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Sur la voie d’une réelle démocratie

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[image:1,l]Pour la plupart des gens, les îles Fidji sont synonymes de vacances au soleil, farniente dans une nature luxuriante, ou plus terre-à-terre, à de bouteilles d’eau en plastique au packaging particulièrement esthétique. La réalité, pour près d’un million de Fidjiens, est loin d’être aussi idyllique. Les tensions raciales, la corruption et l’instabilité politique ont conduit à quatre coups d’État depuis 1970, date de l’indépendance d’avec la Grande Bretagne. La situation commence tout juste à s’améliorer. 

Un gouvernement représentatif de tous les Fidjiens

En janvier dernier, la loi martiale, instaurée en 2009 par l’actuel Premier ministre, le « Commodore » Josaia Voreqe Frank Bainimarama, a été levée. Le militaire, qui a pris le pouvoir, en 2006, suite à un putsch, a annoncé qu’il souhaitait plus que tout un gouvernement démocratique, représentatif de tous les Fidjiens. Aussi étrange que cela puisse paraître, il a eu l’air de penser ce qu’il disait.

Une élite à l’écoute

Quand il a déclamé son discours, depuis son bureau de Suva, la capitale, une foule de Fidjien– certains pieds nus – se sont rassemblés pour l’écouter. « Jusqu’ici, les citoyens moyens n’avaient pas accès aux personnalités haut placées », se souvient le procureur des Fidji, Aiyaz Sayed-Khaiyum. « À présent, ils peuvent s’entretenir directement avec les officiels ». « S’ils veulent parler de leurs problèmes, de ce qui les concerne, alors ils prennent rendez-vous, ou se présentent directement pour échanger avec le Premier ministre ou les autres membres du gouvernement », explique-t-il.

C’est noble d’aspirer à une vraie démocratie. C’est ambitieux aussi. Josaia Voreqe Frank Bainimarama possède tous les pouvoirs dans l’île. Ce n’est pas pour rien que les médias la surnomment « République de Bainimarama  ». 

Un pas vers la démocratie

Supprimer la loi martiale a été une avancée substantielle. Sous ce régime, les journaux étaient soumis à la censure, certains groupes n’étaient pas autorisés à se rassembler et la police s’en prenait aux civils, aux journalistes et universitaires qui osaient critiquer publiquement le gouvernement.

Interviewé par le Global PostJosaia Voreqe Frank Bainimarama est revenu sur les réformes qu’il a initiées. Depuis 2006, il a doté les 300 îles qui composent la République des Fidji de meilleures infrastructures, a donné aux enfants un réel accès à l’éducation, insisté pour que la police intervienne davantage dans les cas de violence domestique. Il a également abaissé l’âge du droit de vote de 21 à 18 ans

Les membres du gouvernement sont allés à la rencontre de la population à plusieurs reprises, au cours du ces derniers mois. En 2011, deux réunions ont permis à la population de s’entretenir avec les membres du gouvernement au sujet de la Constitution

La commission constituante, présidée par le spécialiste kényan du droit constitutionnel, Yash Ghai, inclut également Taufa Vakatale, la première femme Premier ministre adjoint des Fidji, l’ancien parlementaire fidjien Satendra Nandan, et Christina Murray, experte Sud-africaine du droit constitutionnel et des Droits de l’Homme. Une équipe des Nations-Unies a, quant à elle, été chargée de veiller au bon déroulement des élections législatives prévues pour septembre 2014.

Une « diplomatie de marins d’eau douce »

La mise en place d’une loi martiale a conduit l’Australie et la Nouvelle-Zélande à isoler les Fidji en leur imposant des sanctions. Cependant, avec la récente décision d’abolir cette loi, les deux pays vont devoir se montrer plus indulgents. « L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont tenté de forcer les Fidji à revenir à la démocratie [en lui imposant, ndrl] de lourdes sanctions [et en rompant, ndlr] les relations diplomatiques » a écrit Eni Faleomavaega, le représentant des Samoa américaines, au Congrès des États-Unis, dans un récent éditorial. « Les États-Unis ne peuvent plus compter sur une diplomatie de marins d’eau douce, qui cherche à forcer la démocratie, par l’isolement. La force est contraire à l’ordre de la démocratie et contraire à notre capacité naturelle à choisir ».

Conflits ethniques et inégalités sociales

D’importantes inégalités sociales sont à l’origine de l’instabilité politique des îles Fidji. Elles alimentent, ce que certains critiques appellent, « le cycle des coups d’États ». Les coups d’États n’ont jamais été véritablement violents, même si, en 2000, les militants ont retenu le Premier ministre Indien du pays en otage pendant 56 jours. Il y a dans la République des Fidji, un conflit entre des Fidjiens indigènes et des Indo-Fidjiens, qui représentent presque 40% de la population. La tension remonte à la fin du XIXe siècle, lorsque les Britanniques ont fait venir des Indiens pour travailler dans les plantations de canne à sucre. Depuis l’indépendance, le pays a eu trois Constitutions. La plus récente date de 1997 et donne la majorité des sièges parlementaires aux Fidjiens indigènes. « Même si vous étiez d’origine européenne et que vous étiez installés ici depuis 5 générations, vous ne vous considéreriez pas comme un Fidjien » explique le procureur Sayed-Khaiyum.

« Une démocratie guidée par les militaires »

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Rowan Callick, rédacteur en chef du  journal The Australian pour la zone Asie-Pacifique, insiste sur l’importance des élections à venir. Depuis que la Constitution a été suspendue, en 2009, il n’y a ni Parlement, ni Congrès. Le pays a été dirigé par une série de décrets, qui ont été décidés sans discussions préalables. « Ils font des décrets mais ne connaissent rien à l’appareil administratif. C’est ce qui arrive quand on veut diriger à deux : on fait des erreurs », estime Rowan Callick.

« [Le gouvernement, ndlr] a de vraies bonnes intentions. Ils ont amélioré le quotidien en sanctionnant la violence domestique, en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant le système éducatif » estime Jenny Hayward-Jones, directrice de la Fondation Myers pour la Mélanésie, un groupe de réflexions australien. « Ils envisagent sérieusement une démocratie, mais je pense que Josaia Voreqe Frank Bainimarama veut quelque chose qui ressemble à ce que la Turquie a connu. Une démocratie guidée ou tolérée par les militaires » continue-t-elle.

Des réformes pour une société plus juste

Josaia Voreqe Frank Bainimarama affirme comprendre les critiques de la communauté internationale, quand il a pris le pouvoir en 2006. Mais il insiste sur le fait que ses réformes ont été positives. « Nous nous sommes débarrassés de notre gouvernement et c’était contraire à la Constitution » concède-t-il. « Seulement, de par le monde, beaucoup de gens ne savent pas ce qui a pu se passer dans notre pays pendant des décennies. Pour les gens comme vous, les Fidji sont un paradis, avec la mer, le soleil, le sable. Vous ignorez tout de la corruption et de l’instabilité qui y règnent »« Nous avons fait des réformes parce que nous voulions une société plus juste » argumente le Premier ministre. « Nous voulions que les inégalités cessent.»

Sharon S. Johns, secrétaire du ministère de l’Information affirme, quant à lui, qu’il n’y a aucune censure« Le gouvernement fidjien ne relit pas les articles avant qu’ils ne soient publiés. Pas plus qu’il n’approuve ou ne désapprouve ce qui passe à la télé » assure-t-il. 

Une absence de leaders politiques

D’après Rowan Callick, la levée de la loi martiale ne suffira pas à redonner confiance à la population. L’autre inquiétude, c’est que, même s’il y a des élections, il y a un manque de leaders politiques. Depuis le coup d’État, personne n’a pu exercer le pouvoir et les rumeurs disent que le gouvernement empêchera les anciens leaders politiques de concourir.

Mick Beddoes, chef de l’opposition en 2006, au moment du coup d’État, admet qu’il ne sait pas s’il sera autorisé à se présenter aux élections. « Quand il est question du futur proche, ici, aux Fidji, tout ce que l’on peut faire c’est espérer le meilleur, et se préparer au pire ».

Les insulaires ont « vu le changement »

Malgré les critiques des journalistes étrangers, un sondage, réalisé par l’institut australien Lowy, montre que 66% des Fidjiens approuvent la politique de Bainimarama. « Je pense que c’est parce que leur vie quotidienne c’est beaucoup améliorée » avance Josaia Voreqe Frank Bainimarama, tandis que son IPhone retentit. « Ils ont vu le changement. Nous avons construit des routes et des ponts pour amener l’eau et l’électricité à des régions qui n’avaient jamais connu ça auparavant. »

Joshua Momolevu, un chauffeur de taxi de l’île de Denarau, a personnellement bénéficié de ces réformes. Il explique que le Premier ministre s’est rendu dans les îles les plus éloignées des Fidji, pour demander aux gens ce qu’ils désiraient. Aujourd’hui, la plupart de ces régions disposent d’eau courante et de moyens de télécommunications. Alors, à la communauté internationale, qui juge parfois sévèrement les Fidji, Joshua Momolevu a un message à transmettre : « Je pense que vous devriez demander aux locaux comment ils se sentent avant de tirer des conclusions trop hâtives ».

Global Post/Adaptation Anaïs Leleux-JOL Press

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