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Derrière la colère des étudiants, une crise d’identité

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Cela fait quatre mois, depuis le début officiel de la grève en février 2012, que les étudiants québécois manifestent. Leur mouvement, aux faux airs de Mai 1968 ou encore de Woodstock, vise le gouvernement provincial de Jean Charest, en place depuis neuf ans, et la politique libérale qu’il conduit.

Sous prétexte de vouloir répondre aux besoins de compétitivité des universités francophones du Québec, ce dernier avait jugé bon d’augmenter les frais de scolarité des étudiants de 75%, en seulement cinq ans, alors qu’ils étaient restés inchangés depuis une vingtaine d’années. La brutalité de la mesure, qui ne laissait guère aux étudiants le temps de s’habituer à ces nouvelles contraintes, a donné lieu à une révolte d’une ampleur sans précédent dans la province.

La mauvaise gestion des premières manifestations entraîne un blocage général

Finalement, le débat sur la légitimité de cette augmentation a vite été éclipsé par les dérives de la police de Montréal, en particulier, qui n’a pas su gérer ce flot soudain d’étudiants dans les rues. Les altercations – parfois violentes – entre police et étudiants sont devenues chose commune à travers la ville. Plus la police réagissait mal, plus les étudiants la provoquaient et, ainsi de suite, plongeant le soulèvement dans une spirale d’agressivité et de ressentiment, qui a contribué au blocage général.

Chaque parti s’est renforcé dans ses convictions et cela s’est trouvé reflété dans l’échec des négociations entre les syndicats et le ministère de l’Éducation. La ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, a même été contrainte à la démission le 14 mai dernier. Un symbole fort qui atteste de l’ampleur prise par les actions des manifestants, qui font appel à la solidarité de beaucoup de sympathisants, étudiants ou non.

Le décalage se creuse avec la loi « matraque »

Au lieu de condamner les bavures de la police et d’adopter un ton conciliant, Jean Charest a rétorqué en proposant une loi liberticide, jugée « alarmante » par Navi Pillay, la haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU. La dénommée loi 78 rend illégale toute manifestation de plus de cinquante personnes, non déclarée au moins huit heures avant aux forces de l’ordre, restreignant ainsi considérablement le droit à manifester.

Depuis, les arrestations se suivent et se ressemblent. Lors de la manifestation de nuit des 23 et 24 mai, environ 400 étudiants ont fait les frais de cette loi, puisqu’ils n’avaient pas prévenu la police de leur itinéraire. Cette loi est jugée absurde et beaucoup d’étudiants s’en moquent en envoyant des messages à la police lorsqu’ils reçoivent plus de 50 personnes, pour une fête, en détaillant même ironiquement le parcours de leur soirée.  

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Un enjeu politique et culturel

Au-delà du ton parfois badin des jeunes manifestants, l’enjeu politique de la seule province francophone d’Amérique du Nord est considérable.

En effet, pour beaucoup, la loi régionale pour l’augmentation des frais de scolarité avait pour but implicite l’américanisation du système éducatif québécois. Dans le contexte bi-culturel du Canada, organisé sur une base fédérale et reposant sur le consensus afin de garantir les particularismes conformément à la division territoriale et nationale, les Québécois sont une minorité. Et leur isolement va en s’accroissant, tant le Québec attire désormais d’anglophones. Montréal est toujours la seule ville bilingue et possède deux universités anglophones, McGill et Concordia. Mais, avec l’augmentation des frais de scolarité, beaucoup voient une tentative de remodeler les universités québécoises à l’image des universités anglophones d’Amérique du Nord. C’est pourquoi le mouvement dépasse les seules revendications étudiantes et est bien accueilli chez une majorité de citoyens québécois, qui veulent défendre leur identité. Ils invoquent le droit à l’éducation, qui fut l’objet de longues luttes historiques, de sorte que celle-ci reste accessible à tous.

Vers un Québec libre ?

Ce que le gouvernement Charest est en train de créer, ou de recréer, ce sont donc des revendications identitaires fortes, qui restaient l’apanage de courants politiques en perte de vitesse, ces dernières années, assez isolés, comme le Bloc québécois. Les partis nationalistes qui veulent un Québec libre soutiennent les manifestants et voient leur légitimité renforcée. Face à eux, le Parti libéral est de plus en plus critiqué et le décalage avec les électeurs, y compris sa base, est de plus en plus flagrant. Le malaise qui s’installe va plus loin que le seul rejet d’un homme politique impopulaire par les citoyens. Il met en évidence le clivage entre défenseurs et détracteurs de la nation québécoise.

L’histoire nous a bien montré que revendication identitairenationalisme et indépendantisme sont inextricablement liés. Si les partis souverainistes avaient la majorité à l’Assemblée, la question de l’indépendance du Québec pourrait être à nouveau posée de manière crédible… 

La manifestation prévue le vendredi 22 juin 2012 sera, à n’en pas douter, un nouveau tournant dans le bras de fer en cours dans la « Belle province ».

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