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Gilles Trichard : « Le djihad recrute en banlieue »

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JOL Press : dans quel contexte avez-vous commencé votre enquête sur les actions d’influence et de recrutement du djihad en France ?

Gilles Trichard :  ce reportage est né de plusieurs expériences qui m’ont interpellé. La première, il y a deux ans lors d’un reportage sur une association de banlieue dans le 93, qui se targuait de faire du soutien scolaire : j’étais tombé sur des livres pratiques sur les comportements à privilégier. Les conseils prodigués prônaient au nom de la religion des actes violents. La deuxième, est venue de Rachida Ben Ahmed présidente à Meaux de Ni putes, ni soumises, qui m’avait contacté pour me dire, combien elle se sentait souvent agressée dans sa ville. Je l’ai vue au bord des larmes, alors qu’une personne venait de lui avait cracher dessus. C’est elle qui m’a aidé à comprendre que ce qui se passait existait de manière sourde et que le prosélytisme extrémiste était présenté dans ces quartiers comme un acte de rébellion.

Vous montrez bien le processus qui, comme dans les sectes, consiste à attirer les jeunes de manière anodine, puis petit à petit le système attrape les « plus obéissants »…

Gilles Trichard : très clairement, le système a été mis au point sur un constat simple : dans de nombreuses banlieues, certains jeunes n’ont pas d’avenir. Entre la délinquance et l’islamisme radical, il n’y a parfois pas d’autre issue. Et le pire est qu’au début, ceux qui prônent la religion apportent des bienfaits : ils prospèrent là où les structures sociales sont défaillantes. Ils vont proposer des cours de soutien, des aides diverses. Ils apportent des repères et semblent dans un premier temps positifs. Les choses se compliquent lorsque le message se radicalise, que les conseils de vie deviennent de plus en plus présents. Après la théorie, il y a la pratique : lorsque le jeune est jugé « mûr » il est envoyé dans des camps d’entraînement, comme il en existe au Pakistan ou en Afghanistan. Le jeune subit alors un véritable endoctrinement.

Vous racontez avoir aussi été contacté par des mères de famille, affolées de voir leurs enfants se laisser enrôler. Le désespoir des mères, c’est une image forte. Que peuvent-elles faire ?

Gilles Trichard : c’est très déchirant, cette impuissance des mères qui sentent que leur enfant leur échappe, qu’elles n’ont plus de prise sur eux. Le pire est que comme dans les sectes, les jeunes endoctrinés se retournent même contre elles. Les mères sont sans recours, car si leur enfant est majeur, elles n’ont pas de pouvoir. Comme dans le cas de cette mère de Nantes, qui a souhaité rester anonyme et qui a témoigné que sa fille a été petit à petit conditionnée par des groupes extrémistes. Elle l’a vue d’abord porter, le voile, puis ne plus conduire, et finalement se soustraire à la famille, jugée comme « impure ». Sa fille lui reprochait par exemple de regarder des séries américaines à la télévision. C’est terrible pour la famille. Non seulement leur enfant se transforme, mais il se met à les critiquer, voire les mépriser. C’est vécu comme un reniement.

Est-ce que cela va jusqu’à la disparition des enfants ?

Gilles Trichard : j’ai reçu le témoignage d’un père de Vaulx en Velin, dont la fille convertie est partie en Egypte. Il est partie à sa recherche, l’a retrouvée et a eu un mal fou à la faire revenir. Oui, parfois les chemins s’opposent tant, que le jeune tourne le dos à sa famille pour en rejoindre une autre, celle des djihadistes. Le retour au bled, ou la vie dans un pays qui applique les règles strictes est un moindre mal. Le voyage le plus radical est celui de la violence. Un voyage sans retour.

Où se trouvent les lieux de « recrutement » ?

Gilles Trichard : dans le porte à porte, à la sortie des mosquées, dans les halls d’immeuble. Cela commence toujours par «  Bonjour, on peut se parler.. ». Et le contact est pris.

Les recruteurs sont-ils très organisés ?

Gilles Trichard : aujourd’hui, les Observatoires régionaux de l’islamisme ont mis en place un système qui force les fondamentalistes à agir en petites unités discrètes. Si bien que, même si les méthodes se ressemblent, les initiatives sont condamnées à une certaine «  marginalité » et vivent en parallèle.

Pouvez-vous décrire les proportions du phénomène que vous décrivez ?

Gilles Trichard : il est indiscutablement minoritaire et marginal. Il est très important d’éviter tout amalgame. La communauté musulmane est dans sa majorité opposée à ces extrémismes. Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui appartiennent à la majorité « silencieuse » qui se battent pour la tolérance. Parfois au péril de leur vie. Je pense notamment à l’imman de Drancy, Hassen Chalghoumi, qui a déjà été agressé par des fondamentalistes et qui doit vivre sous la protection de gardes du corps. Toute la difficulté vient de ce qu’une minorité a quand même une capacité de déstabilisation importante. Aujourd’hui, la menace ne semble pas résider dans le risque de grands attentats minutieusement préparés, rendus quasiment impossibles dans le contexte des Observatoires, mais dans l’infiltration des plus fragiles, poussés à agir de manière isolée, mais non moins spectaculaire.

En quoi le cas de Mohamed Merah est-il symptomatique ?

Gilles Trichard : il est la parfaite illustration d’un endoctrinement peu structuré et d’un passage à l’acte qui s’est peut-être appuyé sur certains réseaux, mais qui a été construit spontanément de manière peu préparée. Ce qui est arrivé ne m’a hélas pas surpris.

A la lumière des derniers évènements, allez-vous poursuivre votre investigation ?

Gilles Trichard : oui, je repars en enquête, recueillir de nouveaux témoignages et observer l’évolution de la situation sur le terrain.

Propos recueillis par Olivia Phélip

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