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Sandar Min et la Génération 88 aux portes du pouvoir

[image:1,l]Il y a encore quelques mois, Sandar Min était une des milliers de prisonniers politiques qui croupissaient derrière les barreaux d’une prison birmane. Elle passait ses journées à bavarder avec les autres détenus, en s’efforçant de faire profil bas.

« C’était juste une question de compromis »

« Nous ne savions pas pour combien de temps nous serions là, le temps passe bizarrement en prison, » nous a-t-elle confié lors d’une récente interview dans sa circonscription de Yangon. Pour échapper à la torture qui venait rythmer les journées de beaucoup de détenus, elle s’en remettait à la « négociation ».

« C’était juste une question de compromis, comme tout en Birmanie » a-t-elle ajouté d’un sourire espiègle. « J’ai juste dû trouver un modus vivendi avec mes geôliers,  je m’efforçais d’éveiller le côté humain qui sommeille en eux. »

Et ainsi naquit la femme politique

Sa sincérité et sa capacité à gagner les cœurs l‘ont rapidement poussée à un engagement militant. Dès sa sortie de prison le 13 janvier – dans le cadre d’une amnistie décidée par le gouvernement et concernant 600 prisonniers dont 200 pour raisons politiques – ses qualités ne tardent pas à attirer l’attention du parti d’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

« Je savais que je voulais rentrer en politique dès ma sortie de prison, mais je ne pensais pas que les choses se passeraient si vite, » s’est étonnée cette femme de 45 ans qui en paraît dix de moins.

Le mirage des élections de 1990

Sandar Min milite pour la première fois au cours des soulèvements de 1988. A l’époque, étudiante en chimie, elle rejoint le cortège d’étudiants qui descend dans la rue, réclamant la fin de la junte militaire. Mais la réponse du régime fut brutale. Des milliers de manifestants finirent sous les balles et d’autres en prison.

Elle faisait alors partie du rassemblement étudiant « Tri-Color », chargé de coordonner le mouvement dans le but de protéger la démocratie prônée par l’icône du LND, Aung San Suu Kyi. Sa participation aux manifestations lui vaut un séjour en prison.

A la suite du soulèvement, le régime militaire a accepté d’organiser des élections en 1990, qu’il croyait gagnées d’avance. Le parti d’Aung San Suu Kyi arrive en tête et celle-ci est aussitôt placée sous résidence surveillée, comme une majorité de ses sympathisants.

Sandar Min n’a passé que trois années derrière les barreaux, bien moins que beaucoup de ses codétenus.

« J’ai eu de la chance, certains sont restés en prison pendant près de 20 ans. »

La « Génération 88 » de retour en 2007

Beaucoup de ses proches, amis et collègues, ont retrouvé la liberté en 2007. Tous faisaient partie de la « Génération 88 », un terme désignant les militants les plus en vue lors du soulèvement de 1988.

Peu de temps après leur libération, le régime a décuplé le prix du carburant, mettant de nombreuses personnes dans l’incapacité de se rendre à leur travail. Même le trajet en bus était alors trop cher.

Et pour la seconde fois, la Génération 88 est descendue dans la rue pour manifester.

« Ce fut un moment si important pour notre pays, je devais être sur le front » nous a-t-elle dit, expliquant les raisons de son engagement.

Et une fois de plus, elle s’est retrouvée jetée en prison.

L’ampleur nationale du mouvement

Ces manifestations se sont transformées en un soulèvement national rassemblant des centaines de milliers de participants, et le régime a répondu aussi violemment qu’en 1988.

« Cette fois, le monde entier a vu les demandes des Birmans et la façon qu’a le régime d’y répondre. Je pense que c’est ce qui nous a emmené où nous sommes aujourd’hui. »  

Les pauvres initiatives engagées par le gouvernement après le passage du cyclone Nargis, qui a tué plus de 130 000 personnes en 2008, n’ont pas manqué d’attiser les revendications des activistes. La junte militaire avait initialement prévu d’interdire toute aide étrangère venue au secours de ceux touchés par la catastrophe.  

2010 : des élections faussées mais un pas en avant

Et les élections de 2010 n’ont pas été plus libres ou équitables. Pourtant, soudainement, le gouvernement a introduit de nouvelles réformes à un rythme remarquable.

A peine six jours après le scrutin, la dissidente Aung San Suu Kyi a été autorisée à quitter sa résidence surveillée, là-même où elle avait passé plus de quatorze ans. D’autres réformes ont permis l’instauration d’un cessez-le-feu avec les rebelles Karens et conduit à la libération de nombreux prisonniers.

« La différence entre le moment où j’ai été jetée en prison et maintenant est tellement énorme. »

La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton s’est récemment rendue en Birmanie, marquant un rapprochement entre les deux pays et laissant espérer une levée prochaine des sanctions.

La méfiance demeure

Malgré son optimisme, Sandar Min se méfie. D’après elle, le nouveau président du pays, Thein Sein, ne tient pas particulièrement à engager le pays dans la voie de réformes drastiques qui pourraient garantir la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie de tous les Birmans.

« Certaines personnes de l’Ancien régime ont compris que ces changements sont importants, mais d’autres sont plus intéressées par leur pouvoirn que par le bien-être du pays. Nous devons nous assurer que nous supportons et encourageons Thein Sein, ainsi que tous ceux qui veulent le changement. »

Sandar Min demande d’ailleurs à la communauté internationale de ne pas lever les sanctions au lendemain des élections, même si elles sont favorables à l’opposition. Quand bien même, le LND gagnerait 47 sièges sur 48, cela ne se traduira pas par un grand changement au niveau gouvernemental.

« La communauté internationale doit attendre les élections de 2015, quand tous les sièges seront renouvelés, »  a-t-elle estimé. « Si le LND peut librement concourir pour ces sièges et les remporter, alors nous saurons que le temps est venu de lever les sanctions. »

« Peut-être essaient-ils de créer un scandale à la Monica Lewinski ! »

Sandar Min a déjà pensé à ce qu’elle ferait une fois au pouvoir. Elle souhaite fournir aux fermiers de l’électricité, une éducation et des routes en plus d’une loi leur permettant de devenir propriétaires.

Mais sa campagne ne s’est pas déroulée sans problèmes. Plusieurs panneaux du LND ont été détruits et de nombreux membres du gouvernement ont encore peur de la soutenir ouvertement. Il n’a pas été plus facile d’obtenir la permission d’organiser des meetings dans sa circonscription.

Des attaques personnelles se sont également ajoutées à la longue liste des obstacles. Des photos d’elle avec Htay Kywe, l’un des chefs de file de la « Génération 88 », ont été distribués dans les marchés, accompagnées du slogan : « Quelle est la nature de leur relation ? » En bas des photos, une note insinuait que cette relation pouvait être offensante aux yeux des Birmans, culturellement conservateur.

Sandar Min ne plie pas devant de telles attaques, elle s’amuse : « Peut-être essaient-ils de créer un scandale à la Monica Lewinski ! »

Adaptation GlobalPost/Antoine Le Lay pour JOL Press

 

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