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Après Toulouse : pas de leçon à recevoir du Royaume-(dés)uni

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Mercredi 21 mars, j’ai participé à l’émission Inside Story sur Al Jazeera English. Deux jours après la tuerie de Toulouse, Mohamed Merah restait retranché dans un appartement et le temps n’était pas à la polémique. Le débat devait porter sur la perception de cette tragédie par les Français. 

Laura Kyle, depuis Doha, m’a posé une première question sur l’état de l’opinion publique française. Question suivante : les dirigeants politiques français seraient-ils responsables ? En clair, des propos anti-immigration, anti-islam auraient-ils poussé au terrorisme ? Jeremy Corbyn, en duplex depuis Londres, avait la réponse. Le député travailliste britannique s’est livré à un réquisitoire contre la France et les Français, institutionnellement et congénitalement discriminatoires et racistes, interdisant le port du voile islamique, stigmatisant la consommation de viande halal et poussant une jeunesse désespérée au fanatisme…

Le fanatisme et le terrorisme sont injustifiables

Jeremy Corbyn se trompait de débat, je l’ai dit. Selon moi, il était — et reste — fallacieux de chercher à exonérer de ses responsabilités l’auteur de ces crimes infâmes et de nier une réalité : Mohamed Merah était un jeune Français, fanatisé et rallié à une idéologie meurtrière, le fondamentalisme islamiste, qui, à travers le djihad, a pour objectif de détruire les prétendus ennemis de l’islam — ou plutôt de sa version pervertie de l’islam. Ces ennemis, il faut le rappeler, ce seraient les infidèles, Israël bien sûr, et l’Occident avec ses valeurs de tolérance, mais aussi tous ceux qui « pactisent » avec l’ennemi : et c’est pour cela qu’un musulman comme Mohammed Merah a commencé par tuer d’autres musulmans, à Montauban, au motif qu’ils portaient l’uniforme de l’armée française.  

Or, si certains jeunes Français musulmans peuvent s’estimer victimes de discriminations — et il convient d’y remédier —, tous ne tombent pas dans le fanatisme. Si c’était le cas, il ne se serait pas écoulé dix-sept ans entre la vague d’attentats islamistes de 1995, orchestrés par le GIA algérien, et les tragédies de Toulouse/Montauban. Il n’y aurait pas un, mais des milliers de Mohamed Merah. Les difficultés sociales ne sauraient, à elles seules, entraîner et justifier le fanatisme et le terrorisme.

Une intolérable autoflagellation

Déjà vu, comme disent les Britanniques, déjà entendu… l’argumentaire de Jeremy Corbyn n’était en rien surprenant. Il reprenait, mot pour mot, une rhétorique éprouvée, celle qui avait, notamment, largement dominé les débats après les attentats de Londres du 7 juillet 2005. A l’époque de 07/07 – « seven-seven », en référence au « nine-eleven » du 11-Septembre —, j’habitais Londres. Je me souviens que le Royaume-Uni avait découvert avec horreur qu’il avait nourri en son sein des terroristes islamistes, que des jeunes hommes, nés et élevés sur cette île, haïssaient à ce point la société dans laquelle ils avaient grandi qu’ils étaient prêts à tuer et à mourir pour la déstabiliser et, in fine, la détruire. Ken Livingstone, qui était alors maire de la capitale britannique, avait, dans les heures suivant les attaques, appelé à l’union de toutes les communautés dans ONE London — UN Londres – multiculturel. Mais il avait aussi osé justifier de tels passages à l’acte par les discriminations et le racisme dont auraient souffert ces jeunes hommes avant de tourner djihadistes.

Les responsables politiques et une large part de l’intelligentsia britannique se sont voilé la face. Sept ans après, le Royaume-Uni n’a jamais été autant menacé par la ghettoïsation et le communautarisme.

Le modèle républicain, un OVNI

A l’étranger, et au Royaume-Uni en particulier, la France est, depuis des années, stigmatisée à chaque fois que ses autorités s’efforcent de réaffirmer — et de protéger — les principes fondateurs de la République et son modèle bicentenaire.

Incompris, que la République soit une et indivisible, et qu’à ce titre elle refuse toutes formes de communautarisme et rechigne à reconnaître, en dehors du cadre qu’elle constitue et impose, des communautés ethniques, religieuses ou sexuelles autonomes. Incompris, qu’en conséquence le multiculturalisme prenne un sens différent. Incompris, qu’au nom de la laïcité, cette même république interdise le port de tous signes religieux ostentatoires dans les bâtiments publics, que ce soit le voile islamique, la kippa juive, le turban sikh ou le crucifix des chrétiens. Incompris, la signification profonde, le caractère exclusif, la formidable opportunité que constitue la citoyenneté française.

Incompréhensions multiples qui justifient souvent, vu d’ailleurs, que la France soit taxée, à l’emporte-pièces, de racisme et de xénophobie.

La République sur la défensive

Pour autant, dans le parcours tragique de Mohamed Merah, la France la République — a une part de responsabilité. Une responsabilité qui va bien au-delà de dérapages verbaux, de stratégies électorales, de climats anti-ceci ou cela. Bien au-delà du fait que, depuis des années, des religieux fondamentalistes, arrivés de l’étranger, ont pu opérer impunément sur le territoire et contaminer une infime minorité de jeunes ou moins jeunes.

Depuis trente ans – au moins —, la France a peut-être insuffisamment protégé son modèle républicain. Car les incantations ne suffisent pas, pas toujours, surtout lorsque, par exemple, il s’agit de former de futurs citoyens.

La République a reculé à l’école. A quoi bon apprendre — à la va-vite — La Marseillaise si on oublie les valeurs, la culture et l’histoire de la République ? Confondant globalisation, ouverture sur le monde, universalisme et relativisme culturel, on a laissé croire — négligemment ou volontairement — que l’on ne pouvait être à la fois citoyen du monde et citoyen français, et doublement fier de l’être. A l’école et à l’armée aussi, visée directement à Montauban et Toulouse. La suppression du service militaire est une erreur lourde de conséquences. Certes, le dispositif était pénible et ses dix mois bien longs. Mais, pour l’avoir fait, et pour de vrai, chez des dragons stationnés en Allemagne parmi des recrues plutôt réfractaires, je sais qu’il était aussi l’occasion d’un long stage de citoyenneté dont, forcément, il reste quelque chose chez mes camarades, comme chez moi.

Messieurs les Anglais…

Justifiés alors, ces jugements péremptoires de commentateurs étrangers ? Non, car s’ils prétendent faire du modèle républicain français un régime oppressif et anachronique, c’est parce qu’ils refusent d’admettre qu’il a fonctionné par le passé, fonctionne peu ou prou et, surtout, recèle en lui des solutions à bien des maux contemporains — ne serait-ce parce que, fondamentalement, il est inclusif et universaliste. En la matière, pas de leçons à recevoir du Royaume-(dés)uni !  

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