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Diagne Chanel: «Béchir veut exterminer le Soudan du Sud»

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En visite à Pékin au début de la semaine, le président sud soudanais, Salva Kiir, a préféré écourter sa visite et rentrer dans son pays au moment où les combats à la frontière avec le Nord Soudan font rage. Selon ses propres mots, les attaques de Khartoum contre son territoire sont une véritable « déclaration de guerre ».

Une guerre prévisible

Neuf mois après l’indépendance du Soudan du Sud, ce conflit, démarré depuis les premières attaques du 10 avril dernier, était largement prévisible. Le tracé de la frontière entre les deux pays a alimenté chez les deux « Soudan » une frustration territoriale, nourrie par les riches puits de pétrole revendiqués par chaque région.

Au-delà de ces revendications, Diagne Chanel, vice-présidente du Collectif Urgence Darfour pour le Comité Soudan tire aujourd’hui la sonnette d’alarme et demande une prise de conscience mondiale sur une guerre qui dure depuis l’indépendance du Soudan en 1956. Guerre soutenue par le projet d’Omar el-Béchir d’exterminer la population du Sud.

Omar el-Béchir veut un génocide

JOL Press : Les tensions sont vives à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud. Comment pensez-vous que cette situation puisse évoluer ? Une guerre est-elle sur le point d’être déclarée ?

Diagne Chanel : Ce qui se passe actuellement dans cette région est extrêmement grave, mais pas nouveau. Cette guerre a véritablement commencé en 1956, lors de la proclamation de l’indépendance du pays. C’est une guerre qui, depuis qu’elle a débuté, a fait des millions de morts, des millions de blessés, des millions de déplacés.

Aujourd’hui, des conflits éclatent autour des puits de pétrole, situés dans la partie sud, et désormais autonome, du Soudan. Si la situation est complexe, les causes de ce conflit sont très simples, il s’agit d’une guerre dirigée par le président soudanais Omar el-Béchir contre son voisin du Sud dans une logique d’extermination d’une population.

JOL Press : Quelles sont les ambitions d’Omar el-Béchir sur le Soudan du Sud ?

Diagne Chanel : On dit souvent, et Omar el-Béchir est le premier à laisser faire, que les conflits au Soudan sont une sorte de guerre de religion. Mais le véritable projet d’Omar el-Béchir et de tous ses partisans réside dans l’élimination pure et simple des populations noires africaines du sud de la région. La communauté internationale ne l’identifie pas de cette manière mais c’est pourtant le cas, et il est très important de comprendre cette donnée pour avoir une vision claire de la situation. Le Soudan du Sud est majoritairement peuplé de chrétiens, d’animistes et d’une minorité de musulmans, mais il ne s’agit pas d’une guerre de religion pour autant. Omar el-Béchir veut éliminer toute une population de la carte africaine, il veut un génocide, il n’y a pas d’autres mots pour le qualifier.

Omar el-Béchir a simplement profité de la configuration religieuse du pays, arguant une guerre sainte, pour s’attirer des alliés politiques, mais son ambition est ailleurs.

« Il est urgent que la communauté internationale intervienne »

JOL Press : La communauté internationale doit-elle agir sur place ?

Diagne Chanel : Oui, la communauté internationale doit se mobiliser et agir de toute urgence. Elle doit reconnaître le nouveau chapitre du conflit qui se met en place et agir afin de stopper Omar el-Béchir. Le président soudanais est sous le coup de plusieurs mandats d’arrêts internationaux pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide perpétré au Darfour. Même s’il n’est pas seul à avoir le pouvoir au Soudan, il doit être arrêté. L’opinion doit être mobilisée et la vérité doit être faite sur ce conflit.

Une intervention armée serait délicate et elle a toujours été évitée. Quelques casques bleus ont été envoyés sur place pour maintenir la paix, préserver les camps de réfugiés mais aucune action concrète et offensive n’a été envisagée. La communauté internationale pourrait intervenir si elle le souhaitait mais dans l’état actuel des choses, la pression et les sanctions diplomatiques pourraient être déjà très utiles.

Il y a comme un déni de la situation actuellement. Lorsque les mandats d’arrêts contre Omar el-Béchir ont été émis, la Ligue Arabe et l’Union Africaine n’ont pas suivi la Cour pénale internationale et ont refusé de donner suite aux poursuites. Le Soudan a de nombreux alliés qui le protègent.

JOL Press : Une redéfinition de la frontière est-elle envisageable ?

Diagne Chanel : Omar el-Béchir a toujours pensé que le Sud n’obtiendrait jamais son indépendance, et pourtant, en 2011, la région est devenue autonome. La frontière a été dessinée de telle manière que tous les puits de pétrole se trouvent au Sud. Khartoum a tout fait pour empêcher et freiner le tracé de cette frontière et aujourd’hui encore, celle-ci est mal définie. La question n’a jamais vraiment été réglée. Il faudrait que cette frontière soit repensée afin que les deux parties s’accordent sur un consensus, avec la présence d’observateurs internationaux, autour de certains points litigieux dans la région d’Abey et autour du mont Douba par exemple.

JOL Press : Quelles sont les recommandations du Collectif Urgence Darfour ?

Diagne Chanel : Il faut un nouveau chef d’Etat à la tête du Darfour. Mais quand un chef d’Etat est chassé, son entourage arrive toujours à lui trouver un successeur digne de lui qui continuera à mener la même politique. La communauté internationale doit regarder la situation de près afin que la paix puisse être rétablie dans les régions du Darfour, d’Abyei et du Sud-Kordofan.

La communauté internationale devrait également s’accorder afin de faire appliquer les décisions prises par l’Union Africaine notamment en ce qui concerne le tracé des frontières et le partage du pétrole entre les deux pays. C’est la clé de la paix.

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