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Du pétrole, mais pas d’électricité: le paradoxe nigérian

[image:1,l] Sur une petite place ensoleillée et jonchée de détritus, des femmes remuent des haricots sur le feu. Sur les braises, trois pierres ont été disposées pour faire tenir les marmites en équilibre. Des volutes de fumée blanches se répandent doucement autour des cuisiniers.  

La fumée, troisième cause de mortalité au Nigéria

Omolara Okunoye, la propriétaire du restaurant, ne sait pas à quoi font référence les activistes qui évoquent les dangers des « tueurs silencieux ». Pourtant, elle manipule ce mystérieux assassin quotidiennement, à chaque fois qu’elle allume un feu de bois. Comme pour de nombreux Nigérians, Omolara Okunoye associe les volutes de fumée à la perspective d’un succulent repas à venir, mais la cuisinière reconnaît avoir constamment mal aux yeux lorsqu’elle est exposée aux émanations de la cuisson. « Ça brûle » dit-elle en coupant le gombo dans un bol de plastique bleu. « Quand cela chauffe les yeux, la vision s’obscurcit pendant un moment. Sans traitements, on pourrait perdre la vue ». Les inhalations de fumée dues à la cuisine traditionnelle sont la troisième cause de mortalité au Nigéria, après la malaria et le SIDA. Elles tuent près de 100 000 personnes par an, selon Ewah Otu Eleri, directeur exécutif du Centre International pour l’Énergie, l’Environnement et le Développement au Nigéria. Les Nigérians ont très peu conscience du danger. Aussi, de nombreuses organisations font pression sur le gouvernement pour qu’il installe des fourneaux moins nocifs. 

Une population plongée dans l’obscurité

Le Nigéria est le plus grand producteur de pétrole d’Afrique, pourtant près de deux tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté absolue. Les habitants, qui ne profitent de cette richesse naturelle, sont essentiellement ruraux, vivant chichement, bien loin des standards du confort moderne. Et pour cause, les centrales électriques du pays sont vétustes. Plus de la moitié des 160 millions d’habitants vit sans électricité. Et ceux qui ont accès au réseau électrique subissent quotidiennement des pannes de courant. Même le gaz et le kérosène coûtent cher, car le Nigéria n’est pas en mesure de raffiner ses ressources précieuses et se voit alors contraint d’importer les carburants. Selon, Sam Amadi, le président du Comité Régulateur de l’Électricité Nigériane, ceux qui peuvent se le permettre, installent un petit générateur. Cependant ces appareils peuvent s’avérer dangereux : on ne compte plus les gens ayant perdu la vie après l’explosion d’un  générateur. Actuellement, le Nigéria produit moins de 4000 mégawatts d’électricité annuellement. À titre de comparaison, les États-Unis, qui comptent deux fois plus d’habitants, ont une capacité 280 fois plus importante que celle du pays africain.

Au Nigéria, environ 80 % de l’énergie provient des centrales de gaz. Le reste est issu de l’exploitation des barrages hydro-électriques.

Vers une privatisation de l’énergie

Pendant de longues décennies, le Nigéria a refusé d’investir dans l’énergie. Une situation qui semble se renverser progressivement. Le président Goodluck Jonathan entend multiplier par quatre la production électrique du Nigéria, au cours des prochaines années. Pour ce faire, il envisage de privatiser l’industrie, actuellement dirigée par l’État. 50 sociétés de production énergétiques se sont d’ores et déjà mobilisées et le pays cherche de nouveaux investisseurs.

Selon Abubakar Sani le Sambo, directeur général de la Commission d’Énergie du Nigéria, une nouvelle centrale électrique devrait être opérationnelle dès 2013.

Des salariés inquiets 

La privatisation a néanmoins suscité des craintes. De nombreux salariés redoutent la perte des emplois et des retraites. « Il y a forte appréhension et anxiété chez les ouvriers » révèle Abubakar Sani le Sambo. Un meilleur approvisionnement du Nigéria en électricité devrait par ailleurs réduire le taux de criminalité, aggravé par l’obscurité ambiante. 

Il stimulerait également la croissance économique. « Avec moins d’électricité, vous avez moins d’emplois, et moins d’activité économique » résume Abubakar Sani le Sambo. Par ailleurs, les habitudes prises par les Nigérian de cuisinier avec des poêles à bois ont provoqué un déboisement rapide et une avancée du Sahara sur les zones peuplées du pays. « Ici, 65% des ménages comptent sur le bois de chauffage » affirme Abubakar Sani le Sambo. « Si cela ne change pas rapidement, c’est le pays tout entier qui va devenir un désert ».

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