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Kavita Daswani : «La femme est un pilier de la société»

[image:1,l]Sohana Badshah revient à Bombay après quelques années passées à Londres. Elle retrouve sa famille, ses habitudes, ses rituels. Rapidement, un article paru dans la presse l’amène à s’intéresser de plus près à l’entreprise familiale, fondée par son grand-père et autour de laquelle gravitent tous les membres de sa famille. Son grand-père, Darshan Badshah, décide de passer outre les conventions et de léguer son entreprise non pas à l’un de ses fils, mais à celui de ces cinq petits-fils qui lui présentera le projet le plus convaincant. Seule fille du foyer, Sohana découvrira tous les rouages d’une famille arrivée au sommet de la société indienne et lèvera le voile sur les vérités cachées de son grand-père.

Née à Hong Kong, Kavita Daswani est journaliste depuis l’âge de 17 ans. Après avoir vécu aux quatre coins du monde, elle est installée aujourd’hui à Los Angeles et décrit, avec beaucoup d’humour, cette Inde nouvelle qu’elle a vu changer et dans laquelle la femme tient un rôle central. Après le succès en France de son deuxième roman, Mariage à l’indienne, elle vient de publier Retour à Bombay. JOL Press l’a rencontrée à l’occasion de son passage à Paris.

Une Inde moderne et traditionnelle

JOL Press – L’héroïne de votre livre, Sohana, est une femme indépendante qui, après avoir vécu à l’étranger, revient dans une Inde encore traditionnelle et patriarcale. Malgré tout, elle tient une place fondamentale, en tant que femme, au sein de sa famille tout en étant écartée des affaires importantes. Quelle est, aujourd’hui, la place de la femme au sein de la société indienne ?

Kavita Daswani – Dès le début, Sohana décide qu’elle veut plus qu’une simple vie de femme rangée, comme l’impose encore la société indienne. Elle veut s’affirmer et avoir une carrière. L’Inde est ainsi aujourd’hui et même si certains codes perdurent, beaucoup de choses ont changé en dix ans. Désormais les femmes vont à l’université, voyagent seules. Elles sont devenues ambitieuses. Néanmoins, se marier et construire une famille est toujours aussi important et reste le pilier central de la vie d’une femme.

Si vous allez à Bombay aujourd’hui, vous verrez des femmes modernes et très sophistiquées. Néanmoins, la société reste patriarcale. Les femmes sont indépendantes, mais rien ne sera jamais plus important que la famille d’où elles viennent, et la famille qu’elles vont créer en se mariant et en ayant des enfants. Malgré la mondialisation et la normalisation des cultures, l’Inde continuera à fonctionner ainsi. La femme a une place fondamentale dans sa famille. Tout l’enjeu aujourd’hui, pour la femme, est de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale tout en comprenant que la famille devra toujours être prioritaire. C’est difficile pour une femme, elle ne peut pas tout faire, certaines limites lui sont imposées, elle doit trouver cet équilibre.

Vous avez écrit Un mariage à l’indienne en 2006, votre héroïne s’appelait alors Anju. Aujourd’hui, en 2012, vous écrivez la vie de Sohana. Que s’est-il passé en Inde pendant toutes ces années ? La société a-t-elle vraiment changé ?

Après avoir quitté l’Inde pendant dix ans, je suis rentrée il y a deux ans pour faire mes recherches et commencer à écrire mon dernier livre. Lorsque je suis rentrée, j’ai été vraiment surprise de constater tous les bouleversements qui étaient apparus dans cette société, je ne m’y attendais vraiment pas. Aujourd’hui, par exemple, les femmes portent des robes sans manches. Lorsque j’habitais avec mes parents, je ne pouvais pas sortir, je ne pouvais pas m’habiller n’importe comment. Aujourd’hui, les couples vivent ensemble avant de se marier, ce qui était inenvisageable il y a encore quelques années. Je me souviens être allée un soir en boîte de nuit, j’ai vu des couples qui dansaient sur la piste avec beaucoup de sensualité. On ne faisait pas ça avant ! j’étais presque choquée par tous ces changements !<!–jolstore–>

Il y a quelques années encore, lorsqu’une famille voulait trouver une épouse pour un fils, ils se rendaient à Bombay pour trouver quelqu’un de bien, de bonne famille, une vierge, une pieuse. Maintenant ils n’y vont plus parce que les femmes comme ça n’existent plus. Les femmes se sont libérées en un temps record.

Dix ans plus tard, l’Inde était transformée

Quels ont été les moteurs de ces bouleversements ?

L’argent, les voyages, l’information, la communication. Tout va très vite et les Indiens ont eu accès à tout en quelques années à peine. La télévision est notamment très développée. Nous avons près de 300 chaînes en Inde ! Tout ce qu’on veut, on peut l’avoir. Il y a quelques années, tout ça était impossible.

Les femmes sont connectées au monde et accèdent à leurs désirs parce que la société n’est plus fermée.

Quels sont, selon vous, les véritables défis des femmes au XXIe siècle, en Inde comme ailleurs ?

Ma réponse sera la même pour l’Inde comme pour le monde. J’ai un exemple récent et parfait. Il y a deux semaines, j’essayais d’expliquer à mon fils de dix ans qu’il y avait une multitude de chemins pour parvenir au bonheur. Il m’a alors répondu très sérieusement, « Non je crois qu’on ne peut pas être heureux tant qu’on n’a pas construit une famille ». Alors que je lui demandais pourquoi, il m’a répondu, « C’est une observation philosophique ! »

Et en fait c’est vrai, je pense sincèrement qu’il a raison et je suis contente que mon fils ait compris cette valeur si jeune. Même si on a une vie bien remplie, construire une famille est fondamental, car c’est le pivot de notre vie.

La femme est donc avant tout une épouse et une mère ?

Pas seulement, et le défi de la femme est là, elle est gardienne de sa famille, gardienne de l’éducation de ses enfants. Et en même temps, elle doit exister comme femme à part entière, par son travail, en s’épanouissant personnellement sans que jamais cela empiète sur la cellule familiale.

Ici, dans les pays occidentaux, une femme qui s’occupe de ses enfants est rapidement considérée comme une charge pour la société. En Inde, le fait même d’être au cœur de la famille est une fonction primordiale. La valeur de la femme est reconnue même si elle ne travaille pas.

C’est difficile de trouver cet équilibre quand on doit sans cesse slalomer entre son travail, sa famille, ses enfants, son mari. C’est là un vrai défi.

Une femme, une épouse et une mère

Quel regard porte votre famille sur vos ouvrages ?

Ma famille ressemble beaucoup à celle de Sohana. J’ai grandi dans une famille qui fonctionnait autour d’une société familiale partagée entre les cinq frères de mon père. Mais nous ne jouons pas dans la même cour, la famille de Sohana est bien en haut de l’échelle. J’ai un cousin que j’adore qui m’a beaucoup inspiré pour le personnage du cousin de Sohana, Milan. Mon parcours professionnel m’a également inspiré pour le personnage de Sohana.

Ma famille n’a pas encore lu ce dernier livre, puisqu’il est d’abord sorti en français et sortira en anglais plus tard. Pour Mariage à l’indienne, tous les membres de ma famille ont adoré parce qu’ils se sont tous imaginés dedans. Tous mes amis ont retrouvé ma mère qui était ravie d’apparaître dans un livre ! Mes parents sont très fiers de mon parcours, maintenant que je suis mariée et que j’ai deux fils ! Ils ne pouvaient pas rêver mieux après avoir été très inquiets de me savoir célibataire jusqu’à 36 ans ! Je suis pressée de voir leur réaction pour ce dernier livre !

Quel message voudriez-vous donner aux femmes à l’occasion de la Journée internationale de la femme ?

J’aimerais tout simplement leur dire de ne pas avoir peur d’écrire leur propre histoire.

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