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Frédéric Bizard: «Inspirons-nous du modèle allemand!»

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Quelques semaines avant l’élection présidentielle française, Frédéric Bizard, dans son dernier livre « Une ordonnance pour la France – 10 pistes de réforme pour une santé plus juste, plus efficace et plus économe » aborde de manière claire le système de santé à la française. Pour lui, le modèle français est à bout de souffle et met en péril la pérennité de la protection sociale. Pourtant, il affirme que ce système est réformable, tout comme l’a montré l’Allemagne depuis dix ans. Il adresse alors un message aux politiques français, sous la forme de dix pistes de réflexions qui doivent devenir autant de priorités nationales.

Le docteur Frédéric Bizard a passé quinze ans dans la santé aux États-Unis et en Europe, en étroite collaboration avec le monde médical. Il dirige aujourd’hui la société Salamati Conseil, société de consulting spécialisée sur la santé grand public et professionnelle.

Dans une interview accordée à JOL Press, Frédéric Bizard analyse le fonctionnement du système de santé allemand ainsi que de certains modèles européens, leurs particularités, leurs failles et livre sa réflexion pour un nouveau système plus juste et en adéquation avec l’évolution de la société.

La sécurité sociale allemande est excédentaire

JOL Press : Quelles sont les particularités du système de santé à l’allemande ?

Frédéric Bizard : Il s’agit déjà du premier système national de santé au monde. Il a été conçu par Otto von Bismarck, à la fin du XIXème siècle. Bismarck avait besoin de concrétiser l’union nationale avec des mesures sociales marquantes et a donc inventé la sécurité sociale.

C’était un marqueur fort pour unifier l’empire allemand. Il a été fondé sur des principes de solidarité et a ensuite largement inspiré la sécurité sociale française.

À la différence de la France, la gestion des cotisations des Allemands est faite à l’échelle des lands et non pas de la nation. La santé est également gérée comme un système privé. Les caisses d’assurances sont mises en concurrence. Un citoyen de la Sarre peut, par exemple, choisir de s’inscrire dans la caisse d’un autre land s’il estime que celle-ci est plus avantageuse pour lui.

Les Allemands ont également un comportement plus préventif que les Français. Les facteurs de risques sont moins importants dans la population sauf pour l’obésité. 

En Allemagne, la prise en charge des affections de longue durée est un parcours fléché dans lequel un patient doit suivre un processus au cours duquel il sera suivi de A à Z, ce qui permettrait de limiter les dépenses. Les maladies chroniques représentent deux tiers des dépenses médicales. Elles sont beaucoup plus contrôlées en Allemagne qu’en France. Lorsqu’un Allemand, atteint d’une maladie chronique, consulte un généraliste, il est ensuite dirigé vers un spécialiste qui préconise, si nécessaire, son hospitalisation. Tout le processus médical est suivi directement par le généraliste et le patient est ainsi guidé. En France, les patients sont souvent livrés à eux-mêmes et n’ont pas le suivi nécessaire pour prendre les bonnes décisions pour leur santé. Une santé qui s’est dégradée à cause d’un manque de suivi coûte plus cher à la société. En Allemagne, la prise en charge des patients est plus efficace.

Le niveau de dépenses des Allemands pour leur santé est légèrement plus élevé qu’en France, notamment à cause du vieillissement de la population et pourtant, leur sécurité sociale est excédentaire.

La France pourrait-elle s’inspirer de ce modèle ?

Certains points peuvent être étudiés de près. Les Allemands ont, par exemple, réussi à faire peser leurs dépenses de santé davantage sur l’impôt et non principalement sur les charges de travail, comme en France. Nous avons du retard même si les gouvernants veulent mettre en place un système similaire, notamment grâce à la TVA sociale.

Les sources de financement en France, sont directement liées à la conjoncture. Avec 10% de chômeurs, le déficit de la sécurité sociale est structurel. Il faut trouver un autre moyen pour financer notre système de santé. La France a cumulé, depuis ces dix dernières années, un déficit de son assurance maladie de l’ordre de 80 milliards d’euros. L’Allemagne, quant à elle, est excédentaire.

Notre politique fiscale doit être revue pour mieux financer la sécurité sociale et ne pas la faire trop peser sur le travail.

Moins d’injustices sociales en Allemagne

Le système français est loué car il permet à chacun de bénéficier des soins dont il a besoin. Pourtant, vous affirmez dans votre livre que, contrairement à l’Allemagne, le système de santé français est fait de nombreuses injustices sociales ?

Il y a deux préjugés qui entourent notre système de santé.

Le premier est de dire que notre système est bon, que la prise en charge des patients est correcte. Mais cette prise en charge est en déclin et la tendance est négative. C’est le propre des politiques d’anticiper la dégradation d’un système social afin de l’adapter aux nouveaux enjeux. Plus on interviendra tardivement sur tendance déclinante, plus ce sera compliqué et difficile à faire accepter à la population. Si tous les Français peuvent accéder à la médecine pour les soins majeurs, des prémices d’injustice sociale existent déjà dans l’accès aux soins courants, tels que le dentaire ou l’ophtalmologie. Si l’injustice sociale atteint la prise en charge de pathologies graves, ce ne sera plus supportable socialement. 

D’autre part, l’âge moyen des médecins est actuellement de plus de 50 ans. Dans quelques années, certaines régions de France seront des déserts médicaux où l’accès à la médecine deviendra très difficile si on ne fait rien. 

Ailleurs dans le monde, quels systèmes de santé ont fait leurs preuves ?

Les dépenses de santé de la France représentent 12% de notre PIB. Les pays nordiques tels quel la Suède, la Finlande et la Norvège dépensent moins de 10% de leur PIB pour la santé, tout en étant très bien traités.

Ils ont notamment mis en place une grande politique de prévention par le biais de la médecine scolaire et de la médecine du travail.

La prévention devient incontournable aujourd’hui. Ce sont les pathologies chroniques, liées à l’obésité, à l’alcool ou encore au tabac qui nécessitent le plus de dépenses et c’est justement elles que nous pouvons contrôler.

Cette politique, mise en place il y a quelques années, porte ses fruits aujourd’hui et équilibre les systèmes de santé.

La santé est culturelle

Ces systèmes de santé pourraient-ils être mis en place en France ?

Rien ne peut être uniformisé. Comme dans chaque domaine, la culture des pays entre en compte. Prenez l’exemple du Royaume-Uni. Les Britanniques sont très attachés à leur système de santé, il est d’ailleurs très difficiles pour le gouvernement de le réformer et pourtant, il ne pourrait pas être mis en place en France sous peine de voir les Français manifester dans les rues pendant des semaines.

Les Britanniques ont fait le choix de limiter leurs dépenses de manière drastique. Par exemple, si en France, un homme de 85 ans peut subir un triple pontage ou se voir greffer un rein, les Britanniques, de leur côté, sont très réticents à opérer une personne âgée de plus de 75 ans. Pour eux, ce n’est pas rentable.

Pour limiter leurs coûts, les patients nécessitant une opération chirurgicale sont placés sur une liste d’attente, ce qui permet de contrôler les dépenses.

Ce système peut avoir des conséquences dramatiques car certaines personnes meurent avant d’être opérées si l’urgence n’a pas été évaluée correctement. Malgré tout, les Britanniques y sont attachés.

Leurs dépenses de santé représentent 9% de leur PIB et à peu de choses près, leurs résultats sont similaires aux nôtres même si le système est moins généreux.

Une urgence pour la France

La santé est relativement absente du débat présidentiel français. À un mois de l’élection, quelles sont les pistes de réflexion qui devraient être abordées par les candidats ?

[image:2,s]Il y en a plusieurs. Parmi elles, le financement de la sécurité sociale est un sujet prioritaire. Il faut rendre le financement de notre système de santé pérenne. Nous devons trouver de nouvelles sources de financement qui pèsent non pas sur les charges de travail mais sur la fiscalité des particuliers.

Il faut également mettre en place une politique de prévention collective puis individualisée. La santé doit sortir des hôpitaux et rentrer dans le monde éducatif, le monde du travail, les clubs sportifs etc.

Le système de soins doit être moins centré sur l’hôpital. En amont, il faut rendre la médecine de ville accessible à tous, ce qui n’est plus le cas. La relation entre la médecine de ville et l’hôpital doit être fluidifié. En aval, la médecine ambulatoire doit être davantage développée de façon à limiter le temps passé à l’hôpital. C’est véritablement un décloisonnement de notre système de soins qui doit être opéré avec une gestion et une organisation basées sur le parcours du patient.  

Les politiques ne se risquent pas sur le terrain sensible de la santé par peur d’aborder un sujet qui leur semble complexe et technique. Ils craignent par ailleurs de n’avoir que des sacrifices à demander à la population, ce qui n’est pas très porteur en période électorale

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