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Presstalis doit-elle être sauvée par l’Etat ?

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Plusieurs articles s’en sont fait l’écho ces derniers jours : Presstalis, ex NMPP, serait dans une très grave situation économique.

Cette légendaire société, pilier de l’économie de la presse en France, va connaître dans les prochains mois une situation économique qui pourrait la conduire, selon différentes sources, si elle était une « entreprise comme les autres » à la cessation de paiements.

Le premier plan ne suffisait pas

Pour la seconde fois en deux ans l’Etat a décidé d’intervenir en envoyant l’un de ses meilleurs éléments : un brillant haut fonctionnaire.

Osons penser que sa mission se terminera par une lourde facture pour l’Etat… ainsi que nous l’avions anticipé au sortir du plan précédent.

Plutôt que de s’indigner, il est intéressant d’essayer de comprendre.

Une entreprise historiquement complexe

Cette société a été construite selon un étrange système coopératif au lendemain de la Libération. Etrange car il cumulait des principes parfaitement respectables (égalité et solidarité) alliés à une structure que l’on qualifiera de baroque (puisque gérée, moyennant finances, par le plus gros des éditeurs, Hachette devenu Lagardère) et a toujours souffert de nombreux maux : pesanteurs de règles coopératives donnant à chacun le même poids voire un droit de véto, clients éditeurs votant leurs propres tarifs, péréquation des coûts masquant les déficits de productivité ainsi que les problèmes, opérateur ponctionnant le système via une redevance juteuse dont on a parfois cherché la contrepartie, Conseil Supérieur à la composition fixée en 1947, crainte des réactions des ouvriers affiliés à l’une des branches du syndicat du Livre, etc.

Le résultat en a été un fonctionnement d’entreprise particulièrement complexe qui, malgré le talent de ses dirigeants, l’a empêchée de réfléchir stratégiquement à son avenir, de faire face à la chute de la demande et a conduit à une situation de crise longue, accompagnée de plans sociaux plus coûteux les uns que les autres (payés en grande partie par la collectivité), qui a culminé pensait-on en 2010 avec une intervention urgente et définitive… de l’Etat, qui a dépêché un conseiller d’Etat afin de trouver une solution. Une nouvelle gouvernance et de nouveaux statuts ont été proposés et approuvés par la profession : à l’été 2011 Presstalis est devenu une société « quasi-normale », une SAS possédée par deux coopératives (celle des magazines, pour 75 %, et celle des quotidiens pour 25 %) avec au passage injection d’argent frais.

Statuts et gouvernance normalisés ont constitué certainement une évolution positive et un point de passage obligé mais il ne semble pas, curieusement, que l’avenir de l’entreprise, son métier et son modèle aient focalisé l’attention malgré des pertes lourdes et récurrentes depuis plusieurs années.

Un problème structurel

Or si le cœur de l’activité continue à diminuer, ce qui semble de toute évidence devoir être le cas, rien n’a été prévu pour y faire face.

L’OJD – Office de justification de la diffusion – a malheureusement confirmé il y a quelques semaines que la presse dans son ensemble a perdu 15 % de ses volumes en 10 ans, selon une courbe régulière dont la pente a eu tendance à s’accentuer depuis 2007 (encore -2,26 % en 2011) et que parmi tous les circuits de distribution celui qui constitue l’activité de Presstalis a connu une évolution dramatiquement plus négative : -20 % en 5 ans.

Qui peut penser que cette courbe va se redresser ?

A ce problème structurel de baisse d’activité, s’en ajoutent deux :

–   la concurrence d’une deuxième messagerie, visiblement très agressive, qui se concentre sur la partie la plus rentable du marché (les magazines) et a su séduire plusieurs poids lourds (des titres de Mondadori, Le Point, etc…),

–   l’obligation de fait d’assurer la distribution des quotidiens nationaux, particulièrement coûteuse (et financée… par les magazines).

On aurait envie d’ajouter que l’entreprise est grevée de coûts énormes, notamment de personnel, ce qui en fait l’une des plus chères d’Europe (au détriment des marges des kiosquiers qui ont été laminées pour conserver une exploitation acceptable pour les éditeurs). En effet, on considère que l’ensemble de la chaîne logistique pourrait tourner avec des effectifs opérationnels réduits au minimum de moitié.

Ajoutons cependant que « l’outil » fonctionne remarquablement : sur un territoire aussi vaste il délivre chaque jour un service qui mérite une certaine admiration. Où que l’on soit en France la presse arrive au petit jour…

C’est précisément cette notion de « service » qui bascule facilement vers celle de « service public » et incite les acteurs à se tourner régulièrement, en cas de difficultés, vers l’Etat.

Prestalis doit-elle être sauvée par l’Etat ?

On peut s’en indigner et trouver que le service public a bon dos : certes la presse joue un rôle dans la démocratie mais, que l’on sache, les groupes de presse sont tous des entreprises privées. Même si les temps sont durs, elles ont gagné beaucoup d’argent en exerçant leur activité et se sont accommodées de la situation durant des décennies.

Ces groupes ont annoncé, sans trembler, il y a trois jours être prêts à apporter… 7 millions d’euros là où ils attendent 170 millions de la part de l’Etat !

On peut aussi s’indigner au passage du coût des plans sociaux passés et à venir, après « négociations ». Chaque plan sert en effet de référent pour le plan suivant et, sauf erreur de notre part, le dernier a coûté à la collectivité environ 230 000 € par licenciement, ce qui explique l’essentiel de la  colossale facture à venir puisque l’on parle cette fois de centaines d’emplois qu’il conviendrait de supprimer (sans parler du montant rapporté au salaire des personnels…).

Mais il me semble que la vraie question est ailleurs et devrait être posée à l’ensemble des dirigeants de la profession, et je me permets de suggérer à M. Rameix, le conseiller d’Etat qui vient d’être désigné comme nouveau médiateur, de la poser : où va l’entreprise ?

En effet, même si la mission de M. Rameix, qui lui a été confiée conjointement par le ministre de la Culture et celui des Finances, lui demande de statuer sur la trésorerie de l’entreprise à trois mois (sans commentaire…), il est également question de « plan stratégique ».

Faudra-t-il subventionner l’activité de l’entreprise ?

Or la stratégie de l’entreprise semble bien difficile à lire, malgré les différents cabinets de conseil et experts qui se sont succédé à son chevet, alors que les fondamentaux n’ont pas réellement changé depuis au moins cinq ans.

Certes rien ne s’est amélioré, mais tout ce qui frappe l’entreprise était largement prévisible.

La question est finalement assez simple : les messageries constituent une « machine logistique » superbe mais dimensionnée pour un niveau d’activité qui ne cesse de reculer.

Dans ce cas deux scénarios sont possibles, et peuvent se cumuler :

–   soit on réduit la « machine » pour l’adapter à une activité en baisse, mais on risque de se trouver avec des coûts fixes démesurés si l’on veut conserver le même service,

–   soit on ajoute d’autres activités permettant d’amortir les indispensables coûts fixes.

Seul le premier scénario a été envisagé par la profession, depuis de nombreuses années mais toujours en retard sur l’activité réelle (chaque plan, démesurément long à négocier, étant insuffisant dès sa mise en œuvre) et toujours… aux frais de la collectivité.

Cette fois encore doit-elle apporter 170 millions d’euros ?

Et même à ce prix qui peut garantir que ce plan sera le dernier ?

Ne faut-il pas plutôt chercher d’autres sources d’activité ?

Et donc sans repenser le métier des messageries, en ajoutant d’autres sources de revenus.

Il n’y a pas d’autre angle si l’on veut aborder la question et lui trouver une réponse.

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