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Ces drogués portoricains en quête de rédemption

[image:1,l]À 50 ans, Eduardo Rosa s’est retrouvé sans domicile. Après avoir découvert qu’il prenait du crack, son frère l’a jeté à la rue. Il a alors commencé à errer dans les rues de Vega Alta, à Porto Rico, abandonné de tous. Sa seule planche de salut, un contact. Le nom d’un homme, vivant à 2 400 km de là, pouvant certainement le sauver. « Je veux voir celui qu’ils appellent Palmares » a expliqué le SDF à l’administration locale qui lui offrait son aide. Avec leur soutien, il a pu embarquer sur un vol à destination de New York.

Migrer pour trouver la rédemption

Pendant plus d’un siècle, de nombreux Portoricains ont quitté leur île pour New York, dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. Depuis peu, la ville est aussi devenue un passage obligé pour tous les drogués désireux de soigner leurs addictions. Dans les villes autour de Porto Rico, le nom de Julio Palmares, un pasteur du Bronx, est devenu synonyme de rédemption. Les autorités de l’île ont pris pour habitude de lui envoyer les drogués qu’ils n’arrivent plus à aider.

Julio Palmares a créé le Ministerio Renovacion Cristiana, le Ministère de la rénovation chrétienne, en 1999. La cure de désintoxication qu’il propose repose sur une discipline personnelle très stricte et une dévotion sans failles à Jésus Christ, afin d’en finir avec les addictions.  

Le pasteur est décédé en mars dernier, à l’âge de 65 ans. Il laisse derrière lui, femme et enfants, mais aussi des milliers de Portoricains, des hommes principalement, qu’il a aidé à sortir de l’enfer de la drogue.

Eduardo Rosa vit toujours au « ministère », dont la gestion a été reprise par Rafael Concepcion, un ancien toxicomane devenu disciple de Julio Palmares« Je vis ici, et je ne veux pas rentrer chez moi » explique Eduardo Rosa. « Je suis tellement reconnaissant de ce changement dans ma vie. »

La plupart des Portoricains aidés par Julio Palmares sont restés dans le BronxJeffry Salgado est arrivé en 2001, en même temps que 15 autres habitants de Dorado, une petite ville du nord de Porto Rico. Un jour, pour se procurer de l’héroïne, Jeffry Salgado a volé les bombonnes d’oxygène de sa grand-mère, et les a revendues. « Je savais qu’elle pouvait mourir, mais à ce moment, je n’en avais rien à faire », regrette-t-il. À présent, il porte une barbe bien taillée, des vêtements propres et tendance. Il prend des cours d’anglais, vit avec sa femme, et aspire à devenir mécanicien.

Une apparition divine à l’origine du programme

C’est au cours d’un meeting, l’an dernier, que les disciples de Julio Palmares ont appris l’état de santé du pasteur. L’homme d’Église, diminué, avait besoin d’une canne pour se déplacer et d’un soutien pour rejoindre son siège.

Julio Palmares n’était pas dupe. Il a admis très rapidement que son programme n’était pas destiné à tous. Certains drogués qu’il a tenté d’aider, ont fini dans les rues du Bronx« Il a fallu que j’arrête, parce que c’était comme nettoyer Porto Rico pour mieux salir New York » a expliqué le pasteur, l’hiver dernier. Le pasteur a passé quelques temps en prison. Il a été lui-même accro à différentes drogues. Une apparition divine, visitant sa petite cellule, lui a permis de surmonter ses addictions. L’idée lui était alors venue de venir en aide aux autres drogués. « C’est Dieu qui m’a soufflé ce programme » disait-il. « Si j’ai pu changer, ils le peuvent aussi. Je suis là pour leur montrer le chemin. »

Son ministère bénéficie aujourd’hui de l’aide de la mairie de New York. Chaque mois, il recevait de l’administration 215 dollars par patient. Deux douzaines d’hommes se partagent 4 chambres et 2 salles de bains. Ils passent leurs journées ensemble, à prier, principalement. À la prière du matin succèdent le petit déjeuner, et les tâches ménagères. Puis sont organisées des séances de groupe, dans lesquelles les patients apprennent à résister à la tentation. Ils réfléchissent, et ils se repentent.

L’addiction, un problème spirituel

Le traitement « évangélique » contre la drogue n’est pas récent aux États-Unis, mais Julio Palmares y a apporté sa touche portoricaine : insister sur l’idée que la prière intensive et la privation sont le seul chemin vers la guérison. Dans la loi territoriale de l’île, figure d’ailleurs l’idée que l’addiction est un problème spirituel et non pas mental. À Porto Rico, il n’y a pas de traitement médical à l’addiction.

« Beaucoup de traitement antidrogues que l’on administre à Porto Rico ne reposent sur aucune étude scientifique. Leur efficacité n’a donc pas été prouvée » regrette le docteur Carmen Albizu-Garcia, professeur à l’école de Santé public de Porto Rico.

Le programme de Julio Palmares n’a pas fait que des heureux. Quand Alfonso Casta est arrivé au « ministère », en 2003, le bâtiment n’était pas chauffé, cafards et souris, et autres nuisibles occupaient les lieux et circulaient en toute liberté. Le nouvel arrivé n’a tenu qu’une semaine avant de retourner à la rue. Il estime aujourd’hui avoir été « arnaqué ».

La religion pour oppresser les gens

Louis Barrios, prêtre catholique et professeur à l’université John Jay, a visité le « ministère » en 2007. Il se souvient de l’état de délabrement des lieux. Et accuse Julio Palmares d’avoir profité du désespoir de ses disciples. « L’idée principale du programme était de réduire leur égo à néant, pour les faire renaître », explique-t-il. « C’est se servir de la religion pour oppresser les gens ».

Julio Palmares n’a jamais nié être « un dur ». Si quelqu’un ramenait de l’alcool ou des drogues à la « maison », lui et les autres résidents se rassemblaient, le sermonnaient sévèrement, et l’humiliaient. Un jour, reconnaît Even Salgado, le pasteur est allé trop loin. Il a expulsé un résident en plein hiver, alors qu’il neigeait, juste parce qu’il avait trouvé une canette de bière dans sa chambre.

« Je l’aimais vraiment. Mais le problème avec Julio Palmares, c’est qu’il faut faire ce qu’il dit, quand il le dit » explique Even Salgado« S’il estime que quelque chose est rouge, alors que c’est bleu, et bien non. C’est rouge. Parce qu’il en a décidé ainsi. »

Rafael Concepcion, 53 ans, était lui aussi dépendant. Il a fini par être embauché par le ministère qui l’avait aidé. Aujourd’hui, il dirige ce centre.

Dans les mois qui ont précédé la mort de Julio Palmares, il s’est préparé pour le jour où son mentor ne serait plus. Il était convaincu qu’un des patients devrait continuer son œuvre.

« Il a imaginé un programme strict parce qu’il avait un fort caractère » explique Rafael Conception« J’ai pratiquement copié son style. C’est comme ça que je fais. Juste comme il me l’a montré. »

Global post/ Adaptation Anaïs Leleux / Jol Press

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