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La Chine doit changer de modèle de croissance

[image:1,l]A première vue, inutile de s’inquiéter pour la Chine, tout du moins pour son économie. Ainsi, la question de savoir si elle est en passe de s’imposer comme première puissance économique mondiale ne fait, pour ainsi dire, plus débat. Selon des projections de croissance publiées mardi 14 février par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), la Chine pourrait représenter, à l’horizon 2050, 33 % de l’économie mondiale, soit presque autant que l’Union européenne (12 %), les Etats-Unis (9 %), l’Inde (8 %) et le Japon (5 %) réunis. Colossal !


La croissance devrait chuter 


Pourtant, le rythme de croissance que connaît la Chine – environ 10 % par an depuis trente ans – devrait chuter de moitié dans les vingt prochaines années. Pékin doit, d’urgence, engager des réformes structurelles majeures et parachever sa transition vers une économie de marché.


Nouveauté : cette opinion est admise au plus haut niveau de l’Etat. Pour preuve, ce sont les principales conclusions du rapport « Chine 2030 : bâtir une société à hauts revenus, moderne, harmonieuse et créative », rédigé conjointement par des experts de la Banque mondiale et le Centre de recherche et de développement du Conseil d’Etat, un organisme public chinois qui conseille les dirigeants du régime. Un rapport qui propose nouvelle stratégie de développement pour la Chine. L’enjeu est économique, mais aussi, indéniablement, politique.


Vers la fin d’un modèle économique


Tout n’irait donc pas si bien dans le meilleur des mondes chinois… Depuis trente ans, le miraculeux modèle économique chinois repose sur l’investissement et les exportations, deux facteurs de croissance servis par une main-d’œuvre bon marché et une monnaie nationale sous-évaluée. Mais, malgré la poursuite de sa croissance, la Chine se heurtera au cours des vingt prochaines années à un certain nombre de risques, notamment celui d’un atterrissage brutal dans un proche avenir, ainsi que les défis posés par le vieillissement et la diminution de la main-d’œuvre, l’accroissement des inégalités, les agressions dont est victime l’environnement et les déséquilibres extérieurs.


Autrement dit, les dirigeants chinois devraient cesser de mettre l’accent uniquement sur les aspects quantitatifs de la croissance pour prendre également en compte ses aspects qualitatifs.


Des réformes indispensables


Selon le rapport, les autorités chinoises n’ont plus le choix, il leur faut d’urgence réformer le secteur des entreprises, le système foncier, le marché du travail et le secteur financier, renforcer le secteur privé, ouvrir les marchés à un niveau plus élevé de concurrence et d’innovation et garantir l’égalité des chances pour promouvoir un nouveau modèle de croissance économique.


Mettre fin au dirigisme étatique


Pour les auteurs du rapport, le gouvernement devrait redéfinir son rôle, en le concentrant davantage sur les systèmes, les règles et les lois, comme dans les démocraties de marché occidentales, pour favoriser une production efficace, promouvoir la concurrence et réduire les risques. Il s’agira de mettre fin aux monopoles étatiques dans certaines industries, de diversifier la propriété, de réduire les obstacles à l’entrée des entreprises privées et de faciliter l’accès au financement par les petites et moyennes entreprises.


Favoriser la consommation intérieure


Déjà, la Chine ne peut plus être considérée comme « l’atelier du monde ». Ainsi, lundi 27 février, Shanghai annonçait la hausse de 13 % du salaire minimum et il y a désormais, pour les entreprises, des pays plus rentables pour produire que la Chine.


[image:3,s]Pour relancer la croissance, il faut que les Chinois, à leur tour, se mettent à consommer. Pour cela, la Chine devra notamment mettre l’accent sur un système de protection sociale dirigé en priorité vers les pauvres. Le rapport plaide en faveur de la « flexicurité », incluant des réformes des régimes de pension et d’assurance-chômage afin que les travailleurs bénéficient d’une aide raisonnable dans leurs vieux jours ou lorsqu’ils sont sans emploi, en particulier les populations rurales et les travailleurs migrants des villes.  


Les freins aux réformes


Le rapport identifie les groupes qui pourraient se montrer les plus réticents, au moins dans un premier temps, à la mise en œuvre de telles transformations. En première ligne, ceux qui tirent le meilleur profit du système actuel, parmi lesquels les entreprises publiques en position de monopole ou quasi-monopole, qui jouissent de privilèges en raison de leurs liens étroits avec le pouvoir, notamment le Parti communiste. Ces groupes ne se contentent pas de résister au changement, mais sont très actifs pour influencer les politiques au plus haut niveau. 


La deuxième opposition devrait venir des acteurs qui peuvent pâtir de réformes à court terme. C’est le cas, par exemple, du système du « hukou », chargé d’enregistrer la population et de la « fixer » sur son lieu de résidence, une tradition qui remonte à l’époque de l’empire du Milieu et permet le contrôle social de l’ensemble des individus.  


Les réticences au changement pourraient aussi provenir des leaders d’opinion pour qui les réformes sont de nature à amplifier les problèmes existants. Ces idéologues ont encore tendance à imputer la responsabilité des dysfonctionnements observés aux mécanismes du marché plutôt qu’à des lois et des règles inefficientes. Malgré leur petit nombre, ceux-ci conservent une influence importante. 


La voix des réformateurs


[image:2,s] Le rapport a été rédigé conjointement par la Banque mondiale présidée par Robert Zoellick et par le Centre de recherche sur le développement du Conseil d’Etat chinois. Le vice-président Xi Jinping, qui devrait devenir chef de l’Etat d’ici à mars 2013, et le vice-Premier ministre Li Keqiang se sont déclarés en accord ses conclusions. D’ici à y voir l’ébauche d’un programme pour la cinquième génération de leaders, il n’y a qu’un pas aisément franchissable.


Toutefois, si quelques-unes des mesures avancées peuvent être mises en œuvre à courte échéance, il semble bien que les principales évolutions n’interviendront pas avant la fin des années 2020. La Chine ne devrait pas se réveiller, une seconde fois, dans les toutes prochaines années, métamorphosée en économie de marché modèle.


Pourtant, dans la lutte qui oppose les différents clans du Parti communiste chinois, il semble que les partisans d’une libéralisation progressive de l’économie aient décidé d’annoncer la couleur. Un rapport aux airs de manifeste.


La démocratisation, grande absente


Le rapport se concentre exclusivement sur la dimension économique, en évoquant jusqu’au rôle de l’Etat. Rien, en revanche, sur le rôle du Parti communiste. S’il est question, à mots couverts, de « libéralisation », rien non plus sur la démocratisation.


Pourtant, on imagine mal comment « une société à hauts revenus, moderne, harmonieuse et créative » pourrait se satisfaire d’un régime politique autoritaire, soumis à la main de fer d’un parti unique, monolithique.


Mais, la Chine et son Parti communiste n’ont-ils pas, au cours des trente dernières années, amplement apporté la preuve de leur capacité à innover ?

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