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La présidentielle française, un déjeuner sur l’herbe

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[image:1,l]Délicat exercice que de prétendre suivre – et comprendre – l’actualité d’un pays étranger.

Exercice d’autant plus délicat lorsqu’il touche à la vie politique car le risque est fort de tomber dans la facilité, dans le cliché et de se contenter de regarder avec les yeux d’ici, ce qui se passe ailleurs.

Si, au moins dans les pays occidentaux, il existe quelques clés de compréhension communes, quelques grands clivages idéologiques supranationaux, dans le détail, la réalité est beaucoup plus subtile – héritée de traditions divergentes, marquée par des épisodes historiques uniques, empreinte de tout ce qui forge l’idée nationale de chaque pays. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà, » disait Montaigne

Une mise en scène étudiée 

Comme elle est jolie, comme elle nous semble belle et pertinente – cette semaine encore – la couverture de « The Economist ». La rédaction de l’hebdomadaire britannique « de référence » a puisé dans les chefs d’œuvre de l’art français et jeté son dévolu sur « Le déjeuner sur l’herbe » d’Edouard Manet. La toile ne se décrit pas, tant elle est connue… Au premier plan, une femme nue, juste derrière, assis à côté et face à elle, deux hommes tout habillés. Au loin, une autre femme en petite tenue, le tout dans un vaste paysage forestier, partie essentielle, trop souvent négligée de l’œuvre.

L’illustrateur de « The Economist », avec son art éprouvé de déformer les images, n’a pas hésité, à trois semaines de la présidentielle française, à donner aux deux messieurs d’Edouard Manet les visages de François Hollande et Nicolas Sarkozy.

Cette « Une » pourrait dénoter chez nos confrères de « The Economist » une connaissance et une compréhension fine de ce qu’est une campagne présidentielle française. Combien de fois la métaphore n’a-t-elle été utilisée ? La présidentielle au suffrage universel direct,  comme suprême exercice de séduction « à la française » avec des candidats occupés à charmer les citoyens, à conquérir le cœur de la France. Mais aussi, au travers d’une oeuvre passéiste, qui laisse passer comme message subliminal que la France est un pays du passé…

Et, justement, cette femme, assise aux côtés de François Hollande et Nicolas Sarkozy, c’est la France. On observe alors le positionnement des personnages. « The Economist » a choisi de placer François Hollande à gauche et Nicolas Sarkozy à droite. Logique, diriez-vous ? Bien sûr, mais puisqu’Edouard Manet a voulu placer son personnage féminin collé au personnage de gauche, faut-il y voir aussi l’avance dont semblait disposer le candidat de gauche sur celui de droite, au moment où la couverture a été réalisée ? Et dans le geste de la main du personnage de droite, sa détermination à reconquérir celle qui semble le délaisser ? Subtile que cette « partie carrée »…

Nue et dépouillée comme la France ?

Cette femme est nue, ainsi que Manet l’a voulu. Là aussi, les interprétations sont multiples. Elle est nue parce qu’elle va se donner complètement, parce qu’elle va prendre son bain – « Le bain », premier titre donné par le peintre au tableau – et repartir, comme purifiée, pour une nouvelle aventure, pour de nouvelles aventures. Et puis – ou bien -, elle est nue parce qu’il ne lui reste plus rien, dévêtue car dépouillée, fragilisée – par une crise économique et financière sans précédents.

Il y a donc les deux candidats et la France, et puis il y a le reste. D’abord, cette femme dans la ligne de mire. Serait-ce l’Europe ? Et puis, il y a l’étendue d’herbe et ces grands arbres, le vaste univers qui entoure les quatre personnages : il s’agirait du monde, ce monde globalisé aux ramifications multiples. Les deux gentlemen et leur dulcinée n’en ont que faire. Un peu comme en France, où, pour « The Economist », les candidats à la présidentielle n’évoqueraient que rarement, et maladroitement dans l’ensemble, le vaste monde globalisé. Des continents lointains dont les Français, obnubilés par leur propre être, n’auraient que faire.

Une caricature au message subliminal 

« Ce qu’il faut voir, c’est le paysage entier » telle était l’injonction d’Émile Zola dans sa critique du tableau d’Edouard Manet. C’est le titre qu’aurait pu choisir la rédaction de « The Economist ». C’est un peu le titre qu’elle a d’ailleurs choisi avec « A country in denial », « Un pays dans le déni ».  Comme un pays fermé, recroquevillé sur lui-même, abasourdi par ses propres beautés au point d’en oublier le reste, les défis qui l’entourent.

Comme elle est belle cette « Une » de « The Economist », comme il est agréable de constater la pertinence de l’analyse d’observateurs étrangers, leur lucidité. Malheureusement, elle ouvre sur un « leader » qui peine à renouveler le regard qu’on porte, ailleurs, sur la France. Que ce soit dit, tous les candidats en prennent pour leur grade. L’un et l’autre, puisque, vu de Londres, il n’y aurait que deux candidats. Nicolas Sarkozy, qui, seulement cinq ans auparavant, était présenté par ce même hebdomadaire comme le sauveur de la France. Ce fils illégitime – et contre-nature – de Jeanne d’Arc et Margaret Thatcher, n’y échappe pas. C’est tout juste s’il bénéficie d’un soupçon de clémence. Et, évidemment, pour ce qui est de l’évocation d’une possible victoire de François Hollande, la seule comparaison qui pointe à l’esprit de nos contempteurs est celle de 1981. Ils promettent déjà qu’un « mur de l’argent » s’élèvera contre le « danger socialiste ».

Et rien, surtout, sur le modèle français, sur l’exception française, sur l’âme française ou plutôt si, une chose : « Comme nulle part ailleurs dans les pays développés, l’électeur français a tendance à considérer la globalisation comme une menace, sans y voir une source de prospérité ». Point. Le raccourci semble un peu rapide… Et la caricature intentionnelle, lorsque l’on sait que Londres espère accueillir quelques riches français prêts à demander « asile » au Royaume Uni…

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