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Les tribus de la Vallée de l’Omo menacées d’extinction

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Voyageurs vers le jardin d’Eden

La rivière Omo se jette dans le lac Turkana, non loin de la frontière entre l’Éthiopie, le Soudan du Sud et le Kenya. C’est une vallée difficile d’accès. D’Addis-Abeba, le périple peut durer trois jours durant lesquels le voyageur doit arpenter des chemins chaotiques qui serpentent à travers le relief montagneux. Il y a 20 ans, seuls quelques rares touristes se sont s’aventurés dans la région. Ils sont désormais près de 20 000 chaque année, attirés par de nombreuses curiosités.

C’est à cet endroit, que les plus vieux ossements d’Homo sapiens, daté de près de 195 000 ans ont été retrouvés. (La fameuse Lucy a été découverte en Éthiopie.)

Des scientifiques ont trouvé ici des traces d’ADN suggérant que chaque personne vivant actuellement sur la planète serait apparenté à une femme, sans nom, qui un jour vécût dans la vallée de la rivière Omo. Ce sont ses descendants qui ont peuplé le monde.

Cette vallée a des airs de jardin d’Eden. Bien que sauvage et accidentée, la nature est d’une beauté vertigineuse. Elle-même suffit à attirer de nombreux aventuriers.

Le musée vivant de l’Age de pierre

Néanmoins, l’attrait principal reste la présence de ces 16 groupes ethniques qui font de cette vallée un incroyable vivier tant en terme de diversité génétique qu’en richesse linguistique. Cette particularité a conforté l’UNESCO dans son choix  de proclamer cette vallée « haut lieu du patrimoine mondial », en 1980. La plupart de ces tribus continuent à vivre comme le faisaient leurs ancêtres, il y a des millénaires. Leur rendre visite ressemble plus, à certains égards, à un voyage dans le temps.

La plupart vivent dans des huttes, construites à partir de bois et de boues, un monde pré-industriel où l’électricité et l’eau courante semblent inimaginables. Leurs lambeaux de vêtements sont fabriqués à partir de peaux d’animaux, les enfants courent nus. Certaines tribus subsistent grâce à la culture du maïs et du sorgho qu’ils complètent avec de la viande de chèvre ou de vache.

Un culte du corps caractéristique

[image:2,l]S’ils ont peu de biens, ils partagent leur identité tribale par de nombreux moyens. Certains se scarifient rituellement par la création de dessins complexes sur leur peau. D’autres utilisent leur corps comme une toile sur laquelle ils peignent leurs œuvres. Un art qui a aussi pour vertu d’éloigner les insectes. Les femmes de la tribu Hamar préparent une mixture à base de graisse d’animal et de pigments rouges puis façonnent leurs cheveux en différentes tresses. Plumes, fleurs, cuir, bois et même du cuivre sont utilisés pour créer bracelets, colliers et toute autre forme d’ornements.

Les ornements corporels les plus célèbres sont sans doutes ces plaques d’argile que les femmes Mursi commencent à porter dès l’adolescence. Certains affirment que cette pratique date de l’époque durant laquelle les négriers menaçaient les indigènes africains. Pour rendre leurs femmes inintéressantes aux yeux des négriers, les Mursi ont commencé à mutiler leur lèvre inférieure de manière à implanter un disque de plus en plus large dans l’espace créé. Au fil du temps, les Mursi ont considéré que cette pratique était rentrée dans leur identité tribale et qu’elle était un atout physique pour leurs femmes. Les disques sont lourds, les femmes les portent donc principalement lors de grandes cérémonies comme les mariages ou festivals tribaux. Et bien entendu, elles les mettent immédiatement lorsque les touristes arrivent.

D’étranges traditions ancestrales

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Certaines des coutumes tribales sont particulièrement surprenantes. Avant de se marier, les jeunes hommes Karo doivent se livrer, nus, à une étrange danse, interprétée sur les dos de taureaux attachés tous ensemble. Le Karo ne devient un homme que s’il accomplit cette épreuve sans tomber. Les hommes Hamer ont la même tradition, mais intègrent leurs femmes à leur rituel. Elles se chargent d’apporter l’alcool qui abreuvera toute la communauté pendant les festivités. Les enfants Karo qui sont considérés comme maudits (les jumeaux, par exemple) peuvent être noyés dans la rivière, affamés, ou laissés à l’abandon, à la merci des hyènes.

Même la vie quotidienne peut avoir un côté sordide. Lorsque nous avons visité le camp Mursi, notre guide nous a conseillé, en milieu d’après-midi, de ne pas s’attarder et quitter le village. Selon lui, les villageois ont pour tradition de s’enivrer à la bière de sorgho en soirée, une forme d’habitude quotidienne, qui peut les rendre parfois très agressifs.

Le tourisme, une industrie pour les villages

[image:5,s]Sur le chemin qui mène à la vallée, les enfants courent derrière les voitures, effectuant des danses bien à eux, dans l’espoir de recevoir un cadeau de la part d’un touriste. Bien souvent, les voitures foncent sans leur prêter attention. Une occasion manquée pour ces jeunes, qu’ils rattrapent une fois confrontés aux touristes dans le village. Car en effet, dans le village, tout se monnaye. Les plus âgés se chargent de récolter les frais d’entrée dans l’enceinte de la communauté, et chaque clic sur un appareil photo, a un prix, environ 2 ou 3 birr (1 birr vaut 0,041€). Certains villageois ont même quelques rouleaux de birr en réserve afin de permettre aux touristes de changer leur monnaie. Avant de partir, notre guide nous avait conseillé de faire le plein de bonbons, stylos, lames de rasoir, ces offrandes nous ont permis de prendre toutes les photos que nous voulions.

Ces transactions sont le signe d’une intrusion du monde moderne dans cette société archaïque, et il y en a beaucoup d’autres.

Les tribus ne sont pas à l’abri du monde moderne

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Le deuxième plus grand projet hydroélectrique d’Afrique, installé à près de 500 km de la rivière devrait être finalisé en 2013. L’impact de ce projet sur ces tribus qui dépendent des crues annuelles est encore incertain.

Selon les rumeurs, une route pavée, construite par les Chinois pour rejoindre le lac Turkana, devrait normalement traverser Turumi, le cœur du territoire Hamer. Depuis ces deux dernières années, des pylônes électriques ont fait peu à peu leur apparition dans la vallée. Certains villageois ont déjà fait l’acquisition de téléphones portables. Nous l’avons appris en nous rendant dans une petite communauté Bodi. Le chef du village lézardait au soleil, vêtu d’un simple grand châle. Nous discutions avec lui quand soudain, une sonnerie est venue perturber ce monde sans bruits. Un téléphone. Celui du grand chef. Et le plus naturellement du monde, il décroche et répond comme un homme d’affaires.

Une vision cocasse, qui laisse un goût amer malgré tout. Après avoir quitté la vallée de l’Omo, un voyageur s’interroge : le tourisme est-il responsable de la fin des communautés, est-il à l’origine de la perte de leur « innocence », ainsi que de ces spécificités culturelles qui les rend si exceptionnels ? Je nuance son propos catastrophiste. Ces hommes n’ont pas tout perdu… Mais un tel mode de vie est fragile. Ce monde pourrait bien être en train de s’évaporer.

Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

 

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