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Une grève dont vous n’avez pas entendu parler

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[image:1,l] Au huitième jour de grève de la faim, Mijanur Rahaman a perdu presque 7 kilos, et sa tension a chuté dangereusement. « Je me sens très faible » dit-il, constatant l’évidence.

Rahaman et près d’une centaine de personnes (comprenant femmes et enfants) militent pour une plus grande clarté sur le plan administrative au sein des enclaves de la frontière Inde-Bangladesh.
Officiellement reconnues comme « possessions adverse »et plus familièrement appelées les « Chitmahals » ou « palaces de papier », les villages situés à la frontière abritent plus de 51 000 individus, coincés du mauvais côté depuis des générations.

Un problème ancien

En théorie, les habitants des 102 enclaves à l’intérieur du Bangladesh détiennent la nationalité indienne. Ceux qui résident dans les 71 enclaves situées en Inde, sont en revanche censés être citoyens du Bangladesh. Un casse-tête administratif pour ces deux pays qui ont fini par trancher : les habitants des enclaves seront apatrides. C’est ainsi que débute le calvaire de cette frange de la population dépossédée de ses droits civiques, ne disposant d’aucun accès aux services publics tels que l’école ou l’hôpital, ni même de l’électricité.

Ils se retrouvent dans l’incapacité de quitter leurs villages faute d’être taxés de clandestins tentant de pénétrer illégalement sur le territoire. Pour accéder à l’électricité, ils doivent constamment graisser la patte des agents locaux, pour bénéficier d’une éducation ou de soins, obtenir un emploi, ils cachent nécessairement leurs identités.

« Si on amène quelqu’un à l’hôpital, il demande maintenant les cartes d’identité. Quand on ne peut pas leur montrer, ils nous laissent souffrir à l’extérieur du bâtiment. Notre seule alternative est d’aller voir un guérisseur » se plaint Mokul Hossain, résident de l’enclave de Dashiar Chara.
Malgré le désespoir qui les mène à cette grève de la faim, ils parviennent difficilement à faire entendre leurs revendications. Leur détresse n’est pas relayée par les médias locaux et passe également inaperçue à l’étranger.

Sans citoyenneté, les résidents de ces enclaves ont le sentiment que leur sort est scellé. Pourtant, ils combattent pour leurs droits depuis 1947.

La lutte incessante de ces habitants met en lumière les relations houleuses entre l’Inde et le Bangladesh. Des rapports qui ont toujours été très tendus, malgré une brève amélioration lorsque, en 1971, l’Inde apporta son aide au Bangladesh pour que le pays obtienne son indépendance du Pakistan.

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Une tradition indienne

 

La grève de la faim est une grande tradition indienne. Lors de son combat pour l’indépendance, Mahatma Gandhi y eu souvent recours afin de négocier des compromis avec les colons britanniques. Une technique qui irritait fortement Winston Churchill, si bien qu’il envoya un télégramme demandant « pourquoi Gandhi n’était pas encore mort ? »

Plus récemment, la grève de la faim d’Anna Hazare, une septuagénaire militante anti-corruption, provoqua l’indignation dans l’ensemble du pays, et força le gouvernement à nommer un médiateur chargé de lutter contre la corruption.

Les habitants des enclaves ont entrepris de suivre cet ultime recours pour que leurs souffrances soient entendues.

Initiée le 18 mars dernier, cette grève de la faim a conduit cinq manifestants à l’hôpital. Pourtant leur action a reçu une couverture médiatique minimale en comparaison avec la tollé soulevé par le cas Hazare.

Rahaman, qui vit du côté indien, est amère : « Il n’y a pas une personne sensé dans ce gouvernement. Ils sont tous stupides »

Mamata Banerjee, ministre de l’État indien du Bengale Occidental, s’attire les foudres de ceux qui tentent de trouver une solution au problème. Le Bengale occidental, où se trouvent toutes les enclaves du Bangladesh est soupçonné de s’opposer à l’échange des terres (qui pourrait être une solution viable) car il s’inquiète des changements électoraux que cela pourrait provoquer.

L’Inde se voit comme une sorte de grand frère vis-à-vis de la jeune nation, mais les bangladais considèrent davantage ce géant d’Asie du Sud comme un tyran. Dans la même veine, les Indiens se méfient du Bangladesh qu’ils estiment être une source illégale d’immigration de masse.

La difficulté qu’ont ces deux pays à régler leurs problèmes de frontières nous interroge sur leur habilité à résoudre des conflits plus complexes, notamment concernant le commerce et les ressources naturelles.

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Garder espoir

Le phénomène des enclaves et les difficultés administratives qui s’en suivent ne sont pas spécifiques à l’Inde et au Bangladech.
En novembre 2011, Le blog du New York Times comparait le cas des enclaves indiennes à celui de la ville de Baarle, une ville partagée entre les Pays-Bas et la Belgique.

La ville était décrite comme une « attraction à touristes », car les commerces sur la frontière déplacent leurs devantures à l’endroit où les taxes sont les moins élevées. Selon le bloggeur la situation de Baarle est idyllique comparée à celle de l’Inde qui n’aurait pas pu se doter d’un « pire » scénario.

Un espoir reste toutefois permis. Le 26 mars dernier, lors de la fête d’indépendance du Bangladesh, certains habitants résidents sous enclave indienne ont arboré le drapeau du Bangladesh. Une façon de montrer leur appartenance à ce pays dans lequel ils vivent depuis toujours. Seraient-ce les premiers jalons d’une trêve ? 

Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

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