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Madrid et Barcelone s’arrachent Eurovegas

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[image:1,l]C’est un clásico d’un genre inédit qui oppose Madrid et Barcelone. Un match non pas sur un gazon de football, mais sur tapis vert, c’est- à-dire pour le contrôle de salles de casino. Et pas n’importe quels casinos. Un futur Las Vegas européen, que le multimilliardaire Sheldon Adelson, roi mondial des casinos, a choisi d’implanter dans la péninsule ibérique. Depuis que le projet a fait surface, rien ne va plus entre les deux grands d’Espagne, qui se disputent les faveurs du magnat américain.

Un projet pharaonique

Car ce projet de créer la plus grande cité des jeux jamais construite en Europe a de quoi faire rêver. Un investissement de 15 milliards d’euros260 000 emplois potentiels, 11 millions de visiteurs par an… C’est le pactole promis par Sheldon Adelson, 14e homme le plus riche de la planète selon le magazine Forbes (fortune estimée à près de 25 milliards de dollars).

[image:2,s] Président et premier actionnaire de Las Vegas Sands (LVS), cet entrepreneur controversé de 78 ans a bâti un empire grâce à ses casinos monstres à Las Vegas (Le Venetian), à Singapour (Marina Bay Sands) et à Macao. En Espagne, il envisage de construire un gigantesque complexe incluant six casinos, trois terrains de golf, neuf théâtres, un auditorium de 15 000 places, 12 hôtels de luxe, 50 000 tables de restauration, plus 20 000 logements… Il promet entre 15 et 18,8 milliards d’euros d’investissement jusqu’en 2022, la création de 164 000 emplois directs et 97 000 emplois indirects, et 15,5 milliards d’euros de revenus touristiques supplémentaires en quinze ans.

L’art de faire monter les enchères

Fort de ces arguments, le milliardaire américain se présente volontiers comme le sauveur de l’Espagne, pays rongé par la crise depuis 2008, où environ 23 % de la population active est au chômage et où le gouvernement prévoit une récession de 1,7 % du PIB cette année. Difficile, dans ces conditions, de refuser un investissement aussi colossal, même si le « cadeau » peut sembler empoisonner, à en juger par la longue liste de dérogations sociales et fiscales qu’Adelson exige en retour. 

L’appât du gain semble être l’ultime joker du milliardaire pour obtenir toutes les facilités réglementaires voulues. Avec cynisme, le biznessman avouait ainsi en septembre dernier : « Nous avons choisi l’Espagne pour sa météo, sa fréquentation touristique… mais aussi parce que le taux de chômage y est particulièrement élevé et qu’ainsi nous nous assurerons plus facilement le soutien des autorités. »

Histoire de faire monter les enchères, Sheldon Adelson a mis Barcelone et Madrid en compétition. Depuis cinq ans, les deux villes se disputent les faveurs du milliardaire.

Inventaire à la Prévert du capitalisme sauvage

Le magnat américain, qui dépense des millions de dollars pour soutenir campagne du candidat aux primaires républicaines Newt Gingrich, incarne pour beaucoup un capitalisme rapace qui utilise une conjoncture négative pour s’enrichir au détriment des lois. Il est vrai que les conditions qu’il pose ont tout d’un inventaire à la Prévert, voire d’une lettre au père Noël. En voici la liste (non exhaustive) :

Cession gratuite des terrains, deux ans d’exemption de cotisations sociales, dix ans d’exemption de la TVA, de la taxe sur le jeu et de l’impôt sur l’immobilier, autorisation d’entrée dans les casinos pour les mineurs et les interdits de jeu, droit d’y fumer, assouplissement de la législation contre le blanchiment d’argent, levée des restrictions pour l’embauche de travailleurs étrangers, renégociation de la convention collective sectorielle,  financement par la région de nouvelles infrastructures d’accès, passation d’une loi garantissant à Sands le monopole régional des jeux d’argent.

Des conditions impossibles à satisfaire, car contraires à toutes les législations, espagnoles et européennes, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, de droit du travail ou de fiscalité.

Mais avec la crise, les autorités espagnoles pourraient être tentées de négocier des passe-droits.  

[image:3,s,r] La présidente conservatrice de la région de Madrid, Esperanza Aguirre, se dit prête à modifier la législation s’il le faut : « Obtenir 200 000 emplois signifie la fin du chômage pour la moitié des Madrilènes », fait-elle valoir.

Le président de la Catalogne, Artur Mas, minimise quant à lui la nature du problème : « Dans ce complexe, les casinos ne représenteront que 2 % à 4 % du total. Le reste, ce sont des hôtels, des palais des congrès, des spas, des restaurants, des centres commerciaux… »

Eurovegas, un château en Espagne ?

Mais la part des casinos dans le chiffre d’affaires du complexe sera sans nul doute beaucoup plus élevée. Par ailleurs, les prévisions de créations d’emploi et de fréquentation semblent très optimistes, voire largement surestimées. Enfin le projet aura des conséquences sociales et environnementales non négligeables.

A Madrid, il impliquera la destruction de l’immense bidonville Cañada Real Galiana, situé à proximité du site prévu pour la cité des jeux, avec la nécessité de reloger ses dizaines de milliers d’habitants. A Barcelone, il obligera à assécher la zone protégée du delta du Llobregat, détruisant l’écosystème de la dernière zone non urbanisée à la périphérie de la ville.

Dans le passé, des projets pharaoniques liés au divertissement se sont soldés par de retentissants échecs. A Séville, le parc d’attractions Isla Magica, lancée en 1998, est gravement déficitaire. Initié en 2007, le projet mégalo de Gran Scala, dans le désert de Monegros, près de Saragosse (région d’Aragon), qui était très proche de celui d’Eurovegas, s’est enlisé dans les sables avec l’éclatement de la crise financière l’année suivante. Le rêve américain était devenu un simple mirage dans le désert.

Plusieurs associations civiles, notamment des écologistes de Barcelone, se sont mobilisées contre le projet Eurovegas. Selon elles, l’Espagne ne doit pas céder aux sirènes des promesses à court terme, mais réfléchir à un modèle de développement durable à long terme.

Les paris restent ouverts

Malgré les critiques, le projet Eurovegas continue sa route. Concernant son implantation, les jeux sont ne sont pas faits, même si la capitale espagnole semble avoir les meilleures cartes en main. LVS a promis de dévoiler avant l’été qui, de Barcelone ou de Madrid, sera la gagnante du gros lot. 

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