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Les tribunaux de commerce menacés par une Question Prioritaire de Constitutionnalité

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Les tribunaux de commerce sont remis en cause par une question prioritaire de constitutionnalité qui a été déférée au Conseil Constitutionnel par une décision de la Cour de cassation du 6 mars 2012

« Une justice en faillite »

Les tribunaux de commerce étaient apparus sur le devant de la scène avec l’enquête parlementaire diligentée par M. Arnaud de Montebourg en 1998. Celui-ci avait déclaré que les tribunaux de commerce étaient  « Une justice en faillite » dénonçant les dérives de magistrats consulaires. Un rapport de la Commission d’enquête parlementaire présidée par François Colcombet  n’avait finalement débouché sur aucune réforme.  Un projet de loi avait été adopté par l’Assemblée Nationale en particulier pour prévoir l’échevinage, mais il a été abandonné.

La justice commerciale française conserve depuis plus de 400 ans comme spécificité constante d’être rendue par des commerçants.   Les Tribunaux de commerce restent organisés suivant les principes dont l’origine remonte à l’édit du Chancelier Michel de l’Hospital rendue en  novembre 1563. Les juges des tribunaux de commerce sont appelés « juges consulaires » en référence aux juges consuls créés par cet édit. La juridiction consulaire connaissait des litiges entre marchands puis également à partir de 1715 des faillites et des banqueroutes simples. La loi des 16 et 24 aout 1790 a donné à ces juridictions le nom de Tribunal de commerce.

Les juges sont élus depuis un décret du 3 août  1961 par un collège électoral, l’élection reposant sur un scrutin à deux tours. Le mode d’élection des juges consulaires a été réformé par la loi du 16 juillet 1987 relative aux juridictions commerciales qui a réglementé leurs fonctions en instituant notamment un régime disciplinaire.

Quelle organisation pour la justice commerciale ?

Ce sont ces principes essentiels de l’organisation de la justice commerciale qui sont remis en cause par la question prioritaire de constitutionnalité.  Cette question a été posée dans un litige soumis au tribunal de commerce de Toulouse, opposant une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et une société par actions simplifiée. Les parties à ce litige ont utilisé la faculté ouverte par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui permet depuis le 1er mars 2010 à tout justiciable d’invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition législative au regard des droits et liberté garantis par la Constitution.

La question posée  est ainsi rédigée  « Les articles L 722-6 à L 7 22-16 et L 724-1 à L 724-6 du Code de commerce sont-ils conformes à la Constitution, pris sous l’angle des principes d’indépendance, d’impartialité et de compétences professionnelles ». La Cour de Cassation a constaté « qu’en ce qu’elle conteste des dispositions définissant le statut des juges des tribunaux de commerce, aux motifs qu’elles ne constitueraient pas des garanties suffisantes à l’exercice de la fonction juridictionnelle à titre occasionnel, la question présente un caractère sérieux au regard des exigences qui s’attachent aux principes constitutionnels de l’indépendance et de l’impartialité des magistrats ainsi que de la capacité professionnelle pour l’accès aux emplois publics ». Elle a donc décidé qu’il y avait lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Les articles visés sont le socle des dispositions du Titre II concernant les tribunaux de commerce qui font partie du Livre II du Code de commerce sur les juridictions commerciales et l’organisation du  commerce. 

Les articles L 722-6 à L 7 22-16  contiennent les dispositions concernant le mandat des tribunaux de commerce. L’article L 722-6 prévoit que les juges des tribunaux de commerce sont élus. Cet article doit être analysé en fonction de l’article L723-4 qui prévoit les conditions d’éligibilité aux fonctions de juge d’un tribunal de commerce.  Ces conditions sont les suivantes

Sont éligibles aux fonctions de juge d’un tribunal de commerce les personnes âgées de trente ans au moins :

–      Inscrites sur la liste électorale dressée en application de l’article L. 713-7 dans le ressort du tribunal de commerce ou dans le ressort des tribunaux de commerce limitrophes ;

–      Qui remplissent la condition de nationalité prévue à l’article L. 2 du code électoral ;

–      A l’égard desquelles une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires n’a pas été ouverte ;

–      Qui, s’agissant des personnes mentionnées au 1º ou au 2º de l’article L. 713-7, n’appartiennent pas à une société ou à un établissement public ayant fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, redressement ou de liquidation judiciaires ;

–      Et qui justifient soit d’une immatriculation pendant les cinq dernières années au moins au registre du commerce et des sociétés, soit de l’exercice, pendant une durée totale cumulée de cinq ans, de l’une des qualités énumérées à l’article L. 713-8 ou de l’une des professions énumérées au d du 1º de l’article L. 713-7.

Les juges ne sont pas soumis à l’indépendance

L’article L 722-7 prévoit le serment qui doit être prêté par les juges consulaires avant leur entrée en fonction qui est le suivant : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un juge digne et loyal. »

Les articles L 724-1 à L 724-6 contiennent les dispositions concernant la discipline des tribunaux de commerce.

L’article L 724-1 prévoit que « Tout manquement d’un juge d’un tribunal de commerce à l’honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de sa charge constitue une faute disciplinaire. » Les articles L 724-2 à L 724-6 contiennent les dispositions concernant le fonctionnement de la commission de discipline et le pouvoir de suspension.

L’article L 724-7 prévoit que « Indépendamment des décisions qui pourraient intervenir en application des articles L. 724-3 et L. 724-4, lorsqu’il apparaît, postérieurement à son élection, qu’un juge du tribunal de commerce a encouru, avant ou après son installation, une des condamnations, déchéances ou incapacités mentionnées à l’article L. 723-2, il est déchu de plein droit de ses fonctions ».

On constate qu’aucune de ces dispositions n’impliquent d’impératifs, exigences ou contrôles quant à l’indépendance ou  à l’impartialité des juges consulaires ni en ce qui concernent leurs capacités professionnelles.

Indépendamment de toute polémique concernant les excès ou abus qu’avaient dénoncés la Commission d’enquête parlementaire concernant des trafics d’influence, des prises illégales d’intérêts  et des affaires de corruption  la question prioritaire de constitutionnalité pose les problèmes structurels. Le Conseil Constitutionnel sera amené à trancher de la compatibilité d’une justice rendue par des non professionnels commerçants à l’égard d’autres commerçant au regard des normes d’un procès équitable. Ces normes, d’après la jurisprudence tant de la Cour de cassation que du Conseil d’Etat, sont des normes objectives : le justiciable ne doit pas avoir de doute objectif sur l’impartialité du juge.  Elles doivent tenir compte du droit issu de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’impartialité, une vertu fondamentale

La Cour de Cassation a souligné à de nombreuses reprises l’exigence d’impartialité dans le procès civil, comme le Conseil d’Etat dans le procès administratif.

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à un procès équitable, précisant que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ». L’impartialité est une vertu inhérente à la fonction du juge. S’agissant des juges professionnels, le statut de la fonction publique, les conditions de recrutement des magistrats   l’organisation de la magistrature organisent structurellement les conditions d’indépendance et d’impartialité ainsi que les  exigences de capacité professionnelle.

Les dispositions du Code de commerce ne contiennent aucune disposition pour assurer l’effective garantie de l’impartialité ou de l’indépendance. Au contraire on peut même considérer qu’elles organisent un défaut d’impartialité. Le défaut d’impartialité des tribunaux de commerce est reconnu par le législateur puisque le consommateur, le non -commerçant n’est pas jugé par le tribunal de commerce parce que celui ci est considéré comme étant un tribunal conçu par des commerçants pour des commerçants

Le monde du commerce n’est plus homogène

En ce qui concerne les commerçants il est affirmé que la qualité de juges élus justifierait qu’ils puissent juger des litiges en matière commerciale. Lorsque le commerce formait une activité homogène, les commerçants pouvaient être considérés comme des pairs. Dans la vie économique moderne, le commerce est devenu une notion hétérogène, et la banque, le petit commerce, l’entreprise de BTP pour prendre quelques exemples ne constituent en rien des pairs. Par ailleurs lorsqu’il s’agit d’entreprises de même nature, l’impartialité peut être considérée comme encore plus discutable, car la concurrence induit forcément un conflit d’intérêts.

Par ailleurs le fait que le mandat de juge consulaire soit gratuit ne fait qu’ajouter un problème structurel d’indépendance se combinant avec le problème d’impartialité. Une grande partie des juges consulaires sont des salariés d’entreprises. Le lien de subordination peut être considéré comme structurellement incompatible avec la notion d’indépendance requise pour exercer une fonction juridictionnelle. Par ailleurs, sauf à ce que l’emploi du juge consulaire soit considéré comme étant au moins partiellement fictif, et donc un abus de biens sociaux, il est clair que le juge consulaire va exercer ses fonctions dans l’intérêt de l’entreprise. Le défaut d’impartialité et le conflit d’intérêt se cumule donc structurellement avec le défaut d’indépendance.

Il convient de souligner que dans le cadre de l’arbitrage la Cour de Cassation a développé une jurisprudence de plus en plus exigeante en matière d’impartialité et d’indépendance. Alors que l’arbitrage est en concurrence avec la justice consulaire pour les litiges commerciaux, il est paradoxal qu’en fait l’impartialité et l’indépendance des arbitres soient plus efficacement garanties que celles des juges consulaires.

En ce qui concerne les capacités professionnelles des juges consulaires aucune exigence de formation initiale ou permanente des juges consulaires n’est prévue par les textes législatifs. Les actions de formation de magistrats consulaires sont facultatives et fragmentaires. Alors que la législation économique devient de plus en plus complexe, que le législateur national multiplie les dispositions législatives auxquelles viennent se rajouter tout le droit communautaire, sans parler des lois étrangères éventuellement applicables dès que le litige est international, la fonction juridictionnelle en matière économique est considérée comme ne requérant aucune compétence minimum.

L’exception française des juridictions consulaires parait menacée par la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de Cassation au Conseil Constitutionnel. L’exigence du procès équitable avait remis en question le rôle de l’avocat général devant la Cour de cassation. Les tribunaux de commerce risquent d’être une nouvelle victime de cette exigence dérivée de la Déclaration des Droits de l’Homme. 

>>Visionnez la vidéo de l’audience publique du 17 avril 2012

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