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Les tentations séparatistes du Premier ministre Harper

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[image:1,l]Rassemblés dans les rues de Montréal, des étudiants en sous-vêtements manifestent contre la hausse des frais de scolarité « le corps étudiant contre l’augmentation des frais de scolarité », peut-on lire sur les pancartes lors des manifestations. Cela fait trois mois maintenant que les étudiants protestent : les grévistes ont bloqués les métros, les routes et même les autoroutes. Avec des frais de scolarité qui s’élèvent en moyenne à 2500 dollars canadiens (DC) par an, les étudiants de l’université de Québec profitent déjà des frais de scolarité les plus bas du Canada, même en intégrant l’augmentation proposée des 254 DC annuels pour les sept prochaines années.

Un mécontentement plus profond

Le conflit est plus complexe, et c’est là que le Premier ministre Stephen Harper entre en jeu. Le politicien n’a en effet rien à voir avec l’augmentation des frais de scolarité car au Canada, l’éducation relève de la responsabilité des gouvernements des provinces. Le conflit témoigne d’une vision résolument progressiste du Québec, qui oppose régulièrement les résidents et leur gouvernement provincial au programme conservateur du Premier ministre.

Stephen Harper a célébré le premier anniversaire de son mandat majoritaire avec un discours vantant sa politique, qui prétend « soutenir l’économie de demain ». Au Québec, nombreux sont ceux qui sont en désaccord. Ils y voient une tentative de remettre le pays dans le bastion du capitalisme austère, où les intérêts des « Big Oil », les supers majors du pétrole dépassent les préoccupations environnementales, et où la « lutte contre la criminalité » signifie un adoucissement du contrôle des armes à feu, et enfin où le patriotisme impliquerait une révérence à la monarchie britannique.

Vers une souveraineté du Québec?

C’est un peu comme si le républicanisme américain rencontrait le système social européen. La différence, c’est qu’au Canada, les affrontements concernent une province avec laquelle le gouvernement fédéral est déjà brouillé – une province qui a déjà tenu deux référendums sur l‘indépendance. Lors du dernier référendum de 1995, il s’en est fallu de peu – quelques milliers de votes seulement – pour que le Québec ne devienne un pays indépendant

Les signes d’alerte sont nombreux, certains venant de « fédéralistes » –  ceux qui veulent maintenir l’unité du Canada –  fortement médiatisés ces dernières semaines. Justin Trudeau, le plus connu, est un homme politique du parti libéral, fils de Pierre Elliott Trudeau, ancien Premier ministre qui s’était battu pour l’unité nationale.

 Justin Trudeau, séparatiste ?

 « …et je dis toujours si, un moment donné, je croyais que le Canada, c’était vraiment le Canada de Stephen Harper, puis qu’on s’en allait contre l’avortement, puis qu’on s’en allait contre le mariage homosexuel, puis qu’on retourne en arrière de 10 000 différentes façons, peut-être que je songerais à faire du Québec, un pays. Oh oui, absolument. Si je ne reconnais plus le Canada, moi, mes valeurs, je les connais très bien », a rapporté Justin Trudeau lors d’une interview à Radio Canada.

Cette déclaration a fait les gros titres, notamment en raison de l’ascendance de Justin Trudeau. Il est également présenté comme un potentiel futur leader du Parti Libéral, dont la dernière gouvernance de 1993 à 2006 a pris fin avec le gouvernement minoritaire de Stephen Harper

Les forces séparatistes au Québec se sont réjouies, contrairement aux fédéralistes choqués. Lors d’une autre interview, Justin Trudeau n’a pas reculé sur sa position : « L’option séparatiste n’est plus le père fouettard d’autrefois. Vous me demandez ce qu’est un père fouettard ? C’est celui qui est actuellement assis dans le fauteuil du Premier ministre ».

L’origine du mouvement indépendantiste

Le mouvement d’indépendance au Québec est né de la guerre soi-disant tranquille des années 1960, une période où la majorité francophone de la province se libéra de la domination culturelle de l’Église catholique et la domination économique de la minorité anglophone. Depuis, la cause souverainiste est rarement descendue en dessous de 40% et les politiques ont été nettement de centre-gauche. Le gouvernement subventionne par exemple des services de soins pour seulement 7 dollars canadiens par jour et les frais de scolarité universitaires sont les plus bas du Canada.

Le Québec : ticket d’entrée au gouvernement pour Stephen Harper

Stephen Harper a passé des années à courtiser le Québec, reconnaissant qu’en gagnant la plupart des 75 sièges de la province à la Chambre fédérale a été un ticket d’entrée au gouvernement. Il a même adopté une loi décrivant le Québec comme une « nation » au sein du Canada.

Pendant presque vingt ans, les Québécois ont envoyé l’aile gauche des séparatistes – le Bloc québécois – au Parlement. Puis, l’élection fédérale de mai 2011 a donné la majorité des sièges au Nouveau parti démocratique fédéral, qui a des origines socialistes. Les Conservateurs ont obtenu seulement six sièges au Québec, mais réussissent tout de même à former un gouvernement majoritaire en s’emparant de l’Ontario et des provinces de l’Ouest.

Une fascination pour la monarchie britannique

Inutile de rappeler la fascination de Stephen Harper pour la monarchie britannique – restaurer la désignation « royale » à la force aérienne et à la marine canadienne, accrocher le portrait de la reine dans les édifices fédéraux et célébrer son jubilé de diamant – tout cela ne passe pas bien au Québec. Rappelons que c’est une province où l’on peut lire sur les plaques d’immatriculation « je me souviens » – une référence à la victoire de l’Angleterre contre la France en 1759 dans une bataille, près de Québec, qui transforma la province en une colonie anglaise.

Une modification controversée de la législation

Le combat le plus amer contre Stephen Harper reste celui contre la nouvelle loi anti-criminalité qui vise à durcir le Code criminel en imposant un durcissement des peines pour les jeunes délinquants. Le gouvernement québécois, cinglant dans ses critiques envers le gouvernement de Stephen Harper, préfère privilégier la réhabilitation et une approche plus indulgente envers les jeunes contrevenants.

Stephen Harper a également supprimé le registre national pour les fusils – une base de données mise en place après la tuerie de 1989 dans laquelle 14 étudiantes furent tuées par un homme armé à l’Université de Montréal. La province de Québec s’oppose fortement à cette démarche et a déposé un recours pour avoir le droit d’utiliser des données fédérales afin d’établir son propre registre au niveau de la province.

Une fracture de plus en plus évidente entre le Québec et le reste du Canada

« Je ne me reconnais pas dans ce Canada » a fulminé Jean-Marc Fournier, ministre de la Justice québécois, lors d’une rencontre avec son homologue fédéral.

Peter White, conseiller clé des anciens Premiers ministres conservateurs, a averti Stephen Harper dans une lettre publique que sa négligence de la province mènerait au retrait du Québec de la fédération et peut être même à l’indépendanceMichael Ignatieff, le chef du Parti libéral, a déclaré à la BBC la semaine dernière que les différences dans la culture politique du Québec et le reste du Canada mèneront à une « indépendance complète ».

Tout cela ne passe pas inaperçu pour les séparatistes québécois. Ils seraient déjà en train d’affiner leurs arguments en faveur d’une élection provinciale, qui pourrait se dérouler cette année. « Le Québec n’existe plus pour Ottawa », a déclaré Bernard Drainville, homme politique du Parti québécois, qui a mené deux référendums d’indépendance lorsqu’il était au pouvoir.

Seulement un an que le gouvernement majoritaire de Stephen Harper est au pouvoir, et déjà beaucoup craignent que son unique héritage soit une rupture du pays.

Global Post/ Adaptation Louise Michel D. / JOL Press

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