Site icon La Revue Internationale

Un centre d’espionnage géant dans l’Utah

600px-national_security_agency.svg_.png600px-national_security_agency.svg_.png

[image:1,l]Nichée au creux d’une vallée reculée de l’Utah, près de Salt Lake City, au cœur du pays mormon américain, la petite ville de Bluffdale est connue pour abriter la plus grande secte de polygames des Etats-Unis, les Frères apostoliques unis, forte de quelque 9000 membres. Ces pieux apôtres du Christ auraient pu continuer à prospérer en paix, si un projet colossal et terrifiant, à l’égal du Léviathan biblique, n’était venu tout chambouler.

« Au cœur de la Matrice »

Depuis début 2011, à quelques kilomètres de leur chapelle, des milliers de travailleurs, casquette vissée sur le crâne, transpirent jour et nuit pour jeter les bases d’un nouveau temple, destiné lui aussi à l’écoute des messages venus du ciel. A ceci près qu’il s’agit non pas de religion, mais d’espionnage. La National Security Agency (NSA) y construit en effet actuellement le plus grand centre de collecte et d’analyse de données des Etats-Unis, auquel le magazine Wired a consacré un long reportage dans son dernier numéro, intitulé « Inside the Matrix » (Au cœur de la Matrice).

Une fois construit, ce centre puissamment surveillé par des vidéos et des gardes armés, fera un million de km2, soit cinq fois la taille du Capitole américain. La NSA a consacré 2 milliards d’euros au chantier, qui doit permettre d’abriter quatre halls de milliers de serveurs chacun, plus huit hectares de bâtiments destinés au support technique et à l’administration du site.

L’ensemble, prévu pour être inauguré en septembre 2013, sera entièrement autosuffisant. L’électricité sera fournie par une station autonome de 65 mégawatts, tandis que des réservoirs d’essence seront capables d’alimenter des générateurs de secours en cas de coupure. Des installations de pompage pourront produire 6,4 millions de litres d’eau par jour.

Une Babel du renseignement

L’objectif de ces grandes oreilles, baptisées sobrement « Data Center » : surveiller, en temps réel, l’intégralité des communications mondiales – Internet, téléphone, satellite –, même « cryptées ». Pouvoir capter, décoder et analyser, partout à travers le monde, et en premier lieu sur le territoire américain, des données issues de communications classiques (courriels, conversations téléphoniques), mais aussi des renseignements personnels (recherche Google, factures, déplacements, achats…) et des données ultraconfidentielles issues du « Web profond », non directement accessibles (informations financières, transactions boursières, accords commerciaux, communications militaires et diplomatiques étrangères).

Depuis plus de dix ans, après l’échec cuisant du 11-Septembre 2001, la NSA s’est lancée dans un vaste programme d’écoute des communications. Pour se faire, ses antennes dispersées sur le territoire américain se branchent sur les réseaux des compagnies de téléphone nationales, surveillent et interceptent les communications qui transitent par des satellites ou à travers les câbles sous-marins entre les continents. « La NSA est devenue l’agence de renseignement la plus vaste, la plus secrète et potentiellement intrusive jamais créée », écrit James Bamford, l’auteur du reportage paru dans Wired. [image:2,s]

Opération « Vent stellaire »

Bamford apporte de nouvelles informations concernant l’opération « Vent stellaire », lancée en 2001 par la NSA afin de surveiller toutes les connexions Internet et téléphoniques entre les Etats-Unis et le reste du monde, mais aussi à l’intérieur du pays. Le journaliste explique que l’ampleur de la surveillance est bien plus grande qu’imaginée jusqu’ici : « L’opération Vent stellaire ne comportait pas seulement la surveillance des conversations téléphoniques, mais également l’inspection des emails ».

William Binney, ancien mathématicien de la NSA, révèle à Wired que l’agence a déployé sur tout le territoire des Etats-Unis des postes d’écoute, positionnés sur tous les nœuds importants d’Internet.

Casser le chiffrement AES

Le colossal centre de l’Utah aura aussi pour tache de casser les codes qui cryptent les transferts de données dans tous les domaines, notamment le plus réputé d’entre eux, le système de cryptage AES, un algorithme réputé inviolable utilisé par les agences gouvernementales américaines pour échanger des informations classifiées top-secrètes.

Pour décoder les données protégées, la NSA travaille sur un programme secret à Bluffdale. Des responsables de la NSA ont déclaré à Wired que l’équipe en charge du programme a récemment réussi une « percée technologique » dans le domaine du décryptage, mais qu’elle a besoin de plus de capacité de traitement pour la mettre en action. C’est dans l’Utah qu’elle prévoit de le faire. 

Yottaoctet de données

Pour parvenir à ses fins, la NSA souhaiterait ainsi mettre en route un superordinateur capable de traiter des yottabits de données (10 puissance 24 bits), soit environ mille milliards de fois plus que les disques durs de grande taille disponibles dans le commerce aujourd’hui. 

Un ordinateur digne d’Orwell, capable de coordonner la collecte, la lecture et le classement de milliards de données à travers le monde d’ici 2018. Avec ces données, selon l’un des responsables anonymes cités par Wired :  « ​On peut regarder tout le monde, tout le temps. Tout le monde est une cible ; toute personne qui communique est une cible. » Et d’ajouter : « On est à un doigt d’un Etat totalitaire clé en main ».

Quitter la version mobile