorable à l’insertion en entreprise. L’Allemagne compte trois fois plus de jeunes formés en alternance qu’en France: 1,5 million, contre 600 000. Le taux de chômage des moins de 25 ans en Allemagne est inférieur à celui de l’ensemble de la population, alors qu’en France il lui est près de trois fois supérieur. L’importance de l’apprentissage dans l’économie allemande s’explique par une longue tradition remontant au Moyen-Age et jamais interrompue. Le système inspiré de l’artisanat y a été adapté à l’industrie et aux services.

Les entreprises ont massivement recours au chômage partiel. L’Etat et les partenaires sociaux ont réussi à établir les conditions d’un dialogue social de qualité sur les salaires et l’emploi.

Les réformes du marché du travail conduites par Gerhard Schröder

C’est le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, prenant à contre-pied la gauche européenne, qui a mené les plus grandes réformes du marché du travail jamais lancées en Allemagne. Celles-ci s’inspirent largement des travaux de la commission Hartz, qui a déposé son rapport en 2002. Les lois Hartz I et II, entrées en vigueur en janvier 2003, visent à améliorer la rapidité et la qualité du placement à travers la création d’agences de placement de personnel, à réorienter les services de formation continue et à lutter contre le travail au noir. La nouvelle législation prévoit également des dispositions pour réglementer de manière générale l’utilisation du travail intérimaire.

Le recours croissant au temps partiel

Ainsi ont été créés des mini-jobs, emplois dont la rémunération ne peut dépasser 400 euros par mois, qui peuvent être exercés en parallèle de l’aide sociale ou en plus d’un emploi « traditionnel ». En théorie, l’objectif est d’inciter au maximum les personnes sans emploi à revenir dans le monde du travail. Avantage pour les entreprises : les mini-jobs sont quasiment totalement dispensés de charges sociales. Les employeurs ont donc eu tendance à substituer les mini-jobs aux contrats classiques à temps complet fiscalisés. En conséquence, le recours au temps partiel a fortement augmenté

Au cours de la dernière décennie, l’Allemagne a créé 2 millions d’emplois à temps partiels (et peu à temps plein), tandis que la France en a créé 2 millions à temps plein (et très peu à temps partiel). La proportion de temps partiel a augmenté d’un tiers outre-Rhin sur cette période, alors qu’elle restait stable en France. L’Allemagne compte un quart de salariés à temps partiel, dont 19 % (7 millions) de mini-jobbers.

La compression consentie des salaires

Les mini-jobs ont généré une pression à la baisse supplémentaire sur les salaires. Entre 2000 et 2010, l’Allemagne a certes augmenté et développé ses exportations, mais les salaires ont baissé en terme nominal, c’est-à-dire qu’ils ont augmenté moins vite que l’inflation. Le salaire mensuel net médian a perdu 7,4 % en dix ans outre-Rhin, alors que le salaire annuel moyen a crû de 10,8 % en France. Cette compression consentie des salaires était nécessaire en raison du faible niveau de productivité de l’ancienne Allemagne de l’Est. Cela a pesé sur le pouvoir d’achat des ménages et la part de la consommation dans le PIB s’est contractée. Les exportations ont ainsi bondi bien plus vite que les importations et l’Allemagne est aujourd’hui trop dépendante du commerce extérieur. On l’a vu en 2009, au plus fort de la crise économique mondiale : le PIB allemand a chuté de 5,1 %, contre un repli de 2,7 % en France. En 2012, alors que la zone euro – qui représente 40 % des exportations allemandes – est au bord de la récession, le PIB allemand devrait croître d’à peine 0,3 % selon le FMI.

Les risques de paupérisation de la population

Autre revers de la médaille : près de 90 % de ces petits boulots entraient dans la catégorie des bas, voire très bas salaires (moins de 9,76 euros bruts de l’heure à l’Ouest et moins de 7,03 euros de l’heure à l’Est). 20 % des salariés allemands sont payés à un niveau inférieur au smic horaire français et 40 % ont un salaire mensuel net inférieur à 1 000 euros.

Les chômeurs – 2,9 millions de personnes – ne sont pas mieux lotis. La dernière loi adoptée par Gerhard Schröder, Hartz IV, a fusionné l’allocation chômage de longue durée et l’aide sociale. Depuis 2005, après une année de chômage, les personnes sans emploi ne perçoivent plus qu’une allocation de 850 euros, aide au logement comprise. 70 % des chômeurs allemands vivent ainsi sous le seuil de pauvreté. Plus globalement, l’Allemagne compte 12 millions de pauvres (avec moins de 940 euros par mois), soit 15 % de la population, contre 13,5 % en France. A l’autre bout de l’échelle, 825 000 Allemands détiennent 2,6 millions d’euros de patrimoine, soit 1 % de la population qui se partage le quart de la richesse du pays. La politique de déflation salariale a conduit à un accroissement des inégalités de revenu à une vitesse jamais vue, même durant le choc de l’après-réunification.

L’Allemagne, responsable de la crise en zone euro ?

Dans son rapport sur les tendances mondiales de l’emploi pour 2012, publié le 24 janvier 2012, l’Organisation internationale du travail (OIT) va jusqu’à affirmer que l’Allemagne est responsable de la crise en zone euro. « L’amélioration de la compétitivité des exportateurs allemands est de plus en plus identifiée comme la cause structurelle des difficultés récentes dans la zone euro », estime l’agence onusienne basée à Genève. « Au niveau européen, cela a créé les conditions d’un marasme économique prolongé, car les autres pays membres voient de plus en plus une politique de déflation des salaires encore plus dure comme solution à leur manque de compétitivité », explique-t-elle.

L’Allemagne n’est pas seule responsable de la crise d’endettement des pays de la zone euro. Mais l’absence d’inflation en Allemagne, liée à la contraction des salaires, a conduit la Banque centrale européenne à mener une politique monétaire trop expansionniste pour la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande. Dans ces pays, l’accès à un crédit facile et pas cher a nourri une hausse artificielle des salaires ainsi que des bulles immobilières.

Le modèle allemand a, finalement, bien des vertus dont la France aurait raison de s’inspirer, notamment en ce qui concerne encore la qualité du dialogue social, les spécialisations industrielles ou encore la capacité des entreprises à s’exporter et à conquérir de nouveaux marchés. Mais tout copier reviendrait très certainement à mettre à bas notre modèle social, un modèle vanté par Nicolas Sarkozy lui-même pour sa capacité à avoir amorti le choc de la crise économique mondiale. 

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