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Sarajevo se souvient de son séjour en enfer

[image:1,l]Entre la fin de l’hiver et le début du printemps 1992, les derniers rêves de pays s’estompaient et, après la Croatie, c’était au tour de la Bosnie-Herzégovine de s’enfoncer dans la guerre. L’arrêt de mort de la Yougoslavie devait être écrit en lettres de sang…

La course à la guerre

Le 1er mars 1992, les Musulmans et les Croates – majoritaires – disent « oui » à l’indépendance lors d’un référendum boycotté par les Serbes.

Le 2 mars 1992, des forces paramilitaires serbes établissent des barricades à proximité du Parlement de Sarajevo. Les menaces de coup militaire sont contenues par des milliers d’habitants de Sarajevo qui descendent dans les rues manifester, malgré la présence des soldats en armes.

Le 3 mars 1992, la République de Bosnie et Herzégovine déclare son indépendance de la Yougoslavie. Des combats sporadiques éclatent entre des Serbes et les forces gouvernementales sur l’ensemble du territoire. Des incidents similaires se produisent dans les semaines qui suivent.

Le 5 avril, des policiers serbes attaquent des commissariats de police puis l’école de formation du ministère de l’Intérieur. Dans cette attaque, deux officiers et un civil sont tués. La présidence de Bosnie et Herzégovine annonce son intention de déclarer l’état d’urgence. Des paramilitaires serbes réitèrent leurs actions précédentes à Sarajevo. Une marche pacifique rassemble de 50.000 à 100.000 personnes, des représentants de toutes les communautés. Alors que la foule approche du Parlement, des snipers tirent et tuent deux jeunes femmes sur le pont Vrbanja : Suada Dilberovic et Olga Sucic sont considérées comme les deux premières victimes du siège.

Le 6 avril, les douze ministres des Affaires étrangères de la Communauté européenne annoncent que leurs pays reconnaissent l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Les États-Unis suivent le lendemain. Avec la reconnaissance internationale, la guerre éclate. L’armée populaire yougoslave entre en action aux côtés des Serbes et, face à des troupes bosniaques, mal entrainées et mal équipées, prend le contrôle d’une large partie du territoire. Le gouvernement bosniaque et son chef Alija Izetbegovic avaient espéré qu’une force internationale de maintien de la paix soit déployée immédiatement. Il n’en sera rien et, d’ici à la fin avril, le siège de Sarajevo, un blocus complet, était effectif.

Dans Sarajevo assiégée…

À l’intérieur de la ville, les Serbes contrôlent l’essentiel des positions militaires ainsi que la fourniture d’armes. Des snipers tirent depuis les immeubles sur les civils s’aventurant dans la rue. Des panneaux Pazite, Snajper! (« Attention, snipers ! ») sont installés aux carrefours les plus dangereux et l’avenue du maréchal Tito, la grande artère reliant Sarajevo à sa banlieue, et notamment à Dobrinja, le village des Jeux Olympiques de 1984, prend le surnom de Snipers Alley, l’Allée des snipers.

Des offensives serbes ont été conduites pour prendre le contrôle de certains quartiers, en particulier dans le Novo Sarajevo, le nouveau Sarajevo. Tout au long du conflit, la ligne de front ne cessera d’évoluer, d’une rue à une autre. La guerre est partout, jusque dans la plus profonde intimité des habitants de la ville.

Pire que Beyrouth dans les années 1980

Les combats sont violents et les atrocités quotidiennes. Depuis les faubourgs, en hauteur, de la ville, les forces serbes bombardent en continue les troupes gouvernementales. En moyenne, il y aurait eu 329 obus tirés sur la ville chaque jour du siège – avec un record de 3 777 le 22 juillet 1993. Les structures de la ville ont été profondément touchées. En septembre 1993, il était estimé que tous les bâtiments de Sarajevo avaient été endommagés et 35.000 étaient complètement détruits – parmi lesquels des hôpitaux, des écoles, les centres de médias, mais aussi le siège de la présidence et la bibliothèque nationale.

D’après les observateurs, la ville est plus détruite que Beyrouth au Liban ne l’a été sous les obus syriens dans les années 1980.

Plus de 10 000 morts lors de ce siège et 100 000 en trois ans de guerre

11 541, c’est le nombre officiel de victimes du siège de Sarajevo. La guerre dans son ensemble a fait environ 100 000 morts et plus de 2,2 millions de réfugiés, soit la moitié de la population. La fin du conflit sera marquée par la tuerie de Srebrenica, où environ 8 000 Musulmans ont été tués en juillet 1995 par les forces serbes. Massacre qualifié de génocide par la justice internationale. 

Quatre mois après, arraché sous pression internationale, l’accord de paix de Dayton aux États-Unis a mis un terme au conflit, mais a consacré la division de la Bosnie en deux entités, l’une serbe et l’autre croato-musulmane, chacune avec un haut degré d’autonomie et unies par de faibles institutions centrales.

La Bosnie, toujours prisonnière des forces nationalistes

« Les blessures de la guerre sont profondément ancrées dans les relations entre les trois communautés », musulmane, serbe et croate qui se sont fait la guerre, fait valoir Raif Dizdarevic, un des derniers présidents de la fédération yougoslave, avant son éclatement sanglant dans les années 1990. « La Bosnie est prisonnière des forces nationalistes, les divisions se creusent et le pays ne fait que sombrer », déplore Raif Dizdarevic.

Le dialogue entre les entités n’existe pas, elles sont divisées par un mur. Les crises politiques succèdent aux crises politiques, elles plombent l’avenir du pays malgré les ambitions affichées d’une adhésion à l’Union européenne.

Vingt ans après le début du siège de Sarajevo, la Bosnie est l’un des pays les plus pauvres d’Europele chômage frappe plus de 40% de ses 3,8 millions d’habitants, dont un sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté, selon l’ONU.

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