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Élysée 2012: le regard de Lucia Walton, journaliste à Pékin

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JOL Press : L’élection présidentielle française est-elle couverte par les médias chinois ?

Lucia Walton : Les médias chinois sont propriétés de l’Etat et étroitement réglementés. Par conséquent, difficile de parler d’une « couverture ». Pourtant, le sujet est évoqué par les médias chinois en ligne dans leurs sections « questions internationales ». Comme toutes les entreprises d’information à travers le monde, les médias d’Etat chinois ont un « agenda », des intérêts qu’ils défendent et promeuvent, pour la plupart d’ordre économique et diplomatique.

Par exemple, les ambitions nucléaires de l’Iran, les sanctions de l’ONU sur la Syrie et la Corée du Nord font la Une ces dernières semaines. L’Union européenne en proie à une crise et des difficultés sans précédent constitue aussi un sujet de préoccupation pour les journalistes chinois, tout comme la campagne présidentielle aux Etats-Unis.

Peut-on en dire autant de l’élection présidentielle française ? Pas vraiment. Bien sûr, le fait que ce scrutin a lieu maintenant est connu, grâce aux informations fournies par les agences de presse. Une agence de presse installée à Pékin a choisi de traiter du sujet en publiant une série de photographies légendées et publiées sous un titre purement factuel. C’est un exemple de cette neutralité que s’efforcent de conserver les médias ici. Neutres mais informés, puisque, même de loin, ils observent avec intérêt.

Un monde parallèle, ou presque

JOL Press : Comment les Chinois perçoivent-ils la France ?

Lucia Walton : L’idée que les Chinois ont une « perception » de la France sous-tend deux autres questions : combien de Chinois ont au moins une fois quitté leur pays ? Combien parmi ceux qui n’ont jamais quitté leur pays continuent à percevoir le monde à travers une version contrôlée et censurée de la réalité virtuelle ? Nous, les Occidentaux, bénéficions de la liberté de voyager, de la liberté d’expression – et considérons ces libertés comme acquises. C’est loin d’être le cas en Chine, ne l’oublions pas.

Malgré tout, mentionnez le mot « Paris » et les regards s’illuminent. Les Chinois ont entendu parler de Paris à travers des livres, des films et de la musique. Recherchez « Paris » ici sur l’Internet révèle tout ce que la capitale française peut offrir et plus encore. Comment les Chinois perçoivent la France ? Comme ils peuvent ?

Malgré la globalisation, l’accès à l’info demeure inégalitaire

JOL Press : Nicolas Sarkozy est-il connu en Chine ? Comment sont perçues ses cinq années au pouvoir ?

Lucia Walton : Il est connu comme le numéro 1 français. Certains pourraient même savoir qu’il est marié à un top model. Dans le même temps, mentionnez Carla Bruni voire même Mr Sarkozy à des Chinois parlant anglais et vous pourriez être surpris par leur ignorance. Difficile de généraliser. Le même constat pourrait être fait dans bien d’autres pays. Mondialisation, globalisation, l’info circule mieux mais de manière toujours très inégalitaire.

Cela ne signifie pas que les Chinois ne s’intéressent pas à la politique mondiale. Cela dépend juste de quelles questions de politique internationale nous parlons. L’Europe est-elle le centre de l’Univers ? Pour certains, oui. Pour la plupart, non. Lorsque l’on pose des questions sur la Chine, imaginer qu’ici une majorité lit la presse occidentale ou les chaines d’informations occidentales en anglais serait une erreur.

La Chine a ses propres médias, ses télévisions, ses radios, ses quotidiens, ses magazines, sa mode, son art, sa culture et sa pop music. La Chine fabrique des voitures, des motos et des bateaux. C’est la partie émergée de l’iceberg. La Chine a et fait tout ce que l’Ouest a et fait. La seule différence est que c’est « made in China ».

De quelle notoriété dispose en Chine Nicolas Sarkozy ? J’imagine, à vue de nez, que cette notoriété n’a rien à voir avec celle de Brad Pitt et d’Angelina Jolie !

Un traitement factuel de l’élection

JOL Press : Avez-vous vu mentionné le nom de François Hollande, le principal concurrent de Nicolas Sarkozy ?

Lucia Walton : L’opposition se trouve mentionnée naturellement dans la couverture fournie par les agences de presse internationale. On peut consulter en ligne des images de Nicolas Sarkozy et François Hollande, le plus souvent dans des diaporamas – « la Journée en images » – illustrant le déroulement de la campagne électorale. On trouve peu de portraits politiques ou de notices biographiques. C’est le cas aussi de Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de Gauche. Parmi les images préférées, les scènes de meetings, et en particulier de bains de foule.

Oui, la Chine est au courant qu’il y a des élections sur le point de se dérouler en France. Le China Post, le quotidien chinois en langue anglaise, a titré en début de semaine : « Les principaux candidats en meeting à Paris ». Le titre du site en anglais de l’agence de presse Xinhua est tout aussi factuel : « Mélenchon, le candidat présidentiel du Front de Gauche, courtise des supporters ». Les médias chinois se contentent de faits. C’est une campagne électorale et rien de plus.

La France a davantage besoin de la Chine que la Chine n’a besoin de la France

JOL Press : Le résultat de cette élection présidentielle peut-il, selon vous, affecter les relations entre la Chine et la France ?

Lucia Walton : Le vainqueur de cette élection devra non seulement tenir ses engagements électoraux, notamment en matière de rétablissement de l’économie, mais il devra aussi montrer qu’il tient les cordons de la bourse et mène une politique d’austérité.

Dans ce cadre, la Chine est un partenaire essentiel pour la France. La relation entre les deux pays pourrait pâtir d’un « leadership » trop concentré sur les questions domestiques, et insuffisamment ouvert sur l’extérieur, le vaste monde. Et cela d’autant plus que cette relation est profondément déséquilibrée. L’un des deux « partenaires » a davantage besoin de l’autre que l’autre n’a besoin de lui. Et vue de Pékin, qui est qui parait plus qu’évident.

Gérard Depardieu président !

JOL Press : Qui sera selon vous le prochain président de la république française ?

Lucia Walton : C’est bien dommage que Gérard Depardieu ne soit pas candidat… A l’étranger, il serait élu haut-la-main. Plus sérieusement, je parierais sur François Hollande. Pourquoi ? Le désir de changement peut-être, et tout simplement.

[image:2,s]Journaliste de télévision et de radio, auteur, Lucia Walton a travaillé notamment pour la BBC, Russia Today, France 24 et CCTV. Britannique, elle réside désormais à Pékin.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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