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D. Karyotis: «La finance au service des entreprises»

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JOL Press : en préambule, pouvez-vous nous présenter la banque Palatine que vous présidez ?

Daniel Karyotis : notre banque a une double spécificité. D’abord, elle est l’une des banques les plus anciennes de la place, avec plus de 200 ans d’histoire. Ensuite, la banque Palatine est une banque nationale, de taille modeste, qui couvre pourtant l’intégralité des métiers d’une banque traditionnelle : nous sommes spécialisés dans le domaine du financement des entreprises, mais on accompagne aussi sur un plan patrimonial les dirigeants d’entreprises, on a une activité sur les grands comptes, sur les administrateurs de biens… Nous avons la même complétude qu’une grande banque nationale, avec tous les avantages, et sans les inconvénients.

Vous appartenez tout de même à un grand groupe, la BPCE…

Daniel Karyotis : nous sommes  en effet une filiale de BPCE (Banques Populaires Caisses d’Epargne) : c’est un élément de force, parce que, quand on regarde la solidité d’une entreprise on regarde la qualité de l’actionnaire, et nous faisons partie d’un groupe de très grande qualité, ce qui est un réel élément de force et de robustesse. Mais Palatine est un aiguillon un peu particulier au sein de la galaxie BPCE, la vedette rapide du groupe. BPCE est comme un grand porte-avions, et nous sommes le plus original de la flotte.

Comment expliquez-vous que votre banque ait bien traversé les remous des crises récentes ?

Daniel Karyotis : nous traversons une période unique, c’est la première fois dans l’histoire moderne des économies que les crises se succèdent aussi rapidement : crise financière en 2008, crise économique en 2009, crise financière des dettes souveraines en 2011, à nouveau des bourrasques en 2012, et je suis intimement persuadé qu’il va falloir s’y habituer. L’environnement est complexe et dur, mais une banque peut réussir en étant arcboutée sur son « business model ». Notre métier est relativement simple à pratiquer : financer l’économie réelle. En ce moment, il y a beaucoup de débats sur les banques, sur le marché financier, notamment sur la question de la suppression des activités spéculatives. Nous ne sommes pas concernés par cela. Le financement des entreprises est la colonne vertébrale de la banque. Et une des réussites de la banque a été, malgré la violence des chocs, de ne jamais s’être éloignée de son business model.  Même en pleine crise, lorsque l’économie française s’est arrêtée, en 2009, et que des entreprises ont perdu jusqu’à 40% de chiffre d’affaires en trois mois, nous avons tenu, convaincus que notre modèle était le bon. Nous avons aussi tenu grâce à nos solides fonds propres. Donc à partir du moment où la banque peut s’appuyer sur des fondamentaux financiers solides, je pense qu’elle a la capacité, quel que soit l’environnement, d’accompagner les entreprises. Et cela montre aussi que l’on peut être rentable en ne faisant que son métier de banquier. Il n’y a pas de fatalité pour une banque que d’aller chercher de la rentabilité sur les marchés financiers pour gagner sa vie.

Pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?

Daniel Karyotis : oui, en fait j’essayais d’éviter de vous donner des chiffres ! La banque Palatine aujourd’hui, c’est un fonds de commerce de 9000 entreprises, 70 000 clients particuliers, un chiffre d’affaires autour de 300 millions d’euros, un résultat net en 2011 de 61 millions d’euros, et ce qui est intéressent, c’est qu’entre 2007 et 2011, plus de 1000 nouvelles entreprises sont devenues clients de la banque. Donc malgré un contexte compliqué, notre modèle répond aux attentes de nos clients.

Est-ce que la taille de la banque Palatine serait le secret de sa réussite ? Serait-ce une piste de réflexion dans la remise en question du système bancaire ?

Daniel Karyotis : je ne partirai pas du modèle de Palatine pour dire que le bon modèle est celui d’une banque à taille intermédiaire, mais à la lumière de nos résultats, on voit qu’il faut toutes les tailles de banque. Avant la crise, on pouvait imaginer que seules les grandes banques « universelles » avaient une capacité à grandir dans notre environnement économique. La crise rebat les cartes : à côté des grandes banques, dont il ne faut pas remettre en cause l’existence et l’utilité, il faut des banques à taille humaine, car leur proximité, et leur capacité à faire du sur-mesure pour leurs clients est aujourd’hui un outil de différenciation. Les deux sont complémentaires, contrairement à ce qu’on disait il y a 5 ans.

Vous êtes donc un grand défenseur des PME et ETI…

Daniel Karyotis : j’ai écrit un livre sur ce sujet : la France doit modifier son modèle économique. Il a très bien fonctionné de 1945 à 2005, soit cinquante ans de croissance économique. Ce modèle reposait sur un Etat très puissant, très présent et sur la volonté de faire émerger des grands groupes industriels dans tous les secteurs d’activité. Nous y sommes parvenus, mais c’était pertinent quand il y avait 4, 5 puissances, principalement européennes, ainsi que les Etats-Unis et le Japon. Le monde a changé brutalement, et ce, avant la crise, c’est-à-dire il y a plus de 10 ans. Il y a aujourd’hui de nouveaux pays développés qui deviennent de grandes puissances. Donc il faut faire en sorte qu’en France, à côté des grandes entreprises, nous ayons un tissu d’entreprises de taille plus intermédiaire, plus flexibles par rapport à un environnement qui bouge tous les 3 mois. C’est la force de l’Allemagne, qui a plus de 15 000 ETI (Entreprises à Taille Intermédiaire). Le Royaume-Uni en a 14 000, l’Italie 11000, alors que la France n’en a que 4 500. C’est un enjeu majeur pour que notre pays pèse dans l’environnement économique à horizon 25 ans. Sinon, la France prend le risque de descendre en 2e division. Je ne connais pas les échéances, dans 10, 15, 20 ans… mais on peut voir la force avec laquelle certains pays arrivent sur des secteurs d’activité sur lesquels ils n’étaient pas il y a 10 ans.

Voulez-vous dire que les PME et ETI offrent une plus grande réactivité à l’innovation de par leur structure à taille humaine ?

Daniel Karyotis : oui, et elles peuvent se spécialiser aussi. Dans une entreprise de 500 ou 1000 salariés, sur une niche d’activité, il est possible d’avoir l’ambition de se développer et de devenir le meilleur sur ce secteur. L’Allemagne est n°1 sur un certain nombre de secteurs d’activité. La société Stabilo par exemple, a un chiffre d’affaire de plus de 500 millions d’euros. On voit bien, que lorsque l’ETI se spécialise, elle met en évidence un niveau d’expertise qu’il n’y a pas dans les nouveaux pays développés. Sur des secteurs plus généralistes, ces pays seront incontournables et deviendront des leaders mondiaux. D’ailleurs la Chine est aujourd’hui leader mondial du BTP, alors que c’était le cas de la France auparavant. Aujourd’hui, dans les 10 premiers, 4 sont chinois. Dans le secteur de l’automobile, ils feront aussi partie des premiers constructeurs mondiaux. En revanche, on voit apparaître dans certaines niches d’activité des savoir-faire spécifiques et ça, c’est une vraie carte à jouer.

Concernant la crise, le monde de la finance a été présenté comme l’épouvantail qui a causé tout le chaos. Qu’avez-vous à répondre à cela ? Etes-vous favorable à la mise en place de normes de régulation plus strictes ?

Daniel Karyotis : on peut avoir deux angles. Le premier c’est de ne pas sous-estimer la responsabilité des banques dans la crise de 2008 et 2009. Les banques doivent accepter collectivement les déviances de la finance, qui ont failli nous entraîner dans des abîmes : on a des responsabilités. Les marchés financiers ont dérivé, il faut les réguler. Mais au-delà de cela, certaines activités financières doivent être interdites : celles qui reposent sur la spéculation pure, et qui n’ont pas de lien avec l’économie réelle, il faut les éteindre. Mais il ne faut pas non plus s’y méprendre, la crise n’a pas rebattu toutes les cartes. La vraie mutation a commencé bien avant. La crise n’a fait qu’accélérer le fait que des pays tels que la Chine, le Brésil, et l’Inde occupent aujourd’hui une place majeure. Il ne faut pas s’y méprendre, on est en train d’assister à l’équivalent des révolutions industrielles du XIXe siècle ou après la Seconde guerre mondiale. Il faut prendre conscience qu’on est confronté à un choc industriel de même ampleur, violent. On a donc un glissement des plaques tectoniques économiques, un glissement de l’Europe et des Etats-Unis vers l’Asie, et c’est irréversible. On pourrait dire que le XIXe siècle était européen, le XXe siècle,  américain, et le XXIe siècle sera asiatique. C’est un leurre de penser que quoiqu’il arrive, on pourra peser de la même manière : il faut s’adapter, réguler les marchés financiers, faire en sorte que les banques américaines mettent en place des modes de contrôle plus drastiques. Il faut être lucide, le monde économique évolue à une grande vitesse.

L’Europe est loin d’être stabilisée aujourd’hui. Les risques qui pèsent sur toute la zone euro sont-ils une grande source d’inquiétude pour les marchés financiers ?

Daniel Karyotis : oui, l’Europe et les marchés financiers sont intimement liés. On a construit l’Europe à l’envers. Il n’y a pas de gouvernance européenne, pas de ministre de l’Economie européenne. Aujourd’hui la construction européenne n’est plus du tout adaptée aux enjeux du monde économique : cela devra être une des grandes priorités du nouveau président, car personne ne peut se passer de l’Europe, ne serait-ce que pour peser contre le milliard d’habitants de la Chine ou de l’Inde. A côté d’eux, nous sommes devenus des nains de jardin. Et pour la première fois dans l’histoire économique, la démographie n’est plus un handicap, donc l’Europe est incontournable.

Selon vous, il faudrait donc plus d’Europe ?

Daniel Karyotis : plus d’Europe, plus de coordination. Une vraie gouvernance européenne avec un vrai parlement européen qui ait une délégation de pouvoirs des Etats membres, pour moi, c’est inéluctable. Il n’y a pas d’autre choix, que cela prenne 5 ou 10 ans.

Parlez-nous du rapport rendu par le 16e Observatoire PME/ETI en Avril dernier. Les 301 dirigeants interrogés semblent assez optimistes, confiants dans l’avenir. Comment l’expliquez-vous ?

Daniel Karyotis : il y a un premier élément de réponse : les chefs d’entreprise sont pragmatiques. Ils s’adaptent, sinon ils meurent. Et d’ailleurs un certain nombre d’entreprises françaises ont déposé le bilan depuis 2008 : 200 000 en trois ans et demi. Les chefs d’entreprise sont également présents à l’international, ils exportent, et cherchent la croissance à l’extérieur, là où les taux de croissance économique sont de 7 ou 8%. Cette ouverture au monde, qu’on semble oublier en France, les chefs d’entreprise, eux, ne l’oublient pas. Par ailleurs, les chefs d’entreprise ont été très marqués par la crise de 2009, et ont été obligés à aller très loin dans la réorganisation de leur process, dans la refonte de leur organisation commerciale, dans la conquête de nouveaux marchés. Et si les chefs d’entreprise demeurent optimistes, c’est aussi parce qu’ils ont affronté une crise difficile, et qu’aujourd’hui les entreprises françaises sont beaucoup plus solides. Enfin, c’est aussi un trait de caractère, l’optimisme est dans l’ADN du chef d’entreprise. En même temps, l’instabilité des marchés financiers est ce qui les effraie le plus. La stabilité de ce début d’année a mécaniquement remonté le moral des chefs d’entreprise.

Le changement de président en France ne semble pas les concerner particulièrement, pourquoi ?

Daniel Karyotis : encore une fois, ils sont pragmatiques, leur terrain de jeu c’est l’Europe, le monde, ce n’est plus uniquement la France. Les chefs d’entreprises n’ont ni craintes, ni espérances d’ailleurs. En plus, c’est bien connu qu’il y a une très grande différence entre ce qui est annoncé et ce qui sera mis en place. Leur pragmatisme les conduira à juger réellement des mesures qui seront prises par le nouveau président.

Vous cassez les règles de communication traditionnelle des banquiers. Vous voulez être très proche de vos clients, mais aussi très à l’écoute des tendances du monde, vous tenez un blog, écrivez un livre… C’est important pour vous qu’un banquier soit aujourd’hui pleinement acteur d’une vie sociétale ?

Daniel Karyotis : bien sûr, mais au-delà du banquier. Dans un monde qui bouge, la place de la France est remise en question : chacun doit être acteur, doit prendre la parole, chacun doit prendre ses responsabilités. Plus on a des responsabilités, plus on se doit de se demander ce que l’on peut apporter à son pays. Quand on peut aider des entreprises il faut le faire, quand on peut aider des jeunes à mieux s’insérer il faut le faire. Nous avons une responsabilité personnelle particulière dans un contexte qui est difficile. Ce devoir est grand quand on a eu la chance de réussir. Les crises nous ont aussi montré que rien n’était pire, dans une société de communication, que de ne pas prendre la parole. Les banquiers ont des choses à dire, et pas moins de qualités que les journalistes, les politiques, il faut donc qu’on démontre que l’économie française ne pourra pas se bâtir pas sans les banques. On a donc une parole à porter, et rien n’est pire, pour moi, que de pratiquer la chaise vide. Les banques doivent devenir davantage des entreprises commerciales, les clients veulent un accès plus libre, plus facile avec leur banquier. Cette proximité me semble naturelle, mais il ne faut pas forcer sa nature, moi je suis comme cela. Et la nouvelle génération qui arrive à la tête des entreprises est moins enfermée dans des codes que ce qu’on pouvait connaître il y a 20 ans, à l’image de cette nouvelle société.

Vous êtes aussi très investi dans la promotion de la diversité et le soutien de la parité. Est-ce que vous pouvez nous parler des actions que vous avez entreprises en ce sens ?

Daniel Karyotis : la France a une génération de retard sur ces sujets-là. En matière de diversité nous avons passé une convention avec Sciences Po il y a deux ans, qui nous permet d’accompagner des jeunes qui intègrent Sciences Po via la filière ZEP, et sur un autre plan, j’ai appuyé la création de l’association Palatine au Féminin, qui a pour objectif de permettre aux femmes de Palatine de mieux comprendre les rouages de l’entreprise et qu’elles puissent prendre conscience qu’elles ont toutes les qualités pour accéder aux responsabilités les plus élevées dans l’entreprise.

Pouvons-nous conclure en disant que vous prônez une évolution vers une nouvelle éthique du milieu financier ?

Daniel Karyotis : il faut se méfier de la dichotomie entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Si on est vraiment porteur de ses valeurs, et qu’on les a démontrées par ses actions antérieures, on a  plus de force pour les revendiquer. Mais il est sûr que l’environnement actuel exige plus d’éthique, de transparence et de simplicité. Je n’ai aucune difficulté à l’affirmer, parce que je pratique ces valeurs à titre personnel, comme professionnel.  Cette cohérence est importante pour que les grands principes énoncés au nom de l’éthique ne sonnent pas comme des vœux stériles. 

Propos recueillis par Olivia Phélip
Réalisation et montage vidéo : Amélie Garcia

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