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Aung San Suu Kyi plus populaire que jamais

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[image: 1,l]Posant devant sa maison, au centre de Rangoun, Aung Kyaw Moe arbore fièrement son dernier tatouage : un portrait du Général Aung Sang, qui entoure le haut de son bras.

Comme de nombreux Birmans, ce rameur de 29 ans, membre de l’équipe d’aviron de Birmanie, idolâtre le héros national, qui s’est battu contre le colonialisme britannique. Mais, à l’approche des élections législatives partielles du 1er avril, Aung Kyaw rappelle que son tatouage est également un signe de soutien à la fille du général : Aung San Suu Kyi, l’icône de l’opposition Birmane.

Avant même le scrutin de dimanche prochain, des milliers de résidents de Rangoun sont descendus dans la rue pour soutenir Suu Kyi et son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND). Cibles du régime pendant des années de dictature militaire, les militants du parti se sont réunis pour crier haut et fort leur soutien à la femme qu’ils surnomment « The Lady ».

« C’est l’incarnation de la vérité. Elle fait toujours les choses comme il faut, » déclare Aung Kyaw en évoquant cette femme de 66 ans, lauréate du prix Nobel de la Paix en 1991, autorisée, après des années de résidence surveillée, à participer aux élections et candidates à moyen terme à la direction du pays. « Je lui fais confiance comme un père » ajoute-il.

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Au contact du peuple

Depuis des semaines, le bidonville de Mingalar Taung Nyunt fait partie des quatre quartiers pauvres où le soutien au LND ne cesse de croître.

En visite dans la circonscription au cours des derniers jours de campagne, la candidate locale du LND, Phyu Phyu Thin est accueillie par une foule dense. Des familles entières, des enfants jusqu’aux plus anciens des villageois, agitent des drapeaux et se collent des autocollants aux couleurs du parti pour la démocratie.

Manifestant derrière elle, les inconditionnels du parti sont vêtus de bandanas et de T-shirts où l’on peut lire « Nous devons gagner ». Ils dansent et chantent, pendant que d’autres conduisent des camions et haranguent la foule avec leur slogan préféré : « Pour dépasser toute formes de misères, votons LND ! ».

Cette atmosphère de carnaval était impensable il y a à peine un an. A l’époque, montrer une image de Aung San Suu Kyi était tabou et entraînait bien souvent une arrestation suivie d’un interrogatoire musclé.

« The Lady a sacrifié des dizaines d’années de sa vie à ce combat, mais les gens ne pouvaient pas exprimer leurs sentiments, » déclare Phyu Phyu, grande femme au sourire rayonnant qui semble soulagée de faire une pause dans cette intense campagne : « Maintenant ils ont l’occasion et les moyens d’agir et on note l’importance de ce soutien, partout »

Dans le bidonville, le logo rouge du LND semble écraser tous les autres parties, en particulier l’insigne vert foncé du parti militaire, l’Union, de la Solidarité et du Développement (USDP), qui détient la majorité des sièges au Parlement depuis l’élection truquée de 2010.

Si une élection honnête était organisée demain, il n’est pas difficile de comprendre que le LND prendrait le pouvoir, porté par cette lame de fond populaire.

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Un combat de longue haleine

Mais, pour l’instant, la patience est de mise. Dimanche 1er avril, seulement 48 sièges sur les 440 que compte l’assemblée nationale seront en jeu. Même si le LND les gagne tous, ce que beaucoup espèrent et prédisent, ils resteront en minorité dans l’assemblée, qui réserve, par la loi, un quart de ses sièges aux candidats militaires.

Toutefois, l’enjeu est essentiel pour le LND, qui ne possède actuellement qu’une douzaine de sièges.
Il y a plus de 20 ans, le parti avait gagné les élections de 1990 à une écrasante majorité, une victoire dont les avaient volés les généraux au pouvoir. Les actes de répression qui ont suivi ont réduit le LND au silence. Les quelques militants qui échappèrent aux arrestations furent mis sous surveillance officielle par la junte. Aung San Suu Kyi dut rester cloîtrée des années dans sa demeure délabrée de Rangoun.

Lors des élections générales de novembre 2010, le LND opta pour le boycott des débats. Décision critiquée, car perçue comme une sorte d’abandon devant la junte toute puissante.

Depuis, l’arrivée d’un gouvernement quasi-civil en mars 2011 a entraîné une série de réformes, qui ont remis le LND dans la course. Les élections partielles de ce week-end constituent un test intéressant pour comprendre quel pourrait être l’avenir du pays et imaginer les prochaines réformes.

L’effet marketing d’Aung San Suu Kyi

A 52 ans, Daw Babi est le propriétaire de l’imprimerie qui a commencé à produire les T-shirts à l’effigie de la Lady. En décembre dernier, il en avait déjà vendu 30 000. « J’ai encore plus de demandes actuellement » annonce-t-il.

Maung Wuntha, un ancien journaliste basé à Rangoun, déclare que, malgré le faible nombre de sièges à pourvoir ce week-end, l’ambiance dans les quartiers est plus électrique que durant la dernière campagne : « En 2010, il n’y avait pas de véritable rival face à l’USDP… C’est donc un moment très important, » considère-t-il.

A 34 ans, Yazar, un des trois conseillers de Phyu Phyu Thin, analyse ce soutien massif d’une autre manière : « C’est plus que de la surprise, de l’excitation ou aucune autre émotion. Cela ressemble à une seconde religion à laquelle ils vont enfin pouvoir adhérer ».

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Le véritable défi

Le principal challenge pour le LND réside désormais dans son habilité à maîtriser – pour les satisfaire – les attentes populaires.
Après des années de combats et de sacrifices personnels, et malgré les obstacles auxquels elle devra faire face dans un parlement dominé par des hommes, Aung San Suu Kyi est perçue par ses supporters comme une figure messianique, qui peut surmonter tous les obstacles.

Nwe Win, un habitant du bidonville de Mingalar Taung Nyunt, exprime cet espoir : « Si elle rentre au parlement et acquiert du pouvoir, les pauvres deviendront riches ».

Le journaliste et expert de la Birmanie Bertil Lintner analyse cette situation : « Suu Kyi semble se situer au-dessus de tous les autres politiciens. Les Birmans la perçoivent comme un bodhisattva féminin, qui va les délivrer du mal apporté par le régime militaire. Comment le ressent-elle? Je ne sais pas ».

C’est donc une lourde charge qui attend Aung San Suu Kyi, et le parti aura fort à faire pour ne pas perdre de sa popularité avant les prochaines élections générales.

Parmi les sceptiques, on note U Thein Nyunt, président du Nouveau Parti Démocratique National. Cet ancien militant du LND a quitté le parti lors du boycott de 2010 et a réussi à se faire élire. Il émet des critiques sur les attentes provoquées par la candidature de « The Lady » : « Les gens sont convaincus que si Suu Kyi gagne, ils deviendront riches…Mais pour l’instant, on ne récolte que des sanctions de la communauté internationale. Avec une présence aussi faible au Parlement, le destin de l’icône nationale, de la mère de la nation n’est pas encore assuré. Ce serait bien sûr exceptionnel qu’Aung San Suu Kyi entre au Parlement… Mais que vont-ils faire pour que cela arrive vraiment ? »

Global Post / Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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