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François Hollande est élu Président de la République

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Trop rond, trop apparatchik, trop provincial… Rien n’aurait prédisposé François Hollande, 57 ans, à s’installer à l’Elysée. Il n’était ni l’ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, réputé brillant économiste et familier ès-qualité des dirigeants du monde entier, ni son ex-compagne, Ségolène Royal, au rapport charnel avec les Français. Contrairement à son adversaire, Nicolas Sarkozy, il ne prônait pas « la rupture » mais, au contraire, « la normalité » – et, à travers elle, le retour à une certaine « continuité ».

Le candidat n’est pas le président et ce n’est pas son élection qui fait sa présidence. La plus grande prudence est donc de mise. Pourtant, celle-ci renseigne sans doute sur l’état profond de la France et de la société après quatre années de crise. Et, comme aime à dire, moqueurs, les Anglo-saxons, « plus ça change, moins ça change »…

Il faut trente ans pour faire un Président

Qu’il n’ait jamais eu à répondre à la question de savoir s’il « en » rêvait tous les matins, importe peu tant la réponse est évidente. Oui, évidente et en rien choquante. En France – contrairement, par exemple aux Etats-Unis, où des campagnes bien financées, bien « markettées », accélèrent les destins – on ne s’improvise pas Président de la République. Et si, dans les dernières années, avec l’arrivée au pouvoir des générations qui n’ont pas connu la guerre, ni les soubresauts politiques qui l’ont suivie, les histoires personnelles des principales figures de la vie politique française peuvent paraître bien insipides, moins romantiques, elles n’en restent pas moins construites. Une ambition présidentielle, cela prend du temps, au moins trente ans. Ce fut le cas de Nicolas Sarkozy, c’est tout aussi vrai de son successeur. François Hollande a lentement tracé son sillon et s’est forgé, à l’heure de la globalisation galopante, un destin si français.

« Vous êtes l’élite de la République, l’élite de la France, et parmi vous… »

A n’en pas douter, cette phrase – ou une autre tout aussi équivalente -, François Hollande l’a entendue lorsque, jeune bachelier, il s’est assis pour la première fois sur les bancs de l’amphithéâtre Boutmy, rue Saint-Guillaume, à Sciences-Po au milieu des années 70. Le président élu appartient à l’élite républicaine telle qu’elle s’est reproduite dans la seconde moitié du XXème siècle. Après des études au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine, où ses parents se sont installés après avoir quitté Rouen, il obtient une licence de droit, puis ce sera Sciences-Po, et – petite originalité à noter – HEC. Ensuite, plutôt que le privé et le monde des affaires, l’ENA. L’ENA au sein de cette promotion d’exception, la promotion Voltaire de 1980 qui compte dans ses rangs de nombreux ministres, un ex-premier ministre – Dominique de Villepin -, une candidat malheureuse à la présidentielle – Ségolène Royal – et lui. Pierre-Louis Blanc, qui dirigeait l’ENA à l’époque, prétend même qu’il était son élève le plus intelligent. De cette promotion, il sort parmi les premiers et décroche un des « Grands corps », la Cour des comptes, où il n’exercera que peu, quelques années à peine, en période de vaches maigres électorales après la déroute de 1993. Son ambition est politique et, avant l’élection, elle passe par les cabinets ministériels et l’Elysée de François Mitterrand.

Le cœur bien accroché à gauche…

Comment devient-on de droite ou de gauche ? C’est sans doute, chez chacun, une des dimensions les plus intimes et, de toutes les questions politiques, celle qui relève le plus de la psychanalyse, de la construction du moi et de la lutte avec le sur-moi. Souvent, on constate, avec étonnement, à la lecture de biographies que, plus encore qu’ailleurs, les responsables politiques français ont franchi le Rubicon familial. Les racines maurrassiennes de François Mitterrand, les alliances radicales de Jacques Chirac, tant a été écrit sur le sujet. De même, entre le père – médecin rugueux de droite – ou d’extrême-droite, dit-on même – et sa mère, assistante sociale « catholique de gauche », François Hollande choisit sa mère et, dans cette rupture avec le père, il faudrait voir un moteur de son engagement, et de sa détermination. Rien de tel que la foi des convertis. Un cheminement idéologique si français là encore, tant il n’y a qu’en France qu’existe une telle séparation entre deux camps, deux France, celle de gauche et celle de droite.

La Génération Mitterrand

Dès Sciences-Po, François Hollande s’est engagé en politique. Il y préside la section locale du syndicat étudiant l’UNEF ainsi qu’en 1974 le comité de soutien à la candidature présidentielle de François Mitterrand. Ni gauchiste ni anarchiste, il est fasciné par François Mitterrand – duquel il s’est rapproché depuis une liaison, à Sciences-Po toujours, avec la nièce d’un de ses futurs ministres, Louis Mexandeau. Rapidement, il commence à lui écrire des « notes » et, en 1981, il rejoint le cabinet du président à l’Elysée.

En juin 1981, à 26 ans, il tente le pari de se présenter aux législatives sur les terres du futur président Jacques Chirac, qu’il interpelle en réunion publique. « Qui êtes-vous, monsieur ? », lui lance Jacques Chirac. « Je suis celui que vous comparez au labrador de Mitterrand », lui répond le jeune socialiste. C’est de cette campagne que datent les premières images d’archives télévisées du jeune homme.

Les cabinets ministériels sont une étape classique pour l’ambitieux apprenti politique. En 1983 et 1984, il dirige notamment ceux de Max Gallo et Roland Dumas, porte-paroles du gouvernement. François Hollande grandit dans l’appareil du Parti socialiste – et se voit confier des missions de riposte idéologique face à la droite, notamment, par Lionel Jospin, premier secrétaire, durant la première cohabitation entre 1986 et 1988.

Le couple Hollande-Royal (1)

De sa première défaite électorale de 1981, François Hollande a conservé un fief auquel il restera à jamais fidèle, la Corrèze. En 1988, il est élu à l’Assemblée Nationale. Il y entre aux côtés de la nouvelle députée des Deux-Sèvres, Ségolène Royal – qui est sa compagne depuis leur rencontre lors d’un stage de l’ENA à Chanteloup-les-Vignes en 1980 et la mère de trois de leurs quatre enfants. La photo des deux prises devant le fronton du Palais-Bourbon relève de l’histoire, ancienne.

A l’Elysée, Ségolène Royal a fait son chemin elle aussi. Une fois à l’Assemblée Nationale, elle reste proche – protégée, dit-on – de François Mitterrand jusqu’à entrer en 1992 dans le gouvernement d’Edith Cresson. François Hollande reste dans l’ombre et rêve d’un ministère qu’il n’aura jamais.

Jacques Delors, le père spirituel

S’il demeure fasciné par François Mitterrand, François Hollande, social-démocrate assumé et Européen convaincu, se rapproche de Jacques Delors. Une fois perdu son mandat de député de Corrèze en 1993, pour avoir – de son propre aveu – trop privilégié ses activités nationales, il prend la tête des clubs « Témoins », où il prêche la bonne parole de l’ancien ministre de l’économie et des finances du gouvernement Mauroy, désormais président de la Commission européenne. Avant et après la tentative avortée de candidature présidentielle de Jacques Delors, cet engagement, qui lui vaudra une solide inimitié de «la fille du père », Martine Aubry, lui permettra aussi de compter dans l’appareil socialiste – jusqu’à s’y imposer.

Un parti, l’indispensable de l’aspirant président

C’est sans doute le plus grand paradoxe de la présidentielle à la française. Au suffrage universel direct, ce serait la rencontre entre un homme et le pays, un exercice de séduction. Pourtant, dans un pays où le financement de la vie politique est en théorie parfaitement encadré – depuis le début des années 90 -, le contrôle d’un parti politique est indispensable, plus encore que l’expérience ministérielle à une campagne présidentielle victorieuse. Un contrôle essentiel en tout cas pour l’emporter dans son camp, première étape incontournable. Les exemples de François Mitterrand et Jacques Chirac qui se créèrent, des années en avance, des partis à leur main, sont exemplaires en la matière. Nicolas Sarkozy a fait de même avec l’UMP et François Hollande doit indéniablement à ses onze années à la tête du parti socialiste sa victoire dans les primaires citoyennes de 2011.

Peu importe même qu’il ait eu sa part de responsabilité dans les défaites de 2002 et de 2007, peu importe que certains aient pu lui reprocher de n’avoir jamais exercé de responsabilités ministérielles, il tenait l’appareil. Dans un parti et un camp, qui redoutent la personnalisation excessive du pouvoir et redoutent l’homme providentiel – ou la femme, d’ailleurs -, les liens étroits tissés par le premier secrétaire François Hollande à travers les sections de toute la France, les contacts établis avec les partenaires des autres partis de gauche, ont constitué une arme redoutable – et d’une efficacité imprévisible.

Et s’il est resté aussi longtemps à la tête du parti socialiste, en ménageant autant les uns et les autres, il est difficile d’imaginer que ce ne soit pas parce qu’il anticipait que cela lui serait indispensable pour prendre le pouvoir.

Le couple Hollande-Royal (suite et fin)

Là aussi, les psychanalystes et autres thérapeutes en tout genre auront leurs mots à dire.  Une chose est sûre, la cohabitation au sein du couple Hollande-Royal a sans doute longtemps bridé l’un – et sans doute aussi l’autre.

Si Ségolène Royal avait été élue Présidente de la République, il aurait été difficile d’imaginer l’avenir politique de François Hollande – même si, en l’occurrence, sa légitimité à demeurer engagé politiquement n’aurait pas été en cause.

Un destin français…

Ce qui frappe dans ce parcours, c’est son caractère intrinsèquement français et daté. François Hollande n’a pas le monopole de cette « francitude ». Son adversaire, comme ses autres adversaires, ont grandi en France, le regard tourné vers la ligne bleue des Vosges. C’est le propre de la très grande majorité des responsables politiques français.

Quand on voit l’impact sur la diplomatie américaine de l’élection de Barack Obama, un président ayant une certaine connaissance de l’étranger pour y avoir vécu, on ne peut que s’interroger sur les effets du relatif recroquevillement sur le pré carré national des élites politiques françaises.

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