Site icon La Revue Internationale

Xavier Bertrand : « Associer progrès social et croissance »

[image:1,l]

>L’assouplissement des règles sur le chômage partiel

JOL Press : faisant suite aux mesures pour l’emploi annoncées par Nicolas Sarkozy,  vous venez de trouver un accord avec le patronat et les syndicats sur l’assouplissement des règles concernant le chômage partiel. Concrètement qu’est-ce qui va changer par rapport au dispositif actuel et à quelle date ces mesures seront-elles appliquées ?

Xavier Bertrand :  lors de la réunion que j’ai tenue avec les partenaires sociaux le mardi 31 janvier sur l’activité partielle, j’ai proposé, conformément à l’engagement du président de la République, de renforcer la prise en charge de l’activité partielle par l’Etat pour la rendre plus attractive et en faciliter le recours par les entreprises. Les partenaires sociaux ont conclu en effet, ce lundi 6 février, un accord national interprofessionnel, qui reprend cette proposition de l’Etat pour créer un dispositif plus lisible et plus incitatif pour les entreprises.

Il s’agit d’une mobilisation renforcée de l’Etat et de l’Unédic : lors du sommet du 18 janvier, l’Etat a décidé de consacrer cette année 100 millions d’euros de plus à l’activité partielle. Avec l’accord conclu par les partenaires sociaux le 6 février, l’Unédic mobilise une enveloppe supplémentaire de 80 millions d’euros en 2012. C’est un progrès considérable dans la mobilisation de l’activité partielle au service de l’emploi. Le reste à charge pour l’entreprise diminuera très fortement, de plus de 10 points de pourcentage dans la plupart des situations. Les entreprises seront davantage incitées à recourir à l’activité partielle, ce qui permettra d’éviter des licenciements. L’activité partielle est dans l’intérêt de tous, du salarié, mais aussi de l’entreprise. Former et garder ses salariés est toujours préférable à devoir licencier. L’ensemble du nouveau dispositif sera opérationnel dès le mois de mars.

Par ailleurs, j’ai d’ores et déjà diffusé aux services du ministère la circulaire qui simplifie le recours à l’activité partielle. Le décret d’application, paru aujourd’hui, élargit les possibilités de formation, de bilans de compétence ou de validation des acquis de l’expérience pendant les périodes d’activité partielle de longue durée (APLD) faisant l’objet d’une convention. Il porte en outre à 100 % du salaire net du salarié l’allocation horaire qui lui est versée pendant ces périodes de formation.

>La TVA sociale

Vous avez été un fervent défenseur de la TVA sociale. Cependant, les Français ne semblent pas avoir compris l’intérêt de cette mesure annoncée récemment par le président de la République, puisque plusieurs sondages montrent qu’une nette majorité d’entre eux y est opposée. Comment réagissez-vous à cette attitude ?

Xavier Bertrand : ce que je retiens, c’est qu’il nous faut faire encore davantage de pédagogie pour convaincre les Français de la nécessité de réformer le financement de notre protection sociale. Tout le monde est d’accord pour dire que le financement de notre système de protection sociale – système auquel nous sommes très attachés – pèse trop sur le travail. Dans la crise que nous traversons, il faut se donner les moyens de favoriser la compétitivité pour créer de la croissance et donc de l’emploi. Pour cela, il faut que les charges pèsent moins sur le travail.

L’objectif est d’améliorer la compétitivité de notre économie et, en particulier, la compétitivité de notre production industrielle, mise à mal par la crise. L’idée est simple : créer plus d’emplois en France.

Quel recul avons-nous des résultats de l’application de cette TVA sociale, qui a été mise en œuvre au Danemark à partir de 1987 et en Allemagne en 2007 ?

Xavier Bertrand : nous constatons que la balance commerciale de ces pays est excédentaire, contrairement à la France. La mesure que nous proposons est pensée pour répondre aux défis que la France doit relever, notamment concernant la compétitivité de son secteur industriel. Je pense à l’industrie de l’automobile, des services de transport, de la construction ou encore à l’industrie des biens de consommation.

La hausse de la TVA ne concernera d’ailleurs que les produits soumis au taux normal de TVA. Cette hausse ne concernera donc ni les produits exonérés de TVA ni ceux soumis aux taux réduits ou intermédiaires, qui représentent la plus grande part de la consommation des ménages, c’est-à-dire 60 %. Par ailleurs, la baisse des charges va permettre aux entreprises de disposer d’une marge de manœuvre plus importante pour diminuer leurs prix et accroître leurs parts de marché. La diminution des cotisations sociales des employeurs a démontré par le passé et à plusieurs reprises, son impact positif sur l’emploi. La réforme du financement de la protection sociale devrait permettre de créer ou sauvegarder près de 100 000 emplois en soutenant l’activité de nos exportateurs. Une étude de la DARES, publiée la semaine dernière, montre d’ailleurs que cette politique a permis de créer ou de préserver entre 400 000 et 800 000 emplois en vingt ans. L’allègement du coût du travail bénéficiera à toutes les entreprises et en particulier aux petites et moyennes entreprises, pour lesquelles le coût du travail est essentiel dans la décision de recruter.  

>Le modèle allemand

Le modèle allemand, qui a été cité en référence par le président de la République lors de son allocution du 29 janvier, a fait le choix de privilégier la souplesse, voire la déstructuration des schémas de travail. Pensez-vous que les solutions pour sauver l’emploi passeront inévitablement par une précarisation des emplois ?

Xavier Bertrand : absolument pas. Depuis 2007, nous avons travaillé à la recherche d’un bon compromis entre davantage de flexibilité pour les entreprises et davantage de sécurité pour les salariés. C’est l’exemple de la rupture conventionnelle, ou encore du contrat de sécurisation professionnelle, actif depuis le 1er septembre et mis en place avec les partenaires sociaux. Ce contrat permet une meilleure prise en charge des salariés licenciés pour motif économique. J’ai la conviction que nous pouvons aller plus loin. C’est l’idée du CDI en intérim, qui permet de garantir la même souplesse pour l’entreprise, tout en donnant plus de sécurité pour les salariés. C’est aussi le sens des accords compétitivité-emploi, qui permettent notamment d’adapter le temps et l’organisation du travail au carnet de commandes d’une entreprise pour garder les salariés, de les former au lieu de licencier ou au contraire d’augmenter la production pour faire face à un pic d’activité

Le dernier sondage réalisé par l’institut Harris Interactive pour JOL Press sur les Français et le modèle allemand nous montre des résultats paradoxaux. Autant les Français considèrent que la situation de l’Allemagne est préférable à celle de la France dans de nombreux domaines, autant ils semblent préférer les prestations sociales et le droit du travail français. Comment analysez-vous cette perception ? Faut-il nécessairement opposer protection sociale et efficacité économique ?

[image:2,s]Xavier Bertrand : Tout comme les Français, je suis très attaché à notre modèle social. Accroître notre compétitivité, c’est aussi nous permettre de le conserver. L’idée n’est pas de dire qu’il faut « tout faire comme les Allemands », cela n’aurait pas de sens, mais de s’inspirer de ce qui fonctionne bien là-bas, comme ailleurs, en l’adaptant aux spécificités de notre pays, dont la protection sociale fait intégralement partie. Appuyons-nous sur nos expériences respectives pour faire les réformes nécessaires et relancer ainsi la croissance, l’emploi et la compétitivité. Il s’agit de donner plus de souplesse et de marge de manœuvre, en faisant davantage confiance au dialogue social dans l’entreprise. C’est par exemple les accords de compétitivité, qui ont donné sa force à l’Allemagne pendant la crise. C’est aussi la réforme du dialogue social avec la loi que j’ai initiée en 2008, qui donne plus de légitimité aux partenaires sociaux et au dialogue social. C’est aussi, à mon sens, associer davantage les salariés aux décisions de l’entreprise en leur donnant toute leur place au sein des conseils d’administration. C’est encore la relation entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants. C’est enfin un meilleur partage des richesses, c’est tout le sens de la participation, de l’intéressement et de la prime dividendes que nous avons mis en place.

>Chômage et réindustrialisation

Au cœur du débat sur le travail se trouve la question de la réindustrialisation. Pouvez-vous nous expliquer comment la France peut stimuler la réindustrialisation, sans tomber dans le protectionnisme et sans baisser le coût du travail ?

Xavier Bertrand : nous le savons, la situation économique et industrielle française est marquée par les fortes incertitudes liées au ralentissement économique mondial et aux crises des dettes souveraines européennes.

Nous avons choisi d’encourager l’innovation, malgré la crise, en réformant la taxe professionnelle, grâce aux investissements d’avenir. En développant le crédit impôt recherche dont 80 % des bénéficiaires sont des PME, avec le FSI pour le renforcement des fonds propres et OSEO pour les aides à l’innovation et les prêts. Et en créant, au sein d’OSEO, une entité entièrement dédiée au soutien et à l’accompagnement des entreprises industrielles. Par ailleurs, la question des charges qui pèsent sur le travail est centrale, parce que, trop lourdes, elles pénalisent la compétitivité et l’emploi.

La crise qui frappe l’Europe fait craindre un risque de récession. Comment sortir de la spirale chômage-récession ?

Xavier Bertrand : chacun sait que tant que nous ne serons pas sortis de la crise et tant que la conjoncture économique sera mauvaise, la situation sur le front de l’emploi restera difficile. Ce sont les entreprises qui créent de l’emploi, et sans croissance elles embauchent moins ou pas. Mais je ne suis pas de ceux qui disent qu’en matière de lutte contre le chômage, nous avons tout essayé. Les mesures que nous avons mises en œuvre ces derniers mois nous ont permis d’éviter que le chômage n’explose comme cela a été le cas chez la plupart de nos voisins européens. J’ai d’ailleurs tenu a ce que les décisions prises lors du sommet du 18 janvier organisé par le président de la République soient appliquées immédiatement. Je pense au dispositif zéro charge dans les TPE, réactivé pour une période de six mois pour toute embauche d’un jeune de moins de 26 ans. Cette mesure a pris effet dès le 18 janvier. Nous simplifions les dispositifs, pour accompagner les entreprises qui traversent des difficultés, en simplifiant et en rendant financièrement beaucoup plus attractif le recours à l’activité partielle, pour garder les salaries et les former plutôt que de les licencier. Nous soutenons aussi l’aide à l’embauche des seniors grâce au dispositif d’incitation à l’embauche de demandeurs d’emploi de plus de 45 ans en contrat de professionnalisation. Depuis le 1er mars 2011, près de 10 000 demandes d’entreprises ont été enregistrées pour cette aide à l’embauche. Nous avons aussi choisi de favoriser l’insertion professionnelle durable des jeunes grâce à l’apprentissage. En 2011, malgré le ralentissement de la croissance, il y a eu 30 000 entrées supplémentaires, soit + 7 %. Et nous prenons des mesures pour que les grandes entreprises se mobilisent davantage. Le président de la République a ainsi souhaité que, d’ici à 2015, la pénalité s’appliquant aux entreprises ayant moins de 1 % d’alternants soit progressivement doublée. 

Que pensez-vous du contraste entre l’Europe qui s’enfonce dans la crise et les Etats-Unis qui affichent pour le troisième mois consécutif une baisse significative du chômage ?

[image:3,s]Xavier Bertrand : les Etats-Unis n’ont pas de filets de sécurité. En cas de crise, celle-ci est extrêmement violente pour ceux qui perdent leur emploi, mais il est vrai que lorsque leur économie redémarre, il n’y a aucun frein au redémarrage. La France est fière de son modèle social, dont certes le mode de financement pèse trop sur l’appareil productif, mais qui nous a permis d’amortir le choc de la crise. L’enjeu est aujourd’hui de trouver un nouveau modèle de financement pour notre protection sociale, plus favorable à la croissance, et donc à l’emploi. C’est le projet présenté par le président de la République. Nous le voyons bien, les pays européens qui ont su engager sur une décennie les réformes structurelles, comme l’Allemagne, ont vu également leur taux de chômage baisser ces dernières années. Nous devons continuer à mener les réformes engagées depuis 2007 pour conforter la place de la France en première division, et non faire machine arrière comme le proposent François Hollande et le Parti socialiste.

Contrairement aux Etats-Unis, les institutions européennes ont privilégié les aides aux systèmes financiers plutôt que les aides directes aux entreprises. Ont-elles apporté des réponses suffisantes ?

Xavier Bertrand : en soutenant nos banques, nous avons aidé nos entreprises qui y trouvent leur source première de financement. N’ayons pas la mémoire courte, la chute de Lehman Brothers a eu des répercussions sur l’économie réelle du monde entier. L’Europe n’a d’ailleurs pas fait de « cadeaux » aux banques. Je rappelle qu’en France, cette aide s’est faite sous forme de prêts et a d’ailleurs permis à l’Etat français de gagner plusieurs milliards d’euros. L’Europe fait un choix raisonné en aidant les banques. Le modèle de banque universelle en France rend les établissements plus solides, mais aussi plus stratégiques pour l’économie.

>G20 social et droits sociaux universels

Avec cette crise qui s’est accélérée en France et en Europe, que reste-t-il des espoirs d’une régulation sociale de la mondialisation, telle que vous l’aviez définie dans le cadre du dernier G20 social de septembre 2011 ?

Xavier Bertrand : la crise internationale que nous traversons ne fait que renforcer la nécessité d’une régulation sociale de la mondialisation. L’enjeu est celui d’une mondialisation équilibrée, c’est-à-dire qui ne donne pas tout à l’économie et rien au social. Cette vision était déjà défendue par Nicolas Sarkozy devant l’OIT, en 2009, au cœur de la crise économique mondiale : la croissance économique avec la justice sociale, le libre-échange avec le respect des droits des travailleurs. Grâce à la présidence française, les enjeux sociaux sont désormais durablement à l’agenda du G20. Le dernier G20 social a d’ailleurs permis de réelles avancées avec la mise en place d’une task force pour renforcer la coopération au sein du G20 et apporter des solutions concrètes dans le domaine de l’emploi, en rappelant la nécessité de progresser dans la mise en œuvre de socles nationaux de protection sociale et en appelant à une meilleure coordination des actions des organisations internationales pour accompagner les Etats. Bien sûr, on peut avoir l’impression que tout cela est loin de la réalité quotidienne. Je ne le crois pas. Même s’il faut du temps, les choses avancent et petit à petit chacun fait un pas. C’est aussi le sens du moteur franco-allemand et l’objet de l’initiative conjointe que nous menons avec mon homologue allemande Ursula von der Layen, pour une Europe plus riche en emploi et plus solidaire, en développant l’alternance dans l’ensemble de l’Union européenne pour permettre l’accès des jeunes à des emplois de qualité, en proposant la tenue d’un forum social avec les partenaires sociaux chaque année afin de donner un nouvel élan au dialogue social au niveau communautaire. La rédaction d’un livre blanc sur l’Europe sociale pourrait permettre d’amorcer une réflexion partagée.

Que pourriez-vous dire aux Français et aux Européens pour qu’ils retrouvent confiance dans l’avenir ?

Xavier Bertrand : je pense que ce que les citoyens attendent de leurs gouvernants, c’est qu’on leur dise la vérité. L’économie européenne, particulièrement au sein de la zone euro, doit retrouver le chemin d’une croissance soutenue. Chacun a bien conscience que les efforts devront se poursuivre dans les années à venir. L’enjeu de ces prochaines années sera de réduire la dette, d’accroître notre compétitivité économique et de toujours agir dans un esprit de justice. Pour cela, il faudra continuer à mener des réformes structurelles pour nous moderniser, sortir durablement de la crise et préparer dès maintenant l’après-crise. Les défis qui sont devant nous sont donc immenses, mais certainement pas insurmontables. Les citoyens européens attendent une Europe qui protège, qui crée des emplois, et qui se donne les moyens d’être compétitive. Cela veut dire notamment baisser les charges qui pèsent sur le travail, tout en maintenant un haut niveau de protection sociale. Cela veut dire aussi lutter contre le dumping social, parce que la libre circulation ne doit pas se faire au détriment de la protection sociale des travailleurs. Cela veut dire placer la dimension sociale au cœur de la réglementation européenne. Nos concitoyens ne veulent pas avoir à choisir entre la croissance économique et financière ou le progrès social. C’est tout le sens de notre action.

Quitter la version mobile