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Pure player: que vaut un site d’information ?

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On apprend de différentes sources que Le Figaro serait sur le point de renoncer à racheter le site Atlantico.

Il s’y serait intéressé pour des raisons éditoriales mais aurait conclu de l’étude du dossier que non seulement les pertes cumulées des trois prochaines années pourraient se monter à sept millions d’euros (ce que le site ne prévoit pas) mais surtout qu’aucun modèle économique ne serait envisageable.

Au-delà de ce cas, que je ne connais pas précisément, et de ces informations non vérifiées, il est intéressant de réfléchir au modèle économique d’un site de ce type, Pure Player d’information.

Il me semble qu’un modèle économique existe mais qu’il ne peut passer que par l’optimisation de trois paramètres.

Optimiser les coûts de création et de production de contenus

Un site d’information « pure player » ne disposant donc pas d’une Marque établie doit trouver son public par la qualité et l’originalité de ses contenus, se différencier par une « Unique Selling Proposition » forte est le meilleur moyen de gagner un public.

C’est bien évidemment le cœur du projet.

Or, la contrepartie pour un site « parti de rien » et sans ressources illimitées est de réussir à produire ses contenus pour des coûts limités, à la mesure de ses moyens.

Il n’existe pas une infinité de solutions pour combiner qualité, originalité (bien souvent synonyme d’investigation en matière de journalisme) et coûts réduits, mais la technologie a permis d’en faire apparaître un en combinant modernité et principes presque aussi anciens que les journaux eux-mêmes.

En effet les journaux ont toujours fait appel à des contributeurs extérieurs pour alléger leurs coûts et renforcer leur expertise : pigistes, rémunérés à la prestation s’il s’agit de journalistes professionnels, ou « experts », bien souvent bénévoles.

C’est ce modèle que le Huffington Post a adapté et modernisé, aux États-Unis d’abord puis dans chaque pays où il ouvre un bureau.

Autour de journalistes professionnels d’excellent niveau mais en nombre réduit ils ont constitué un réseau « en étoile » de contributeurs de grande qualité, volontaires pour apporter leurs contributions sans être rémunérés.

La qualité des contenus du Huffington Post sur la vie politique américaine ou au moment du printemps arabe en 2011 a démontré dans les faits le niveau de résultat auquel on peut parvenir et mis un terme aux doutes qualitatifs.

La technologie a rendu possible ce « réseau social » organisé par le Huffington Post, qui n’en a pas le monopole puisque JOL Press a développé sa propre technologie, comparable dans son principe et tout aussi performante.

On peut se demander s’il est moralement acceptable que des contributions de qualité ne soient pas rémunérées. Certains l’ont contesté. La cour de New York a en tout cas répondu il y a quelques jours que ce principe était juridiquement valable puisque basé sur le volontariat.

Et les contributions ne semblent pas s’être taries.

Plus prosaïquement, on peut se demander si le système est durable.

Il est en effet possible qu’avec le temps les contributeurs demandent à être rétribués mais si c’était le cas on ne ferait que revenir au système des piges qui, dans son principe, se traduit par un allègement des charges des rédactions.

La clé de voûte du système est un  « noyau dur » de journalistes permanents, garants du professionnalisme du travail, en nombre qui peut être faible s’il est complété de contributeurs de qualité en réseau.

Diffuser les contenus

Or il me semble que les sites « Pure Player » d’information commettent quasiment tous une erreur : ils souhaitent assurer eux-mêmes la diffusion de leurs contenus sur les supports numériques.

Sans entrer dans les détails, il s’agit pourtant d’un véritable « métier », en évolution constante parce que les technologies évoluent et les usages se transforment à vitesse ultra-accélérée et parce que les règles de marketing permettant de renforcer et maintenir les audiences sont elles aussi nouvelles et en mutation.

Soyons clairs : ce métier n’est pas celui des « Pure Player » de l’information, qui sont avant tout des créateurs de contenus journalistiques.

Peut-il le devenir ? J’en doute, tant il est éloigné de leurs bases et tant il répond à une course à l’innovation permanente.

Je leur conseillerais d’être très pragmatiques : il vaut mieux faire faire par d’autres ce métier et se concentrer sur leur savoir-faire.

À vouloir le faire eux-mêmes ils se concentrent la plupart du temps sur un site web, souvent éloigné des derniers canons de la modernité, et surtout ils passent à côté des nouveaux usages de l’Internet.

Aujourd’hui, l’accès aux contenus se fait pourtant de moins en moins en arrivant directement sur un site, tous les internautes le savent, surtout ceux de la génération numérique.

Affaire de spécialistes, à l’affût de toutes les évolutions.

Résultat : des audiences des « Pure Player » de l’information qui sans être indigentes restent limitées.

C’est aussi ce qu’a compris le Huffington Post en s’alliant (dans d’excellentes conditions financières…) à AOL qui lui apporte désormais sa puissance et son savoir-faire pour diffuser ses contenus, sur toutes les plateformes existantes (et à venir).

Par ses propres moyens le « HufPost  » n’y serait jamais parvenu aussi bien. Arianna Huffington l’a reconnu.

Troisième volet : la monétisation

Comment transformer public et audiences en moyens financiers ?

Certes, il est toujours possible de faire payer les contenus par les utilisateurs des sites d’information, et je pense que ce raisonnement est juste et reconnait la valeur de leurs contenus.

De même qu’en presse écrite il existe un Canard Enchaîné sans publicité, Mediapart revendique une rentabilité satisfaisante et constitue l’exemple des tenants de cette voie, mais ce modèle « payant seulement » repose sur moins de 100 000 abonnés et limite drastiquement l’audience du site.

Un modèle uniquement payant signifie sur le Web une audience nécessairement réduite.

Pour l’essentiel, les sites « Pure Player » d’information devront combiner les revenus issus de leur public avec ceux issus d’annonceurs publicitaires.

Les méthodes qui fonctionnent

Dans ce domaine, les méthodes qui fonctionnent sur le numérique existent mais sont très éloignées des pratiques des médias classiques.

Ceux qui viennent de cette culture et essaient d’y transférer les méthodes qu’ils connaissent sont déphasés.

Deux exemples permettent de mieux comprendre :

–  dans le monde numérique, on « empile les cents et pas les dollars », c’est-à-dire que les prix unitaires sont faibles mais compensés par des quantités très supérieures à ce que les médias classiques vendent (or les acteurs des médias classiques continuent à déplorer que leurs revenus unitaires sont souvent divisés par dix, ce qui, en termes de valeur faciale, ne signifie en rien que leurs revenus totaux seront divisés par dix),

–  dans le monde numérique, l’essentiel des revenus reposera de plus en plus sur une analyse des données consommateurs (les « datas ») extraordinairement fine, permettant à la fois de prévoir les comportements des consommateurs et de mesurer les résultats des actions de communication. Cette analyse demande une approche et des moyens radicalement nouveaux, à la portée de spécialistes seulement.

Là aussi, si les « Pure Player » d’information veulent atteindre des revenus leur permettant de rémunérer leurs contributeurs et de garantir leur indépendance, ils devraient selon moi se tourner vers des spécialistes, des « professionnels de la monétisation d’audiences numériques ».

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