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Mariano Rajoy affronte sa première grève générale

[image:1,l]Le Premier ministre espagnol avait prédit, en début d’année, que sa réforme du marché du travail lui « offrirait sa première grève générale ». Mariano Rajoy avait vu juste.

Une réforme pour l’emploi

En réponse à la profonde réforme du marché du travail promise et désormais engagée par Mariano Rajoy, les syndicats en profond désaccord cherchent une riposte. Solution toute trouvée, une grève générale nationale. Elle se déroule ce jeudi 29 mars. L’objectif : dénoncer « la pire réforme du travail que l’Espagne ait jamais connu » et mettre la pression sur la nouvelle majorité de droite pour qu’elle retire ou amende son projet.

Pourtant, en Espagne, la situation est grave : avec 23% de chômeurs, le pays détient le record d’Europe du taux de chômage. Afin d’inverser la tendance et faire reculer l’inactivité, Mariano Rajoy a adopté, par décret, une loi d’urgence qui assouplit les vieilles lois espagnoles et opère un début d’alignement sur les législations existantes, ou en cours d’adoption, sous la pression, notamment de Bruxelles, à travers l’Union européenne. Ce décret avait également pour objectif de sortir l’Espagne de la profonde crise économique dans laquelle elle est enlisée.

« C’est probablement la plus importante réforme de notre économie depuis trois décennies, » a déclaré Alberto Nadal, de la confédération de travail CEOE, qui représente les employeurs des secteurs publics et privés.

Mais cette loi ne passe pas sans difficultés. Plus de 60% des Espagnols s’y déclarent opposés, selon un récent sondage. Dans leur majorité, ils considèrent que la réforme nuira aux droits des travailleurs et donnera trop de pouvoir aux employeurs sur leurs salariés, sans vraiment résoudre leur problème principal : le chômage.

Faciliter les licenciements

Le principal objectif de la réforme est de faciliter les licenciements et de les rendre moins coûteux pour les employeurs. Le 8 mars dernier, les Cortès, le parlement espagnol, ont approuvé ces dispositions, même si demeure une possibilité de déposer des amendements d’ici à la fin du mois de mars. Compte tenu de la large majorité dont dispose le gouvernement, le vote n’a été qu’une formalité.

Jusque-là, les travailleurs sous contrat à durée indéterminée pouvaient recevoir jusqu’à 45 jours de rémunération par année travaillée lors de leur licenciement, un des taux les plus intéressants d’Europe.

Avec la nouvelle législation, ce chiffre a été réduit à une indemnité de 33 jours.

« Le principal problème pour l’économie était que les sociétés ne voulaient pas licencier car les coûts étaient très lourds. » expique Alberto Nadal, qui considère que le marché du travail a insuffisamment évolué depuis le début des années 70, et la fin de la dictature franquiste.

Les négociations ont basculé en faveur des entreprises, qui peuvent désormais réduire unilatéralement le salaire de leurs travailleurs si les revenus de l’entreprise chutent pendant une période prolongée. Le gouvernement espère ainsi relancer la compétitivité.

Les syndicats dénoncent une loi favorable au patronat

En Espagne, les relations entre syndicats de salariés et représentants du patronat ont toujours fait l’objet d’un véritable exercice d’équilibrisme, finement mené. Pourtant, cette fois, les syndicats sont unanimes : ils n’ont pas été écoutés.

« Nous avons fait un pas en arrière, cette nouvelle législation prive les travailleurs de droits essentiels, » estime Carolina Bermudo, ingénieur de 26 ans. « Maintenant, les entreprises ont tous les pouvoirs et, en plus, vous pouvez vous faire licencier encore plus facilement. »

Malgré ses deux Masters 2 et les quatre langues qu’elle parle couramment, Carolina Bermudo ne gagne que 1 000€ par mois comme chercheuse à l’université de Malaga, au sud de l’Espagne. La nature instable de son contrat et la faiblesse de l’économie, qui s’enfonce dans la récession, la plonge dans la précarité. Elle a conscience qu’elle peut perdre son emploi à tout moment.

Elle considère que réduire les indemnités de départ des salariés les mieux payés a un certain sens. Mais, c’est la question de la fragilité de ceux qui sont en contrat à durée déterminée avec des salaires faibles, qui a été insuffisamment prise en compte.

« Le marché du travail espagnol est extrêmement précaire. Il est difficile et rare de s’installer dans un poste. »

Les jeunes sont particulièrement vulnérables, les entreprises ont licencié, en priorité, ceux qui étaient « bon marché », ceux qui avaient des contrats à durée déterminée, afin de réduire les coûts. Le chômage des jeunes est actuellement de plus de 50%, et de nombreux jeunes professionnels espagnols partent à l’étranger dans l’espoir de trouver du travail.

L’austérité allemande ne va pas à l’Espagne

Mariano Rajoy n’est à la tête du gouvernement espagnol que depuis le 20 décembre 2011. Avant cette grève générale, il a déjà affronté une série de manifestations d’opposition à sa politique. Les conservateurs ont fait le choix, tant par idéologie que par obligation, de soumettre l’Espagne à forte cure d’austérité et ils ont récemment accepté le plan de la Commission européenne visant à réduire leur déficit public de 8,5% du PIB en 2011 à 5,3% en 2012.

Avec la récession, le gouvernement a annoncé que le chômage ne diminuerait pas cette année, tant que les réformes n’auront pas vraiment fait effet.

De nombreux Espagnols rejettent autant la responsabilité des difficultés que traverse leur pays sur leur gouvernement – en l’occurrence, le précédent, celui du socialiste José Luis Zapatero – que sur la Commission européenne et, évidemment, sur l’Allemagne.

« Depuis 2010, on nous a imposé des politiques dont le seul objectif est de réduire rapidement le déficit public, en oubliant la croissance et l’emploi, » explique Javier Doz du Syndicat Comisiones Obreras, qui soutient une relance de l’emploi par des investissements dans le secteur public. « Cette politique est imposée par le gouvernement allemand. »

« Nous devons lutter contre le chômage et oublier ce que Bruxelles nous a dit, » déclare Carlos Lopez, avocat de 39 ans, au chômage pendant des mois. Sa femme, quant à elle, n’a pas eu d’emploi pendant deux ans.

« Ces réformes seraient envisageables dans des pays comme l’Allemagne, mais elles ne marchent pas en Espagne, » ajoute-t-il.

Une réforme ne suffit pas

L’économiste Ismael Sanz considère que la nouvelle réforme redonnera confiance en l’économie. Cependant, elle mettra du temps à faire effet et d’autres mesures sont requises pour créer de l’emploi.

« Les banques doivent être incitées à redistribuer des prêts, » dit-il. « Le gouvernement agit jusqu’à un certain point, mais il doit faire plus. »

Alors que les employeurs et employés apparaissent divisés sur les effets escomptés de cette nouvelle législation, ils semblent se retrouver sur un point : une seule et simple réforme ne suffira pas à sortir le pays de la crise, les Espagnols doivent changer leurs habitudes de travail.

De nombreux salariés, comme Carolina Bermudo, se plaignent de ne pas voir leur travail valorisé par leurs supérieurs. Les employés sont simplement tenus d’être à l’heure à leur travail et de réaliser le nombre d’heures pour lesquelles ils sont payés, mais le résultat ne compte pas autant que dans d’autres pays.

Alberto Nadal est d’accord, « la garantie de la prospérité, la garantie pour les travailleurs espagnols d’avoir une meilleure vie plus tard n’est pas dans la loi, mais dans la productivité. »

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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