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L’irrésistible ascension du parti Pirate

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[image: 1,l]Personne ne l’attendait. Le « parti Pirate », courant politique composé essentiellement d’activistes et de « hackers », a pourtant créé la surprise en remportant près de 9% des voix à Berlin, dans le cadre des élections régionales. Le succès naissant des Pirates, dans la capitale allemande qui cultive un esprit jeune et contestataire, semble peu à peu attirer les regards des autres formations politiques, qui ont jusqu’à présent négligé « l’outsider ». 

Lorsque, le dernier weekend de mars, le parti Pirate remporte un franc succès dans le Länder de la Sarre, il apparaît alors comme un potentiel adversaire. Avec ses 7,4%, il devance les Verts et les Libéraux-émocrates, partenaires de coalition d’Angela Merkel, qui se cantonnent à 1,2%.

Un parti enfin reconnu

Les commentateurs politiques et les stratèges des différents partis mesurent désormais l’importance de cette formation politique atypique en Allemagne.

Malgré tout, il est encore difficile de savoir s’ils peuvent véritablement infléchir l’échiquier politique en entrant au Parlement Fédéral, lors des élections prévues pour la fin d’année 2013.

Si l’on se réfère aux récents sondages, le parti Pirate peut compter sur environ 12% d’intention de votes. Un chiffre plus que suffisant pour dépasser la barre des 5% nécessaires pour rentrer au Bundestag.

Des lacunes dans l’organisation

Cependant, les critiques ne manquent pas de souligner les lacunes du parti. Les Pirates n’adoptent aucune position claire sur des sujets fondamentaux, tels que la politique étrangère, l’emploi et l’énergie. Leur programme ne fait qu’effleurer ces questions.

Bien sûr, le parti est encore jeune. Formé en 2006 comme une émanation du parti Pirate suédois, il avait d’abord concentré son énergie sur les questions entourant la protection des données, le partage de fichiers en ligne, la vie privée et la censure. Depuis, il a élargi son répertoire pour y inclure un appel à la démocratie participative et une transparence des politiques. D’autres points concernent la gratuité des transports publics et la volonté d’un revenu de base minimum

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Les partis qui attaquent les Pirates sur leur manque de propositions semblent ignorer la cause de son succès. Il se résume essentiellement en deux mots : le « Liquid Feedback » (la démocratie liquide). Ce pilier du parti stipule que chacun est libre de présenter un sujet qu’il aurait aimé voter. Pour les autres, on délègue sa voix à un député qu’on estime digne de confiance. Bien sur l’organisation politique est un « Work In Progress », mais cette approche de la démocratie, plutôt que son contenu, est l’idée qui semble attirer les gens.

À bien des égards, cette approche semble chaotique, voire amateur, de la politique. Elle est cependant perçue comme rafraîchissante par leurs défenseurs, en contraste avec le style « sur-joué » des politiciens modernes.

Etre différent, imaginatif en politique, est davantage un atout auprès des jeunes votants. 22% des 18-24 ans ont en effet voté pour les Pirates, lors des élections de la Sarre.

Leur soutien provient également de la désillusion des électeurs pour la politique conventionnelle : « La plupart des gens ayant voté pour les Pirates sont insatisfaits de toute cette situation. Ils n’ont plus confiance dans les promesses des partis et dans la politique en général » explique Carsten Koschmieder, politologue à l’université de Berlin.

Il explique que ceux qui soutiennent le parti uniquement en raison de leurs positions politiques concernant Internet, ne sont qu’une minorité. Il déclare même que 85% des votants du parti Pirate l’on fait par frustration lors des élections de la Sarre. Le parti a d’ailleurs récolté les voix des électeurs qui choisissent de ne pas voter en temps normal.

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Entre méfiance et convoitise

Les autres partis se précipitent pour intégrer les questions concernant l’Internet dans leur programme. Une potentielle erreur tactique. « Les autres partis essayent désormais d’incorporer les requêtes des Pirates à leur programme. Cela ne les aidera pas si la plupart des gens qui soutiennent les Pirates ne le font pas pour des raisons politiques » poursuit Carsten Koschmieder.

Quelle que soit la motivation des électeurs, il est indéniable que le parti a le vent en poupe. Selon les sondages, il a de fortes chances qu’il rentre au Parlement pour les élections régionales du Schleswig Holstein (Rhénanie du Nord-Westphalie, en mai 2012 prochain.

La succession d’élections de cette année, après l’écroulement de nombreux gouvernements régionaux, fut une véritable aubaine pour les Pirates.

« Si il n’y avait pas eu d’élection cette année, et si les Pirates n’avaient pas bénéficié d’un tel battage médiatique, on les aurait encore oublié  » explique Carsten Koschmieder.
« Néanmoins, le fait que l’élan impulsé par le bon score de Berlin ait perduré, signifie qu’ils pourront très probablement réussir dans les deux prochaines élections régionales ».

Un succès particulièrement lié à l’obtention de sièges en Rhénanie du Nord. Un important länder, dont la population est estimée à 18 millions d’individus, a longtemps été considéré comme un baromètre pour les élections nationales. Un autre moyen d’être reconnu pour intégrer le Parlement Fédéral.

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Les Pirates ont déjà exprimé leur désir de jouer un rôle sur le plan national : « Nous entrerons dans l’élection de 2013 afin d’éventuellement travailler dans un gouvernement fédéral » a déclaré Bernd Schloemer, le chef adjoint du Parti, au journal The Hamburger. « Nous voulons former une politique de gouvernement sur le long terme, et ne pas être décris simplement comme un parti de protestation. »

L’art de choisir son camp

Bien qu’il adhère à une tendance de gauche, le Parti Pirate se fonde également sur des notions de libéralisme classiques, notamment la défense des libertés, de la vie privée et la réduction du contrôle gouvernemental. Des questions qui rentrent habituellement dans le domaine des libéraux démocrates, même si ces derniers se sont davantage axés sur les marchés financiers et les coupes budgétaires.

Le parti social-démocrate a, de son côté, fait savoir qu’il était prêt à explorer diverses options afin de trouver un terrain d’entente. « Sur le moyen terme, il va falloir nous habituer au fait qu’ils fassent partie de la scène politique » a annoncé ce week-end Andrea Nahles, le Secrétaire général du parti social-démocrate. « Nous pourrions engager des discussions ‘’détendues’’ avec les Pirates. Nous n’envisageons, en revanche, pas encore de négociations de coalition. »

La prochaine élection fédérale est prévue dans plus de 18 mois. Autant dire une éternité, à l’échelle de la politique et de ses multiples rebondissements. Les analystes estiment que le parti peut encore échouer« Il y a un vrai danger de désenchantement  dans le dur quotidien de la politique » explique Volker Kronenberg, professeur de sciences politiques à l’université de Bonn. « Ces nouvelles structures participatives ont toutes l’air excitantes et positives. Néanmoins, ils devront prouver qu’ils peuvent se débrouiller dans la routine du travail parlementaire. Ce sera l’épreuve décisive ».

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Il faudra donc user de compromis. Entre convaincre de nouveaux électeurs de leurs compétences et conserver les voix de ceux qui les soutiennent en signe de protestation, l’équilibre est fragile.
Et lorsqu’il s’agira d’élections fédérales, le Parti pirate devra obligatoirement tenir des positions fermes concernant les sujets comme la politique étrangère ou la sécurité. « Une fois qu’ils auront pris des engagements sur certaines questions, il ne seront plus aussi attrayants. Car ils devront nécessairement atténuer leur ligne contestataire » analyse Carsten Koschmieder.

De plus, on observe que les électeurs sont assez séduits par l’expérimentation de nouveaux partis lors des élections régionales. En revanche, ils sont souvent plus conservateurs, et donc plus enclins à se tourner vers les grands partis lors des votes nationaux. Une notion à prendre en compte, et qui pourrait affecter les chances des Pirates en 2013.

Global Post / Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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