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La génération Y, ou comment tuer le jeune?

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Dans cette France réfractaire au changement, arc-boutée sur ses acquis (sociaux et autres), qui fait dangereusement rimer protectionnisme avec nationalisme, cette France qui trouve les hommes à abattre mais ne cherche plus les territoires à conquérir et les marchés à inventer, qui en appelle à la solidarité mais guette le salaire du voisin et ne rêve que d’éliminer dans un même ensemble ceux qui ont plus et ceux qui ont moins, le jeune serait-il en passe de remplacer l’immigré dans l’inconscient collectif ?

Dans la détestation de l’autre, désormais sport national, la génération Y serait-elle devenue la génération à abattre ?

2005, le jeune est dangereux

Le 27 octobre 2005, deux jeunes meurent électrocutés dans un transformateur EDF pour avoir fui la police, un troisième est grièvement brulé.

La réalité de leur délit ne sera jamais avérée. S’ensuit pourtant une gigantesque campagne de presse dans laquelle l’inculpé implicite est le jeune. Ce n’est pas le défavorisé, le pauvre, le désocialisé des banlieues. C’est le jeune, et la définition est large : de 15 à 35 ans selon les études !!! On lui reproche tout : de porter des cagoules (subitement synonymes de la casquette), de ne pas parler français (le langage Sms, que les quinquas se targuent aujourd’hui d’utiliser, est alors analysé comme l’expression de leur désocialisation), d’inciter à la violence et d’utiliser pour ce faire les skyblogs oubliant au passage combien les incendies de voitures ont pu constituer une manne pour les escroqueries aux assurances. Les émeutes en banlieue sont récurrentes depuis les années 80 et sont loin d’être toutes imputables aux jeunes. Mais en 2005, plus de 2 500 jeunes sont arrêtés. L’état d’urgence est déclaré. Ségolène Royal préconise même un encadrement militaire.

2009, le jeune est un mutant

En 2009, Marc Prenski, sociologue de son état mais surtout vendeur de logiciels éducatifs pour les jeunes à destination des entreprises et universités américaines, définit une nouvelle catégorie sociale : le digital natif.

Né entre 1985 et 1995, « pro » des nouvelles technologies (internet), il serait un véritable mutant. Nous serions même à l’aube d’une mutation physique de taille, nous dit Sadie Plant (chercheur à l’université de Warwick au Royaume Uni ) : « Chez certains adolescents la forme et l’utilisation des doigts tendraient à se modifier. Ainsi, le pouce remplacerait l’index pour montrer une direction ou appuyer sur une sonnette ».

Quelle révolution biologique ! Quelle découverte fondamentale ! Les jeunes n’utilisent plus les mêmes doigts que leurs ainés pour les mêmes usages. Darwin peut aller se rhabiller !

2012, le jeune est asocial

La génération Y désigne la même génération que celle des digitals natifs, soit de jeunes adultes nés entre 1980 et 1995. Mais entre 2009 et 2012, ils sont passés de mutants à asociaux. A cet égard, la définition qu’en donne Wikipedia est édifiante : « le succès de la génération Y dans les entreprises prendrait appui  sur le déphasage entre les besoins et attentes de la génération Y et du mode de fonctionnement de l’entreprise ». En d’autres termes, davantage tourné vers son écran que vers les autres, installé dans le référentiel du « pair » plus que du « père », le jeune ne serait plus intégrable dans nos systèmes économiques actuels.

Depuis bientôt 10 ans, les jeunes générations se voient définies en sous-jacent comme asociales et dangereuses. Voilà, qui contredit de plein fouet tous les métadiscours sur la transmission. Quand on veut tuer son chien on l’accuse de la rage. Mais qu’est ce que cela dit de nous, lorsque nous accusons de la rage notre propre descendance ?

Est-ce la victoire de Chronos ? L’allongement de l’espérance de vie et la généralisation du botox nous ont-ils conduits à rêver d’éradiquer nos propres enfants ?

C’est hélas, ce qui se passe. Au Portugal, en Espagne le taux de chômage de la dite génération atteint les 50%, en France il est de 25%. 

Fossé entre deux mondes

La génération Y travaille et cherche à s’intégrer quand on lui en laisse l’opportunité. Elle n’est même pas dans la révolte et le rejet mais tente de se faire une place dans un monde qui ne lui en laisse pas. Elle travaille devant un écran et avec des écouteurs comme tout le monde désormais. Comme toutes les jeunes générations, de tout temps, elle a des valeurs et des solidarités différentes de celles de ses ainés.

Elle manifeste néanmoins de réelles difficultés à assimiler les rites et rythmes des entreprises traditionnelles. Ceci n’est pas le fruit d’une tare physico-sociologique mais l’expression d’un manque profond dans l’éducation. Peu savent qu’il est impoli d’assister à une réunion avec des écouteurs (mais il est également impoli d’envoyer des SMS activité favorite de nos seniors), peu savent comment saluer son voisin le matin, peu savent rédiger et envoyer un mail institutionnel, encore moins nombreux sont ceux qui savent user du téléphone.

Ces « handicaps » ne traduisent nullement une désocialisation mais un manque dans cette part de la transmission des valeurs, qui détermine la façon dont l’enfant puis l’adulte construit sa relation à l’autre. Cette part de l’éducation vient des parents et  ne peut se déléguer.

Digne héritière de la génération 68

Or, la génération Y est la fille de la génération 68. Génération de la liberté et de l’épanouissement de soi, la génération 68 a pris le pouvoir, les ressources mais oublié les devoirs, en particulier l’éducation et la transmission.

Centrée sur l’épanouissement personnel, la génération 68 a été celle des femmes qui travaillent et des couples qui se séparent, elle a promu la libéralisation des mœurs et favorisé adoption, couples homosexuels etc… Ces évolutions sont majeures. Elles redéfinissent la place des enfants dans le monde.  Or ce sujet n’a pas été traité. Au contraire, la famille est devenue une « entreprise » dans laquelle tout peut se déléguer, s’organiser, se redéfinir. Et les enfants sont devenus de jeunes adultes, un peu perdus auxquels la figure du père a fait défaut avant même qu’ils ne commencent à la rejeter.

Les entreprises, de plus en plus rares, qui recrutent des jeunes doivent à la fois les former pour que leur travail soit productif, ce que ne font pas l’école et l’université françaises, et les former à la vie en société avec ses règles et ses hiérarchies, ce que n’a pas fait la structure familiale.

L’enjeu est là. Au lieu de cela, nous les désignons comme les responsables de leur mise au ban d’un monde pour lequel personne ne les a préparés.

Quand on veut tuer son chien , on l’accuse de la rage…

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