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Les Japonais tentent d’exorciser leurs peurs

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[image:1,l]Il y aura un avant et un après Fukushima comme il y a eu un avant et un après Hiroshima et Nagasaki. Le 11 mars 2011, par la catastrophe en trois volets, séisme/tsunami/explosion nucléaire, c’est le fantasme de la « maitrise à la japonaise » qui s’est écroulé. Et aujourd’hui, le Japon a peur, il est même terrorisé.

La nature reprend ses droits

Les Japonais se sentaient invincibles, derrière les murs de leurs buildings montés sur ressorts, la nature les a rattrapés comme pour leur rappeler que personne n’est jamais vraiment à l’abri.

Si la vie reprend peu à peu autour de Fukushima, mais aussi partout ailleurs dans cette région au nord-est du Japon, vide de 19 000 âmes parties dans les secousses de ce séisme record de magnitude 9, les Japonais le savent et s’y préparent, le pire est peut-être à venir.

Le spectre du « Big One » flotte sur la capitale, Tokyo, construite à l’intersection de quatre plaques tectoniques.

Dans l’attente du « Big One »

A peine remis d’un cataclysme, les Tokyoïtes se préparent actuellement à un autre bouleversement. Car si la ville connaît une moyenne de 1,48 séisme de magnitude supérieure à 3 chaque jour, les scientifiques sont formels, un séisme dévastateur, comme une réplique du 11 mars 2011 devrait s’abattre sur la capitale dans les années qui viennent.

Les chercheurs estiment à 70% le risque de séisme de magnitude 7 pour les trente prochaines années. Pour les autorités, le risque est grand. Un séisme de magnitude 7,3 au nord de la capitale, s’il se produisait aujourd’hui, ferait 11 000 morts et détruirait près de 850 000 bâtiments.

Les Japonais se préparent donc au pire. Dans chaque appartement, les habitants collectionnent assez de vivres pour résister en cas de réplique de la catastrophe, eau, lampe de poche, casque. De véritables kits de survie pour exorciser la peur.

La capsule antisismique fait également fureur parmi les consommateurs japonais. Plus de 3 000 commandes depuis sa sortie. Cette arche de Noé version miniature permet d’abriter quatre personnes en cas de séisme, de tsunami ou toute autre catastrophe que le Japon pourrait connaître.

Carpe diem

Mais en attendant, il faut vivre. Et s’il est une chose que les Japonais ont appris depuis un an, c’est à vivre autrement. Elle est loin la société richissime, désincarnée et matérialiste à l’excès qui avait envahie le Japon. Un véritable élan de solidarité et de compassion a envahi les mentalités. Ils sont nombreux à s’être engagés, après le désastre, dans la reconstruction de leur pays, soudain si fragile.

Quelques mois après le drame, les Japonais ont commencé à changer leurs comportements, sociaux, commerciaux, intellectuels. Lorsque tout est détruit, tout est à reconstruire et une nouvelle ère s’est rapidement ébauchée pour le Japon.

Tandis que la jeune génération cherchait à s’engager dans les rangs d’associations humanitaires, partant au combat dans les zones dévastées, les Japonais, toutes générations confondues, ont commencé à retisser leurs liens.

Comme par miracle, l’amour s’est installé sur l’île. La fréquentation des lieux de cultes a fortement augmenté, les gens se sont rencontrés, ils se sont aussi mariés. Depuis un an, le nombre de mariage est en pleine croissance. L’agence de rencontre par Internet, Marry Me, a enregistré une augmentation des inscriptions de 30% depuis le mois d’avril 2011, augmentation particulièrement significative dans les régions proches de Fukushima.

Carpe diem pourrait être devenu la devise de l’île. Société trop épargnée peut-être, en tous cas depuis la Seconde guerre mondiale, les Japonais se sont résignés à leur condition de mortels. Et quitte à mourir un jour, autant profiter. Alors depuis un an, ils dépensent. Fini l’or amassé dans les tiroirs. Les bureaux de change échangent et les Japonais consomment.

Fini l’esclavagisme professionnel et moderne. Les salariés se mettent au télétravail et préfèrent la chaleur de leur cellule familiale à la froideur de leurs bureaux.

A grande tragédie, grand changement.

Exorciser par le manga

C’est peut-être dans les mangas, l’art japonais par excellence, que sont exorcisés aujourd’hui les souvenirs de ce 11 mars apocalyptique.

Le 6 aout 1945, le bombardier Enola Gay lâchait Little Boy, une bombe atomique à l’uranium 235 sur Hiroshima. Trois jours plus tard, c’est Nagasaki qui était bombardée à son tour. Ce drame retentissant a donné naissance au manga contemporain. Les auteurs ont cessé d’imaginer, de créer des univers fantastiques et irréels. La réalité était devenue assez incroyable pour qu’il n’y ait pas à en inventer une autre.

Plusieurs décennies plus tard, dans les années 80, le manga a repris ses habitudes, ses couleurs d’apocalypse imaginées par des auteurs qui n’ont pas connu les champignons atomiques ou, en tous cas, ne voulaient plus en entendre parler.

Le passé est le passé. Mais aujourd’hui, la BD japonaise n’invente plus. Un séisme, un tsunami, une catastrophe nucléaire. Le drame en trois volets est dessiné, dessiné encore. Les auteurs surmontent ainsi leurs peurs. Exorciser, maître mot aujourd’hui. 

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