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Le blanchiment d’argent, un sport national

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[image: 1,l]Les capitaux chinois quittent le navire

Pour certains riches Chinois, le besoin de déplacer d’énormes sommes d’argent hors du continent n’est pas seulement urgent. Il peut s’agir d’une question de vie ou de mort. Un problème qui peut s’illustrer à travers la sinistre histoire de Gu Kailai, l’épouse de Bo Xilai, chef du Parti communiste chinois, en disgrâce. Cette dernière est soupçonnée d’avoir empoisonné Neil Heywood, un homme d’affaires britannique. Elle l’aurait tué à la fin de l’année passée, alors qu’il menaçait de dévoiler les pratiques frauduleuses de son réseau de transferts d’argent. Un réseau qui lui aurait d’ailleurs permis d’amasser plus d’un milliard de dollars hors des frontières chinoises. Un délit grave en Chine, qui applique un strict contrôle des capitaux.

2 740 milliards de dollars d’évasion fiscale

Bien que cette affaire soit particulièrement sensationnelle, ce types de transactions douteuses sont monnaie courante chez l’élite chinoise. Un rapport daté de 2011 par la GFI (Global Financial Integrity) révèle l’étendu du système. Entre 2000 et 2009, la Chine se hisse au premier rang mondial des trafics de flux financiers avec 2 740 milliards de dollars concernés. Cinq fois plus que le Mexique, second pays sur la liste.

L’année dernière, la société de conseil China Merchants Bank and Bain s’est penchée sur le problème. Tous les Chinois qui possédaient plus de 10 millions de yuans d’actifs à investir (1,4 millions d’euros) avaient, collectivement, gelé l’équivalent de 550 millions de dollars à l’étranger. 27% d’entre eux, considérés comme les plus riches ont mis tout leur argent à l’étranger« Des sommes inimaginables quittent illégalement la Chine chaque jour » écrit Sarah Freitas, une économiste de la firme. Ce qui rend ces fraudes plus étonnantes, c’est que la Chine punit toujours de la peine capitale certains délits financiers ! Alors, quelles sont les motivations de ces grosses fortunes chinoises ? Pourquoi courir un tel risque ?

Des motivations répréhensibles

« En Chine, si vous avez un bon réseau en politique, il est facile de s’en tirer » explique Borge Bakken, professeur de criminologie de l’Université de Hong Kong« Il y a des milliers de façons de gagner de l’argent hors du pays », ajoute-t-il. Certaines élites craignent que d’éventuelles instabilités politiques menacent directement leurs biens. D’autres veulent se protéger de possibles conflits internes en sécurisant leurs patrimoines ailleurs. Enfin, certains désirent simplement investir hors du continent. Il y a bien sûr des raisons moins avouables derrière certaines évasions fiscales : dissimuler une corruption massivedétourner des fonds, financer le crime organisé…En d’autres termes : blanchir de l’argent« Il est extrêmement compliqué de savoir « d’où vient quoi », de remonter aux sources… Il y a probablement 20% de cet argent qui provient d’un pot-de-vin des plus généreux » annonce Steve Vickers, président de Steve Vickers Associates, une société de conseil, spécialisée en placements à risques.

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L’art et la manière

Quel que soit le motif, les méthodes de délocalisations de fonds ne manquent pas. Une des plus simples consiste à utiliser des agents de transferts de fonds à Hong Kong. Ces derniers prêtent de l’argent à des personnes désirant effectuer une transaction financière sans traces ni papiers. Ce qui arrange les deux parties puisqu’aucun fonds n’a officiellement quitté le pays. Un autre moyen courant consiste à embaucher des intermédiaires pour racheter des actifs immobiliers à l’étranger. De grandes propriétés, mais aussi des antiquités ou des biens de luxe, qu’ils conservent jusqu’à ce qu’ils puissent les revendre. Lorsque l’argent revient en Chine, il est redevenu « propre » et peut circuler sans risques.

« Le fait de ne pas tenir compte du montant dépensé est très révélateur. Plus vous dépensez d’argent à l’étranger, plus vous arrivez à en blanchir » explique Fun Yujing, un criminologue de l’Université de Hong Kong. « Cela s’explique aussi dans le dispositif-même du blanchiment. Le criminel ne récupère pas 100% de son argent lorsqu’il revient en Chine. Une bonne partie de celui-ci est perdue dans le processus de blanchiment  ».

Macao, l’Eldorado du blanchiment d’argent chinois

Une technique plus « festive » consiste à recourir à la législation de l’île de Macao. Cette ancienne colonie portugaise est le seul territoire où les jeux d’argent sont autorisés.
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Cette méthode fait appel à des « Junket Agent » (littéralement des agents « tous frais payés ») auxquels on crédite de l’argent directement dans les salles de jeux VIP de Macao. En agissant de la sorte, on contourne la limite de 3 200 dollars que les citoyens chinois peuvent présenter à la frontière. Après avoir été joué (du moins transformé en jetons de jeu), l’argent est récupéré en monnaie étrangère propre, et envoyé à Hong Kong pour être réinvesti ou placé sur des comptes offshore.
 

Les sociétés fictives, l’autre visage du blanchiment

Les experts du blanchiment utilisent souvent des techniques plus complexes, basées sur des sociétés fictives, permettant de masquer leurs activités. Nul doute que ce fut le cas de Gu Kailai, même si les détails de ses transactions restent encore flous.

En 2000, elle a enregistré une société baptisée Adad Limited en Grande-Bretagne. Une opération conclue sous couvert de son nom anglais Horus L. Kai. Bien que l’entreprise soit en activité depuis des années, les enquêteurs n’ont trouvé aucune trace de dossiers concernant les transactions financières. Gu Kailai et ses quatre sœurs contrôlaient également des entreprises à Hong Kong et dans les îles Vierges Britanniques, qui pèsent au moins 126 millions de dollars, d’après les estimations de Bloomberg, agence de presse spécialisée dans la finance.

Des sanctions non disuasives 

En dépit des arrestations et sanctions pour fuite des capitaux dans certaines affaires hautement médiatisées, le problème n’a cessé de croître. En mars 2012, la police de Pékin a saisi près de 800 millions de dollars depuis six banques « underground », qui soutenaient des fraudeurs de grande envergure. Depuis 2009, 150 saisies de ce type ont été effectuées, d’après le ministère chinois de Sécurité Publique.

Cependant, avec le développement de la classe aisée chinoise, et ses interrogations concernant le « transfert du pouvoir » prévu dans une décennie, d’importantes mannes financières vont continuer à circuler« Je pense que dans un premier temps, il finira par y avoir des répressions importantes, mais il est clair que la tendance est à l’augmentation de la corruption » précise Steve Vickers« La loi vous dit que vous n’avez pas le droit de sortir quelques milliers par jour. Pourtant les gros poissons sont en mesure de faire passer des milliards par an » ajoute-t-il.

Global Post/Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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