Site icon La Revue Internationale

Le débat télévisé, une invention «made in USA»

[image:1,f]Peut-on perdre une élection sur un débat ? Une réponse d’expérience que celle confiée par Valéry Giscard d’Estaing à des journalistes du quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France le 26 avril 2012. D’après lui, François Mitterrand pensait que leur face-à-face avant le second tour de la présidentielle de 1974, lui avait coûté l’Elysée : « Nous en avions parlé tous les deux par la suite et il m’avait confié : « Votre phrase « Vous n’avez pas le monopole du cœur » m’a déstabilisé, elle m’a coupé le souffle. Ce soir-là, j’ai perdu 300 000 électeurs ». Un vrai débat peut faire gagner ou perdre, aujourd’hui encore. »  Ce 10 mai 1974, pour la première fois, un débat télévisé oppose les deux finalistes de l’élection présidentielle, le ministre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, candidat de la gauche : à celui-ci qui affirme, à propos de la répartition de la croissance, « c’est une affaire de cœur et non pas seulement d’intelligence », VGE réplique : «Vous n’avez pas le monopole du cœur »…

Petites phrases ou bafouillages, tics et tocs, télégénie ou télé-phobie… les débats ne font pas toujours l’élection mais, depuis leur apparition il y a plus de cinquante ans, de tels exercices ont, plus d’une fois, influencé le verdict des urnes. Si les Français ont inventé l’élection présidentielle au suffrage universel direct, c’est aux Américains que l’on doit la version cathodique de la bonne vieille joute oratoire.  

JFK met Richard Nixon K.O.

C’est le 26 septembre 1960 que les débats télévisés entre les candidats à la fonction suprême ont fait leur entrée dans le rituel de l’élection présidentielle américaine. Ce premier débat, qui oppose le jeune et fringant John Fitzgerald Kennedy au pâle et transpirant Richard Nixon, sera décisif. Pour la première fois, les électeurs ont l’opportunité de voir, face à face, l’alternative qui s’offre à eux…. Le débat tourne vite à l’avantage de JFK.

Qu’ils abordent les questions nationales ou internationales (au cours des trois débats successifs), c’est l’image qui compte et Richard Nixon, bien que vice-président et ayant exercé à trois reprises la présidence par intérim, ne convainc pas à la télévision. Lors du premier débat, il a dix kilos de trop, il est pâle. Il débarque dans le studio avec une chemise qui tombe mal et refuse d’être maquillé pour relever son teint. John Fitzgerald Kennedy a passé le mois de septembre à faire campagne en Californie, il est bronzé, confiant et reposé.

Chat échaudé craint l’eau froide…

Un an après l’assassinat de JFK, l’élection présidentielle de 1964 entre Lyndon Johnson et Barry Goldwater se joue à fleuret moucheté et l’atmosphère n’est pas aux débats contradictoires sous l’œil des caméras. En 1968 et 1972, deux élections remportées par le « malheureux » Richard Nixon, il n’y eut pas non plus de débats entre les deux postulants à la Maison Blanche. La leçon de 1960 avait été retenue. Les seuls débats organisés l’ont été durant les primaires des deux partis. Ainsi, avant d’être assassiné à son tour, Robert, le frère du défunt président, usa à son tour de la botte secrète des Kennedy – le good look légendaire – et l’emporta haut-la-main face à Eugene McCarthy.

Un triple rendez-vous désormais traditionnel

Le duel entre le président Gerald Ford et le démocrate Jimmy Carter fut, lui aussi, fatal au républicain. Alors qu’il effectuait une formidable remontée dans les sondages, une incroyable bourde, lors du troisième débat, coûta la Maison Blanche à son « locataire » : « Il n’y a pas de domination soviétique de l’Europe orientale et il n’y en aura pas sous une administration Ford ».

Ces trois débats n’en marquent pas moins l’institutionnalisation de fait des débats télévisés entre candidats à la Maison Blanche. Depuis, au moins trois confrontations sont organisées entre les prétendants à la Maison Blanche. Généralement, ces débats sont thématiques, consacrés à la politique intérieure, aux questions économiques et aux relations internationales.

Le débat à trois…

Une première en 1992, le débat présidentiel à trois. Le milliardaire Ross Perot, candidat indépendant, se joint au président sortant George H.W. Bush et au gouverneur Bill Clinton. Le format de ces débats n’est en effet pas fixe et fait l’objet d’âpres négociations entre les stratèges des différents candidats. Assis à une table, face à face, les candidats peuvent débattre directement. Le ou les présentateurs ne sont alors là que pour modérer les échanges, les orienter à la marge. Debout à un pupitre, les candidats peuvent aussi répondre tour à tour aux mêmes questions sans véritablement se répondre.

Un concept vainqueur à l’export

Désormais, la plupart des pays proposent des débats télévisés à l’occasion des élections générales, présidentielles ou législatives. Certains pays s’y sont mis plus récemment. Ainsi, jusqu’aux dernières législatives, jamais les aspirants Prime Minister ne s’étaient affrontés au Royaume-Uni. Jeudi 15 avril, à l’initiative de la chaîne de télévision ITV, Gordon Brown, le sortant travailliste, a affronté le conservateur David Cameron et le libéral-démocrate Nick Clegg. En Russie, ce n’est qu’en novembre 2011, à l’approche des législatives, que le parti au pouvoir « Russie Unie » a daigné débattre avec les autres partis – qui jusque-là débattaient sans la majorité.

Une fois l’expérience conduite dans un pays, difficile pour un candidat de refuser l’affrontement. Seul Jacques Chirac avait refusé de rencontrer Jean-Marie Le Pen, son adversaire au second tour de la présidentielle française. Les raisons de son refus : la volonté de ne pas légitimer le Front National ou la peur des révélations qu’aurait pu faire le chef de l’extrême-droite ? Cela relève de l’Histoire, comme tant d’autres histoires de débats.

Quitter la version mobile